Réunissant montagnes, lagons et motu, cet archipel est une destination un peu hors des sentiers battus mais proposant à ses visiteurs les plus beaux attraits des îles polynésiennes.
À 1 700 km à l’est de l’île de Tahiti, l’archipel des Gambier constitue l’extrémité orientale de la Polynésie française. Après un long survol du Pacifique Sud pour gagner ces terres isolées, l’arrivée révèle toute la majesté de ce petit bout de Polynésie. Là, se dévoile un ensemble d’îles regroupées dans un vaste lagon. Les contours de ce dernier apparaissent nettement au Nord et à l’Est mais s’effacent quasiment dans sa partie sud-ouest. L’archipel est constitué par les vestiges d’un unique et gigantesque édifice volcanique qui fut d’abord sous marin puis aérien. Aujourd’hui, le lagon en délimite les contours. Durant des centaines de milliers d’années, éruptions et effondrements cataclysmiques, érosions et variations du niveau de la mer ont fait disparaitre la majeure partie de cette masse, ne laissant subsister en surface que cinq principales îles hautes et dix-huit îlots et motu. Mangareva, Akamaru, Kamaka, Taravai et Aukena sont les principales terres des Gambier. Dominée par les deux “toits” de l’archipel, les monts Duff et Mokoto, Mangareva est la plus peuplée car accueillant sur sa côte est la commune de Rikitea où se concentrela grande majorité de la population. Au nord-est, se trouve une succession de motu dont le principal, Totegegie, abrite l’aérodrome, permettant la desserte aérienne de l’archipel. Entre toutes ces îles, le lagon décline ses bleus.
Peuplé dès le onzième siècle
Selon les recherches les plus récentes, l’archipel fut peuplé dès le onzième siècle de notre ère, lors du grand mouvement d’établissement des populations humaines dans cette zone du Pacifique Sud. Les Polynésiens y développèrent une société et une culture spécifique, notamment par sa langue, mais pas seulement. Le degré de complexité de l’organisation sociale, des arts et de la religion, est aujourd’hui une source d’étonnement et de questionnement. L’art, notamment, se distingue par l’étrange beauté des tiki, ces représentations anthropomorphiques de dieux et divinités. Des similitudes avec les cultures de l’archipel des Marquises et de celui des îles Cook ont été mises en évidence au niveau du langage et de la conception des édifices religieux. Ces points communs tendent à démontrer l’existence des échanges et des liens qui existaient dans ces temps pré-européens entre les îles polynésiennes en dépit des distances importantes. Malheureusement, peu de traces et de témoignages ont subsisté de cette civilisation des Gambier. Chercheurs et archéologues travaillent aujourd’hui à mieux la connaitre. Si les Polynésiens conquirent ces terres dès les années 1100, il fallut attendre le 24 mai 1797, pour que l’archipel soit aperçu pour la première fois par des Européens.
Les épidémies qui s’en suivirent, ainsi que l’exode des insulaires les plus jeunes, contribuèrent à la dépopulation de l’archipel qui passa de 2 200 âmes au début du XIXe siècle à environ 500 à sa fin. Les Gambier devinrent aussi, une halte pour les navires baleiniers qui sillonnaient le Pacifique Sud. La richesse en nacre et en perles fines du lagon aiguisèrent les appétits des commerçants, aventuriers et trafiquants de l’époque coloniale. Toutes ces ressources furent exploitées jusqu’à l’excès et sans que de réels bénéfices n’en reviennent aux communautés insulaires. Mais un des tournant de l’histoire récente est l’année 1834, avec l’arrivée sur les rivages des Gambier des missionnaires catholiques français de l’ordre des Frères des Sacrés Cœurs de Picpus. Sous l’impulsion passionnée de leur chef, le Père Laval, ils parvinrent en l’espace de quelques années à convertir toute la population au catholicisme. Jusqu’en 1871, les Pères dominèrent la vie sociale, économique et spirituelle de l’archipel, le transformant en bastion du catholicisme. Ils firent construire sur l’île de Mangareva la première cathédrale du Pacifique Sud : Saint-Michel de Rikitea. Mais cette influence rentra en conflit avec les visées de l’administration coloniale qui en 1891 annexa l’archipel en le rattachant définitivement à la France.
Ouvert sur l’Océan en de nombreux points et atteignant parfois des profondeurs importantes, il se distingue certes par sa beauté mais aussi par la richesse et la vitalité de sa faune et de sa flore. Un fait reconnu par les scientifiques et spécialistes. Dans ce panorama, il faut aussi mentionner l’atoll de Temoe qui dépend administrativement de l’archipel. À 45 km à l’est, cette île inhabitée mais riche en vestiges archéologiques de l’ère pré-européenne, est la véritable frontière de la Polynésie française. Dans le prolongement de l’axe Gambier – Temoe, on trouvera l’île de Pitcairn, à 500 km, et, plus loin encore, la fameuse île de Pâques, Rapa Nui. Situé au niveau du tropique du Capricorne, donc largement plus au sud que les îles de la Société, l’archipel bénéficie d’un climat bien moins tropical, avec des températures moyennes plus basses. Lors des mois de juin à septembre, correspondant à l’hiver dans l’hémisphère sud, la fraicheur peut même être au rendez vous, une sensation accentuée par les vents d’est et sud qui règnent sur l’archipel. Le visiteur devra veiller à ne pas se laisser surprendre et prévoir des vêtements un peu plus chauds ! Mais ce climat, loin d’être désagréable, est vivifiant ! Il favorise aussi le développement d’une végétation abondante et diversifiée.
Emmenant des missionnaires protestants de la London Missionnary Society à Tahiti, le navire du capitaine anglais Wilson repéra l’archipel mais n’y accosta pas. Cependant, le marin donna tout de même un nom à l’archipel : celui de l’officier de la Royal Navy James Gambier, un des importants soutiens de la LMS. La plus haute montagne aperçue fut baptisée du nom du navire emportant l’expédition, le Duff. Dès le début du XIXe siècle, les contacts s’accentuèrent entre habitants de l’archipels et visiteurs extérieurs. Des rencontres et un “choc de civilisations” avec son lots de conséquences négatives, dont l’introduction dans cette société jusque là préservée, d’armes à feux, d’alcool, et surtout de maladies extérieures contre lesquelles les populations n’étaient pas immunisées.
Un voyage unique
Aujourd’hui, cet archipel compte environ 1 400 habitants ; il connait depuis une vingtaine d’année un essor à la fois économique et démographique. L’important développement de la perliculture a apporté de réelles perspectives pour les jeunes générations d’insulaires. Très attachés à leurs îles, les habitants des Gambier souhaitent y travailler, y demeurer tout en préservant leur qualité de vie unique. La modernité s’est invitée dans ces îles du bout du monde mais les traditions, et notamment le reo mangareva, la langue parlée dans l’archipel, sont maintenues et transmises. Enfin, une prise de conscience se fait autours de l’importance du tourisme, activité qui dispose de solides atouts de par la beauté de l’archipel, sa riche histoire et l’existence d’un patrimoine bâti, héritage de la christianisation. Les raisons ne manquent donc pas pour faire venir dans l’archipel les visiteurs du monde entier en quête d’une expérience et d’un voyage unique.
Sur les pas des aventuriers de la foi
“La Providence prendra soin de vous !” tels furent les mots lancés aux pères missionnaires de l’ordre du Sacré Cœur de Picpus lorsqu’ils embarquèrent en janvier 1834 dans le port de Bordeaux en France en direction des îles polynésiennes. En ce début du XIXe siècle, alors que les Européens venaient tout juste de “découvrir” le Pacifique Sud, cet appel aux forces protectrices divines ne semblait pas inutile tant l’entreprise d’évangélisation paraissait risquée pour les pères Laval, Liausu, Caret et Murphy, les quatre “Picpusiens”. Leur mission : faire reculer le paganisme dans ces îles lointaines et inconnues. Ainsi commença l’une des plus marquantes pages de l’évangélisation des îles polynésiennes et plus généralement du Pacifique Sud. Une histoire révélatrice du contact et de la confrontation entre civilisations européenne et polynésienne au cours de ce XIXe siècle marqué par l’expansion coloniale des grandes puissances européennes. Une expansion qui vit en bien des endroits et comme l’explicite l’expression française, “l’alliance du sabre et du goupillon”, en clair la puissance alliée des militaires et des missionnaires.
À la tête de cette communauté, l’extraordinaire Père Laval. Charismatique, énergique, passionné et autoritaire, il parvient à convertir les populations de l’archipel avec beaucoup d’adresse – voire de ruse – mais aussi par les connaissances qu’il acquiert très vite sur cette société mangarévienne pré-européenne. Une société qu’il entend convertir et changer en profondeur afin d’en expulser les aspects considérés comme païens, mais une société qui cependant le fascine… Dans des écrits, il consignera soigneusement le fruit de ses observations. Il traduira également la bible en Mangarévien, contribuant ainsi à faire découvrir cette langue et à la préserver. Mais, comme bien souvent, c’est dans la pierre que les missionnaires catholiques décidèrent de graver l’ordre nouveau instauré aux Gambier. De 1840 à 1870, plus d’une centaine d’édifices religieux, mais aussi à usage courant, seront bâtis dans l’archipel sous l’impulsion de ceux que l’on appela les “Pères Bâtisseurs”. Une tâche et un projet unique dans l’ensemble des îles polynésiennes. L’archipel est aujourd’hui le dépositaire de ce patrimoine hors du commun. Il se découvre d’île en île. À Aukena se trouve ainsi la première église en pierre du Pacifique Sud : Saint-Raphaël d’Aukena, qui fut bénie en octobre 1839. Sur cette même île se trouve également un des vestiges les moins connus mais pas le moins émouvant, celui du collège de garçons édifié en 1858 sous la houlette des missionnaires.
Les pères “picpusiens” débarquent le 7 août 1834 sur la petite île d’Akamaru, dans les Gambier, au sein d’une société polynésienne encore isolée et préservée. En effet, si l’archipel fut “découvert” – ou plutôt aperçu – pour la première fois par les Européens en 1797, il fallut attendre 1826 pour que ces derniers débarquent véritablement, avec l’arrivée sur les rivages de l’archipel de l’explorateur anglais Beechey. Très vite, les missionnaires réussissent à convertir la population de l’archipel ; ils célèbrent leur première messe le 15 août 1834. Il ne faudra attendre que deux ans avant qu’ils parviennent à obtenir la conversion du roi des Gambier, Maputeoa alors baptisé du nom de Grégorio. Pendant presque 40 ans, les missionnaires régnèrent sur la vie sociale et spirituelle de l’archipel, y instaurant ce qui s’apparente à une quasi-théocratie tant la vie quotidienne fut régie par les commandements religieux.
Entre ces murs semblent encore raisonner les enseignements dispensés aux jeunes Mangaréviens. Non loin de là, à quelques mètres, le visiteur découvrira un imposant four à chaux très bien conservé, témoignage de l’importance de ce matériau qui servit à édifier les constructions religieuses de l’archipel ainsi que nombre de maisons d’habitations. Sur les principales îles hautes de l’archipel, le visiteur pour visiter chapelles, édifices religieux, écoles et constructions diverses remontant à cette époque. Un voyage sur les pas des aventuriers de la foi qui mènent de l’île d’Akamaru, avec sa magnifique petite église de Notre-Dame de la Paix, jusqu’à Taravai et son église Saint-Gabriel. Un voyage qui ne saurait être complet sans la découverte de l’aboutissement de cette œuvre de pierre et de foi : la cathédrale Saint-Michel de Rikitea, toute première du Pacifique Sud. Achevée et bénie en 1841, elle représenta un véritable défi tant par sa taille que par les techniques de construction qu’elle nécessita. Elle fut entièrement restaurée au cours des années 2010 et 2011, ce qui lui permit de retrouver tout son éclat d’antan.
Perles, la richesse de l'archipel
Célèbre et réputée dans le monde entier, la perle de culture de Tahiti – son appellation officielle – est pour une bonne partie une perle…des Gambier. Depuis plus d’une trentaine d’année, l’archipel est l’un des hauts lieux de la perliculture. Dès le début de l’aventure de la perle polynésienne, dans les années 1970, les Gambier accueillirent les pionniers de cette activité, convaincus des fortes potentialités de leur immense lagon pour l’élevage de l’huître perlière, la fameuse Pinctada margaritifera variété cumingii. Après un long travail d’élevage sous-marin suivi de différentes opérations de greffe, cette dernière engendre la perle de Tahiti. Une perle parfois improprement qualifiée de perle noire puisqu’à l’inverse elle se distingue par son étonnant panel de couleurs : cerise, pistache, mordoré, gris voir blanc… Les perles issues des Gambier sont justement réputées pour leurs couleurs et leur nuances particulières. L’environnement préservé de l’archipel et la bonne santé environnementale de son lagon sont évidemment des facteurs déterminants de cette réussite. Mais ils ne doivent pas faire oublier le travail, le savoir faire et la véritable passion des hommes qui participent tout autant à l’éclat incomparable de la perle des Gambier. Aujourd’hui, plus de 80 fermes perlières sont recensées dans l’archipel. Elles emploieraient plus de 70 % de la population active de l’île, soit environ 700 personnes. Un poids économique considérable à l’échelle de cette région et aussi une des origines du véritable renouveau à la fois économique et social. Jusqu’à la fin des années 1980, les habitants, et notamment les plus jeunes, quittaient bien souvent leurs terres natales pour Tahiti, “l’île capitale” avec ses nombreux emplois. Cette attirance pour les “lumières de la ville” a été supplantée par l’éclat et le lustre de la perle mangarévienne. De nos jours, les Gambier accueillent même des Polynésiens originaires d’autres archipels comme celui des Tuamotu, tout proche. Des années 1970 jusqu’au début des années 1980, l’archipel ne comptait guère que 500 habitants environ. Avec le “boom” de la perle, ils devinrent plus de 1 000 en 1987 puis 1400 en 2012. Les fermes perlières sont dans leur immense majorité regroupées dans la partie nord-ouest du lagon de l’archipel. Ce secteur est abrité des fortes houles et des vents dominants par la longue barrière naturelle que constitue l’île de Mangareva elle-même. Ici, le tableau est saisissant avec des milliers de bouées qui parsèment le lagon. Ces dernières signalent en surface les longues lignes sous-marines où sont accrochés les chapelets de nacres appelés “stations” dans le jargon de la perliculture. Dans ce dédale coloré circulent, en se faufilant avec adresse, les bateaux et barges des perliculteurs qui font d’incessantes navettes entres ces “champs” sous-marins et les fermes, ces constructions plus ou moins grandes édifiées sur le lagon pour être au plus près des nacres. Des plongeurs, engoncés dans leur combinaison, relèvent les lignes et sortent les nacres qui doivent être nettoyées périodiquement. Malgré les améliorations apportées au fil du temps, la perliculture demeure un travail difficile et ses résultats sont aléatoires… Les huîtres perlières doivent ainsi rester de longs mois sous l’eau afin que la couche de nacre de la perle atteigne une épaisseur suffisante. Bien qu’élevée à grande échelle, l’huître demeure encore un animal plein de mystères et d’une grande vulnérabilité. Le moindre changement dans son environnement marin ou encore l’apparition de maladies pourraient compromettre plusieurs années de travail. Des obstacles et des risques qu’acceptent les habitants de l’archipel car la perle, en plus de ses belles lumières, leur offre l’inestimable possibilité de vivre sur leurs îles natales, des terres auxquelles ils sont profondément attachés.