Il est des lieux présentant à la fois une histoire fascinante et un environnement exceptionnel. L’atoll de Anaa au sud est de l’archipel des Tuamotu en fait définitivement parti. Sa première vision est marquante lors de l’arrivée par avion en provenance de l’archipel de la Société fait d’îles hautes aux sommets verdoyants qui se perdent dans les nuages. Là, le changement d’univers est total avec une autre Polynésie, celle des atolls dont Anaa est un bon représentant tout en de distinguant sur bien des points. Vu du ciel, apparaissent les couleurs harmonieuses de son lagon avec des dégradés de turquoise, d’émeraude et de bleu. Magnifiquement, l’atoll se détache de l’Océan Pacifique qui l’entoure. Ces couleurs si vives sont à l’origine d’une singularité qui a surpris les premiers explorateurs européens à la fin du XIIXè siècle et au tout début du XIXè. Se reflétant dans les nuages de basse altitude, elles leur donnent une teinte verte. Appelé taeroto, ce phénomène constitue encore un utile repère signalant la présence de l’atoll aux marins. Cette couleur si particulière est principalement due à la faible profondeur du lagon : en moyenne – 5 / – 6 m. Comparativement, dans d’autres atolls, elle peut atteindre – 50 m.
Autre particularité : la vaste superficie de ses terres émergées. En dépit de sa petite dimension, l’atoll compte 37,7 km2 de terre émergée. Seul Rangiroa, le plus grand atoll des Tuamotu mais aussi un des plus vastes au monde, dispose d’une superficie supérieure. Cet atout naturel d’une grande importance pour le développement de formes d’agriculture adaptée est, sans doute, un facteur d’explication de la puissance et de l’influence acquise par la population de l’atoll au temps préchrétien. Selon les éléments de la tradition orale, dès le XVIIè siècle, Anaa a imposé une domination militaire, politique et économique sur une grande partie de l’archipel des Tuamotu. Pendant plus deux siècles, les guerriers Parata, nom donné en référence à une espèce de requin, furent redoutés pour la violence de leur raid sur les rivages étrangers.
L’atoll présente une forme grossièrement ovale, s’étirant sur 28 km dans un axe est-ouest avec une largeur moyenne, de 6 km. Anaa ne compte pas de véritables passes, ces chenaux de communications entre océan et lagon d’une profondeur importante permettant, entre autres, la circulation de navires de fort tonnage. La circulation des eaux – capitale dans les écosystèmes lagonaires – est assurée par des hoa, canaux de faibles profondeurs où l’eau circule par intermittence aux grés des marées, des houles et des vents. Le lagon compte de grandes zones ensablées aux eaux peu profondes et claires. Elles sont autant de piscines naturelles qu’apprécieront les visiteurs ! Un décor de rêve dû aux particularités géologiques de l’atoll qui est dit “soulevé”. Soumis à de puissantes forces telluriques, il a été élevé, de manière “rapide” à l’échelle des temps géologiques, 8 m au dessus du niveau de la mer ! Ceci explique la présence de petites falaises en corail fossilisé et même de grottes ! Autant d’éléments inhabituels pour des paysages des Tuamotu et qui font l’intérêt de Anaa.
En 1825, les premiers explorateurs Européens témoignent ainsi d’une île peuplée par 2 500 habitants dont une partie sont des captifs ramenés à l’issue de razzias sur d’autres atolls. Néanmoins à l’instar des autres îles de l’archipel, Anaa ne put résister à la colonisation française et fut annexé par la France au milieu du XIXe siècle. Sous l’impulsion de l’administration coloniale, elle fut le théâtre d’une intense culture du coprah favorisée par l’abondance de terres émergées et fertiles. A partir des années 1950 – 1960, l’île voit sa population diminuer. Beaucoup parmi les jeunes générations émigrent vers l’île de Tahiti, devenu le cœur économique du pays et proposant emplois et abondance au sein d’une société de consommation naissante.
Aujourd’hui, l’atoll ne compte plus 500 habitants regroupés dans le village de Tukuhora. Située à proximité de l’unique quai de déchargement accueillant les bateaux ravitaillant l’île par l’océan et de l’aérodrôme, cette localité est typique des Tuamotu. Le long des quelques allées goudronnées ou de pistes en soupe de corail se succèdent les maisons à un étage de couleurs chatoyantes, entourées de plants de Tiare Tahiti et d’hibiscus. Au détour d’une “rue” apparait le lagon et ses merveilleuses couleurs apportant encore un charme supplémentaire. Témoignage de l’ancien temps, l’île compte 3 villages abandonnés répartis sur le pourtour de l’atoll : Putuahara à l’ouest, Otepipi au centre et Tematahoa à l’est. Des lieux totalement désertés ? Pas tout à fait ! A l’occassion des fêtes religieuses, les habitants – catholiques dans leur immense majorité – organisent des processions et des offices dans les églises, vaillants édifices encore debout au milieu des maisons écroulés et abandonnés.
Les principales activités de l’île sont aujourd’hui le coprah et la pêche bien favorisée par l’abondance du poisson et la bonne santé du lagon. Quant au tourisme, l’île s’y intéresse et s’y éveille consciente des atouts de cette destination. Pas très loin de Tahiti car à une heure de vol seulement en direct, elle attirera sans conteste ceux qui veulent découvrir une Polynésie authentique et le monde des atolls.
Au royaume des feo
Une succession de petites plages de sables blancs, baignées d’eaux cristallines. Plus loin à l’horizon, le récif aux couleurs vives où viennent déferler les vagues d’un bleu éclatant. Côté océan, le littoral sud de l’île, de Tematahoa à Otepipi et jusqu’au district de Temari, offre des paysages sublimes. Sur les rivages des motu se trouve un ensemble de feo, des enrochements constitués de coraux fossilisés. Difficile d’imaginer qu’à l’origine de cette roche sombre et dure se trouvent de petits organismes aquatiques. De telles formations se retrouvent dans d’autres atolls des Tuamotu mais dans une moindre mesure. Anaa en est le plus beau royaume. Sur plusieurs kilomètres, la présence de ces feo a créé ce paysage que le visiteur se doit de découvrir, au fil de l’eau et en bateau, moyen le plus approprié pour une ballade qui vous conduit entre lagon, motu et récif.
Ces paysages permettent de plonger non seulement dans des eaux limpides mais aussi dans le temps à la genèse de l’île. La présence importante des feo sur ce littoral est due à un phénomène bien documenté par les scientifiques. Pour mieux le comprendre, abandonnons provisoirement nos belles plages ombragées de cocotiers et changeons d’échelle temporelle et géographique. Plusieurs millions d’années auparavant à des centaines de kilomètres de Anaa, émergea des profondeurs, une immense formation volcanique : l’île de Tahiti. D’abord sous-marine, les éruptions lui ont permis de s’élever à plusieurs kilomètres au dessus du niveau de la mer. Par sa masse, cet édifice colossal a déformé le plancher océanique sur lequel il reposait. Ce phénomène dit de “bombement” a soulevé les îles avoisinantes dont Makatea, Niau et Anaa. Un peu comme sur une balançoire où le poids de l’un permet de faire monter l’autre… La conséquence la plus spectaculaire est visible à Makatea, un ancien atoll qui fut surélevé de 110 m et est devenue une île haute bordée de grandes falaises. Bien moins touché, Anaa a été soulevé de 8 mètres ce qui a permis la création de ces paysages en plaçant les coraux fossilisés, au dessus du niveau actuel de la mer.
Grottes et cavités
Ce soulèvement explique aussi la faible profondeur du lagon et l’importance de l’ensablement à l’image de Vaitia, au nord ouest de l’atoll, un petit lagon séparé du principal par une bande de motu et des coraux submergés. On peut y accéder avec de petites embarcations par deux passes. L’endroit est magique par ses belles étendues de sable blanc et ses piscines naturelles.
Autre conséquences du passé géologique de l’île, la présence de plusieurs grottes et cavités. Une des principales se trouve à proximité de Putuahara, la localité principale de l’île. Elle est remplie d’une eau saumâtre et fraiche, constituant un lieu de baignades et d’amusement pour les enfants du village. Une autre d’importance est située sur le motu Tematahoa au sud est de l’atoll, côté océan. Elle est constituée par deux puits profond de 3 à 4 mètres et est elle aussi remplie d’eau saumâtre. Selon les traditions anciennes et à l’instar de bien d’autre, cette cavité était un lieu d’accès au Pô, le monde de l’invisible, mais également à un réseau souterrain qui fait communiquer les îles des Tuamotu entres elles…
D’autre part, moins soumis à la submersion des océans en raison de son altitude plus élevée, l’atoll a conservé une flore terrestre diversifiée et originale. Il a été recensé par les spécialistes 55 espèces indigènes dont 4 endémiques de l’archipel. On peut ainsi citer, parmi ses espèces, une emblématique de l’archipel, le kôfaiou ’ofai (sesbania coccinea var. Tuamotensis), arbuste aux délicates fleurs rouges. Menacée de disparition car concurrencée par des espèces végétales introduites par l’homme, il bénéficie d’un statut de plante protégé.
Le Royaume de la pêche
Spécialistes et scientifiques ont coutume de décrire les atolls des Tuamotu comme des “oasis de vie” en raison de la richesse de leur faune et de leur flore sous-marine. Cette abondance place naturellement les activités liées à la mer au cœur de la vie quotidienne des habitants de l’île et plus particulièrement la pêche. Il serait d’ailleurs plus exact de parler des pêches tant elles sont variées car adaptées aux espèces et aux différents milieux présent sur les atolls.
Des algues bien particulières se développent dans ce milieu à l’apparence austère. Le novice se demande ce que l’on va bien pouvoir trouver là… Et pourtant, nous partons à la pêche au pati ou poisson-lait (Chanos chanos) qui fréquente ces mares sans craindre une indigestion d’algues et les eaux surchauffées. Mais il s’agit d’être un bon connaisseur de son comportement et un excellent tacticien pour positionner le filet dans les zones les plus favorables et tenter de rabattre les poissons dans le piège. Exercice qui est tout sauf simple et qui, lors de cette journée, ne donna pas grand chose… Quelques jours plus tard, la pêche au pati sera en revanche couronnée de succès mais cette fois côté lagon, sur l’un des grands bancs de sable de l’atoll. Là encore, on admire la savoir faire du pêcheur capable de repérer ses poissons dont la couleur se confond quasi totalement avec celle du sable. Seuls quelques reflets sur leurs brillantes écailles les trahissent. Il faut vraiment avoir l’œil.
La pêche est aussi un moyen privilégié pour découvrir toute la diversité et la beauté de Anaa. Pour ce faire, laissons-nous guider par Joël Dexter. Joël dirige la pension Anaa To’ku Kaiga, l’unique pension de famille de l’île, et il a à cœur de faire partager aux visiteurs ce qui est pour lui une véritable passion. Sur ses pas et pour une première pêche, direction un site dont l’apparence est fort éloignée du merveilleux monde aquatique des Tuamotu aux eaux claires tant loué par les plongeurs du monde entier. Près de l’ancien village de Putuahara, sur l’un des plus grands motu de l’atoll, s’étend sur plusieurs hectares, une vaste zone de mares à kôpara. Ces étendues sont asséchées ou noyées sous quelques centimètres d’eau selon les fluctuations du niveau du lagon et de la houle océanique.
Rendez-vous dans un hoa de la partie nord ouest de l’atoll. Ici, de grandes dalles coralliennes forment comme une chaussée émergée. Un proche de Joël nous montre son adresse au patia, le harpon polynésien constitué d’une longue tige de bois et de plusieurs pointes métalliques à son extrémité. L’outil semble rustique mais bien manié, il est redoutable ! Bien que certaines espèces soient des expertes en camouflage, elles ne trompent pas l’œil exercé du pêcheur. Après quelques minutes, trois tétrodons sont ramenés. Ces poissons sont très proches du fameux fugu japonais. Leur particularité est de se “gonfler” lorsqu’ils se sentent en danger. Mais surtout, ils possèdent une glande remplie d’un poison très puissant. Si le poisson est mal nettoyé, sa dégustation est fatale. Pourtant, à Anaa, il constitue un met de choix pour les habitants qui ont appris à le préparer avec délicatesse.
Autre lieu, particulièrement agréable pour la pêche : le récif-barrière, face à l’océan. La puissante houle vient déferler sur le platier avec dans chaque vague de belles carangues en chasse. Le lancer se fait au loin puis le leurre est ramené au moulinet avec doigté ; son mouvement, sous la surface, est semblable à celui des petites proies qu’affectionnent les prédateurs marins. Nul besoin d’attendre longtemps ! La canne de Joël se plie sous l’effort ! Pour ramener sa prise qui promet d’être belle, il se fait aider habillement par la puissance des vagues. Quelques tours de moulinet puis une pause pour éviter que la tension n’ait raison du matériel. Opération réussie avec à la clé, une superbe carangue bleue. Débutant, un pêcheur de notre petite troupe cassera nette sa ligne en tentant de ramener sans ménagement le poisson qui a mordu : adieu ligne, leurre et poisson naturellement ! C’est le métier qui rentre…
Sur l’atoll, les possibilités de pêche semblent infinies. Loin des rivières, on y pratique même la pêche à la mouche. On imagine le potentiel de développement d’une telle activité dans ce cadre absolument magnifique, avec en plus une large diversité de types de pêches. Mais il est temps de rentrer maintenant ! Et comme il est toujours l’heure de pêcher, les lignes sont mises à l’eau pendant le retour au village pour un coup de traîne dans le bleu du lagon. Là encore, ne faudra guère attendre pour que la canne plie… signe qu’un poisson est encore au rendez vous… Une terre d’abondance !

