Isolé au cœur du Pacifique Sud avec ses îles aux paysages aussi beaux que rudes l’archipel des Marquises fascinent et attirent. Une renommée due, en partie, à de grands écrivains et artistes qui, dès le milieu du XIX è siècle, ont fait connaître cette terre. Sur leurs pas remontons aux origines du mythe.
En 1595, l’explorateur espagnol Alvaro de Mendaña découvrit par hasard le Fenua Enata qu’il nomma « Les Marquises » en référence à l’homme qui finançait son voyage, le vice-roi du Pérou, Garcia Hurtado de Lendoza, marquis de Cañete. Naviguant dans la Baie de Vaitahu, à Tahuata dans les îles du groupe sud, l’équipage espagnol prit la curiosité des îliens pour du vol, rien de moins, et repartit de Vaitahu après avoir tué deux cents indigènes. 179 ans plus tard, en 1774, arriva l’explorateur suivant en la personne du Capitaine James Cook. Puis, en 1779, le vaisseau anglais Duff débarqua les premiers missionnaires de la London Missionary Society qui venaient délivrer du paganisme ceux qui loueraient la parole du Seigneur. Les missionnaires considéraient les Marquisiens comme de « pauvres créatures », des « sous-hommes » auxquels il fallait montrer la lumière.
Herman Melville
Herman Melville est le premier auteur de génie à s’être rendu aux Marquises, bien qu’il n’ait encore rien publié lorsqu’il arriva sur place. Peu après la mort de son père, la société familiale fit faillite. En 1841, à l’âge de 22 ans, Melville voulut partir au loin. Il trouva du travail sur un baleinier américain, l’Acushnet, ce qui lui donna l’occasion d’échapper à tout ce qu’il connaissait et haïssait. Malheureusement, la vie quotidienne à bord ne lui convenait pas. En 1842, le navire arriva dans la Baie de Taiohae, sur l’île de Nuku Hiva aux Marquises. Avec son compagnon d’équipage Richard Tobias Greene, il déserta. De l’autre côté de l’île qu’ils ne connaissaient pas, une flotte française achevait d’annexer l’île. Pendant quatre mois, Melville partagea son temps entre Taiohae et la proche vallée de Taipi. Quelques années plus tard, en 1846, sortait son premier livre intitulé Taïpi. Il s’agissait d’un récit plus ou moins autobiographique de son séjour aux Marquises, mêlé à des informations qu’il avait lues dans les écrits du Capitaine James Cook et d’autres explorateurs. Ce livre, dont on parla comme des « aventures de Melville dans une vallée cannibale » permit de lancer sa réputation d’écrivain. D’ailleurs, au cours de sa vie, Taïpi fut son plus célèbre roman. Alors qu’aujourd’hui, c’est Moby Dick – du même auteur – qui est considéré comme son plus grand roman. Taïpi fut le premier livre dans lequel étaient romancées les Marquises et qui promouvait le mythe. Il était rempli d’images exotiques, avec une fête cannibale… La vahiné Fayaway fut la première indigène à peupler les rêves des Occidentaux. Melville pensait que, autrefois, les « Marquisiens étaient des païens barbares, ainsi que les appelaient les premiers Occidentaux ». Il pensait qu’un crime odieux avait été perpétré contre cette population dont le bonheur touchait à sa fin. Il était anti-missionnaire, anti-colonial et du côté du « bon sauvage » cher au philosophe français Rousseau.
Pierre Loti
L’obsession de la Polynésie vint à Pierre Loti (né Louis-Marie-Julien Viaud, 1850-1923) par le biais des lettres que, enfant, il recevait de son frère Gustave, médecin dans la Marine qui séjourna à Tahiti pendant 2 ans. Ces lettres décrivaient un « paysage paradisiaque, avec ses cocotiers alignés le long du rivage, et un climat tropical ». Le futur Pierre Loti fut très vite emporté par le charme de Tahiti. A l’âge de 17 ans, il s’engagea dans la Marine. Pour sa formation, il fut envoyé dans le Pacifique et séjourna à Papeete en 1872 pendant deux mois. Il visita également les Marquises où il exécuta plusieurs portraits remarquables de la Reine Vaekehu. On raconte que c’est à cette époque qu’il devint comme les indigènes. Bien qu’il n’ait passé que 63 jours en Polynésie, ce séjour fut assez long pour lui inspirer son premier ouvrage, Le Mariage de Loti. Certains voient dans ce livre une histoire d’amour romantique, tandis que d’autres le considèrent comme un sommet de l’esprit colonialiste. En fait, Loti y déplorait la disparition de l’ancien Tahiti à partir de l’arrivée de la civilisation occidentale. Ce premier livre compta parmi les meilleures ventes de l’époque et contribua à faire connaître Loti. Ce nom de « Loti » lui fut d’ailleurs donné par la Reine Pomare de Tahiti. En fait, l’écrivain avait mal compris le surnom que lui avait donné cette dernière et issu du terme tahitien « roti », signifiant « rose ». Quant à son prénom « Pierre », il lui fut donné par Sarah Bernhardt, célèbre actrice de théâtre de l’époque. Il battit par la suite le record de précocité d’entrée à l’Académie française où il fut élu en 1 892 à l’âge de 42 ans devançant un certain Emile Zola qui ne fut d’ailleurs jamais Académicien malgré ses 19 candidatures…
Un voyage aux Marquises…
Cette année, je suis allé visiter les Marquises. Je voulais voir par moi-même comment ces quatre artistes qui avaient mis les Marquises sur la carte du monde avaient marqué l’endroit. Ma démarche était plutôt simple, j’ai posé quatre questions aux personnes que j’ai rencontrées : avez-vous déjà entendu parler de Herman Melville ? Avez-vous déjà entendu parler de Pierre Loti ? Avez-vous déjà entendu parler de Robert Louis Stevenson ? Avez-vous déjà entendu parler de Paul Gauguin ? J’ai commencé dès l’embarquement dans l’avion d’Air Tahiti qui m’emmenait de Papeete à l’île de Hiva Oa, la destination finale de Gauguin. C’est sa tombe, ainsi que celle du chanteur Jacques Brel, qui sont le plus fréquemment demandées par les touristes. L’aéroport de Hiva Oa s’appelle Tohia Manu, Hiva Oa-Jacques Brel, et ce dernier a dit : « Le temps s’arrête aux Marquises ». J’ai d’abord posé mes questions à une Marquisienne de vingt ans, étudiante en économie à l’Université de Tahiti, qui était assise à mes côtés dans l’avion. En souriant, elle m’a répondu qu’elle connaissait Gauguin, mais aucun des trois autres. Au cours des cinq jours suivants, j’ai posé ces questions à des hommes et à des femmes de tous les âges, de 22 à 75 ans – trente personnes au total. Seules quatre d’entre elles connaissaient les trois écrivains, et elles ont tout aussi bien pu avoir menti ! Sur Hiva Oa, en revanche, toutes les personnes que j’ai interrogées connaissaient Gauguin, et tout le monde m’a dit que c’était un homme bon et gentil, quelqu’un à qui on pouvait toujours demander de l’aide. Je suis ensuite allé à Nuku Hiva, la plus grande île des Marquises. On a beau trouver une stèle dédiée à Herman Melville dans le centre-ville, seuls les guides semblent savoir de qui il s’agit, et personne ne pose de question concernant Loti ou Stevenson. Un steward marquisien de 48 ans m’a expliqué, lors de mon vol de nuit sur Air Tahiti Nui vers Paris, que l’histoire des Marquises ou de Tahiti n’était jamais enseignée dans les écoles ! Les étudiants n’apprenaient que la grandeur de la France et des Français. Autrefois, si on les surprenait à parler marquisien entre eux, on leur donnait des claques sur les mains. A mon escale suivante sur mon trajet vers Paris, j’ai rencontré quatre jeunes Marquisiens de 22 à 26 ans, qui m’ont donné la réponse habituelle. Mais ils ont voulu savoir qui étaient Melville, Loti et Stevenson. L’un d’entre eux déclara qu’un jour, peut-être, il pourrait enseigner cette partie de l’Histoire dans les écoles. Un autre s’esclaffa et ajouta : « Mais non, nos ancêtres, ce sont les Gaulois ! ». Tous les Marquisiens connaissent le Chef Iotete de Tahuata, le Chef Kitonui de Taiohae, Pakoko, et le Chef Keikahanui de Hatiheu. Et vous, connaissez-vous ces 4 quatre célèbres Marquisiens ?
Laurance Alexander Rudzinoff
On me demande souvent pourquoi tant d’écrivains et de peintres se sont rendus dans cet archipel isolé au milieu de l’Océan Pacifique au cours du XIXe siècle. La réponse tient en quelques mots : les Marquises représentaient l’échappatoire ultime à la civilisation. On pouvait y voir « l’autre » et aussi la fin de cette « espèce » en voie d’extinction ! J’ai choisi de parler de trois écrivains célèbres et de l’artiste le plus fameux à avoir visité les Marquises : Herman Melville, Pierre Loti, Robert Louis Stevenson et Paul Gauguin. Ces quatre hommes ont contribué à forger le mythe marquisien. Mais qu’est-ce qui les a poussés vers ces îles ?
Robert Louis Stevenson
Robert Louis Stevenson arriva aux Marquises en 1888. Il était chargé par le New York Sun, un journal newyorkais, de raconter son voyage dans les Mers du Sud. Il espérait que le doux climat tropical serait bon pour sa santé fragile. Il passa plus d’un mois aux Marquises et consacra la première partie de son livre Dans les Mers du Sud à cet archipel. Une fois sur place, ces îles devinrent une source d’inspiration pour lui. Le livre mêlent ses incroyables aventures et l’histoire des Marquises. « Sa terrible réputation m’affecta peut-être ; mais je considérai ces îles comme l’endroit le plus magnifique, et de loin le plus inquiétant et le plus sombre sur la terre. »
Paul Gauguin
Paul Gauguin est sans aucun doute le plus célèbre artiste à avoir visité les Marquises. La toile Mata Mua de 1892 illustre sa vision d’un monde païen idyllique qui, malheureusement, était en train de disparaître à son arrivée en Polynésie. Au premier plan, deux femmes au regard perdu se remémorent comment la vie était belle avant la venue des missionnaires. Réminiscence des temps anciens, trois autres femmes dansent devant la statue de Hina (la Déesse de la Lune). Les missionnaires avaient banni le culte des idoles ainsi que les danses cérémonielles. Tout au long de sa vie, Gauguin chercha quelque chose qu’il ne trouva jamais. Ce quelque chose était un mode de vie primitif éloigné de la révolution industrielle et de l’évolution conséquente de la société. Il pensa d’abord retrouver cette vie primitive dans la colonie d’artistes de Pont-Aven. Mais au moment de son départ de Bretagne, de nombreux touristes affluaient déjà quotidiennement. Il voulait « s’éloigner de tout ce qui était faux ». Son ami Vincent Van Gogh lui parla alors d’un livre à succès qu’il venait de lire Le Mariage de Loti, de Pierre Loti. Ce livre semblait contenir ce que Gauguin avait cherché toute sa vie durant. Loti décrivait la Polynésie comme un ensemble d’îles tropicales où personne ne travaillait, où les fruits étaient gratuits et les poissons libres, et où les femmes à la poitrine dénudée étaient dédiées à l’amour ! Sur le point de partir pour cette région du monde, Gauguin écrivit : « Je pars pour trouver la paix et le calme, pour me débarrasser de l’influence de la civilisation. Je ne veux faire que de l’art simple, très simple, et pour ce faire, je dois m’immerger dans la nature vierge, ne voir que des sauvages, vivre leur vie, sans autre pensée que de rendre, à la façon d’un enfant, les concepts formés dans mon cerveau, et le faire sans autre aide que les moyens primitifs de l’art, les seuls moyens qui soient bons et vrais. » En juin 1891, Gauguin arriva à Tahiti, où il fut extrêmement déçu. Papeete ressemblait à une petite ville provinciale isolée, sous l’autorité d’une administration très stricte. A l’automne 1901, Gauguin se rendit une seconde fois à Tahiti, puis s’installa à Atuona, sur l’île de Hiva Oa, dans l’archipel des Marquises, à mille deux cents kilomètres de Tahiti, où il mourut et fut enterré.