Coraux, « C’est de notre survie dont il est question »

L’île de Moorea avec sa couronne récifale percée par les baies d’Opunohu et Cook. ©Tim-Mckenna.comBernard Salvat, une vie entière consacrée à l'étude et la sauvegarde des récifs coralliens. © P. BacchetLe Criobe est implanté en baie d'Opunohu à Moorea. © P. BacchetAcropora valida, l'une des nombreuses espèces de coraux constructeurs de récifs. © P. BacchetLes coraux ont appris à résister aux marées basses exceptionnelles, comme ici dans le grand lagon des îles Gambier. © P. BacchetTubastrea aurea, une espèce qui ne déploie ses polypes que dans l'obscurité. © P. BacchetCôte sud de l'atoll de Rangiroa, deuxième plus grand atoll du monde et exemple parfait de « construction » corallienne. ©Tim-Mckenna.comÉpisode de blanchissement des coraux à Tahiti dans les années 2000, et invasion d'étoiles de mer épineuses (taramea). © P. BacchetÉpisode de blanchissement des coraux à Tahiti dans les années 2000, et invasion d'étoiles de mer épineuses (taramea). © P. BacchetArchipel des Tuamotu, l’atoll de Fakarava avec ses nombreux motu et, au second plan, la passe Tetamanu. ©Tim-Mckenna.comBora Bora, île haute ceinturée d’une barrière récifale. Elle absorbe la force des vagues et protège de leur action destructrice. ©Tim-Mckenna.com
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Scientifique, chercheur et professeur de réputation mondiale, Bernard Salvat a consacré sa vie à l’étude des récifs coralliens et à leur sauvegarde. En 1971 à Moorea, il a créé le Criobe, centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement. Il est notre guide pour découvrir cet écosystème fascinant qui est au cœur de l’environnement et de la vie polynésienne. Un regard nécessaire au moment où sur la planète entière les coraux sont menacés.

Pouvez-vous nous dire depuis quand des récifs coralliens existent sur notre planète ?

Bernard Salvat : Les coraux actuels constructeurs de récifs coralliens ont des ancêtres très lointains qui remontent à quelques centaines de millions d’années. Disons que les récifs coralliens du temps des dinosaures, il y a une centaine de millions d’années, ressemblaient un peu à nos récifs actuels, bien qu’il ne s’agisse pas des mêmes espèces.

Comment des coraux arrivent-ils à construire ces imposants récifs et former des îles ?

Leur secret réside dans leur association avec des algues minuscules que l’on appelle des zooxanthelles ; elles n’ont qu’une seule cellule et mesurent quelques microns (NDLR : unité de mesure, un micron correspond à millième de millimètre). Les parties vivantes du corail que sont ses polypes, sorte de petites anémones de mer les unes à coté des autres, en contiennent des millions par centimètre cube. C’est par cette association qui bénéficie aux deux partenaires animal et végétal, aussi appelée symbiose, que les coraux ont cette capacité à construire un squelette externe calcaire. Des coraux recouvrant une surface d’1 mètre carré produisent chaque année environ 10 kg de squelette. Quand le corail meurt, son squelette calcaire demeure et ainsi grandit le récif. Actuellement on compte quelque 800 espèces de coraux qui construisent des récifs coralliens.

Le Criobe est implanté en baie d'Opunohu à Moorea. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
L’île de Moorea avec sa couronne récifale percée par les baies d’Opunohu et Cook. <a href="/tim-mckenna-photographe">©Tim-Mckenna.com</a>
Bernard Salvat, une vie entière consacrée à l'étude et la sauvegarde des récifs coralliens. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Existe-t-il différents « types » de récifs coralliens ?

Oui, il existe plusieurs types de récifs coralliens, du moins peut-on les classer bien que la nature s’accommode mal de nos exigences de classification. Les plus communs en Polynésie française sont les récifs frangeants et les récifs-barrière qui bordent les îles hautes volcaniques et qui forment un complexe récifal très développé, allant du rivage au front du récif qui reçoit les vagues de l’océan. Et même au-delà puisque les peuplements coralliens se poursuivent sur la pente externe jusqu’à des profondeurs avoisinant les 80 mètres grâce à des eaux très claires. Et puis il y a les atolls, où il n’y a que du corail, des débris de leur squelette qui constituent les motu émergés de la couronne de l’atoll, et du corail vivant sur les pentes externes abruptes face à l’océan et dans le lagon avec les pâtés coralliens. La différence entre les récifs d’une île haute volcanique comme Moorea et un atoll, est que pour l’atoll l’édifice volcanique s’est enfoncé par son propre poids dans le plancher océanique, alors que les coraux ont continué à croître les uns sur les autres au fur et à mesure de cet enfoncement. Le volcan des atolls est en profondeur ; pour un atoll comme Mataiva ou Takapoto sous plusieurs centaines de mètres, sinon davantage.

Les coraux ont appris à résister aux marées basses exceptionnelles, comme ici dans le grand lagon des îles Gambier. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Vous indiquiez – 80 m. Pourquoi les coraux ne vivent-ils pas plus profond ?

Tout simplement parce que les algues symbiotiques des coraux ont besoin de lumière pour la photosynthèse. En profondeur, cette lumière devient insuffisante. Toutefois, en profondeur et jusqu’aux abysses à plusieurs kilomètres de profondeur, existent d’autre coraux qui ne possèdent pas de zooxanthelle. Ces coraux sont appelés « ahermatypiques » pour les opposer à nos constructeurs de surface (hermatypiques). Ils arrivent à construire ce que l’on nomme improprement « récifs de profondeurs » et qui sont des formations « bioconstruites ». Le terme de récif n’est pas correct car il signifie « écueil » en rapport avec la surface de la mer.

Les récifs de nos îles ont-ils été beaucoup étudiés et sont-ils bien connus ?

Les premières descriptions des récifs coralliens datent du XIXe et du début du XXe siècle mais c’est réellement après la fin de la Seconde Guerre mondiale que les recherches se sont développées. Il faut attendre 1969 pour que les premiers chercheurs sur les récifs coralliens – une cinquantaine – se rassemblent pour le premier colloque international puis la création d’une association internationale. Le dernier congrès des « récifaux » rassemblait plus de 2 500 chercheurs. Pour nos îles les premiers descripteurs datent du début du XXe siècle avec le laboratoire de zoologie de Rikitea, aux Gambier, par L-G Seurat qui visita et publia sur de nombreux atolls des Tuamotu comme Marutea. Depuis 1965, les recherches se sont multipliées sur les récifs de nos îles. On peut estimer que plus de 3 000 travaux ont été publiés. Le récif de Tiahura  à Moorea a été l’objet de l’attention de plus de 300 chercheurs et il est connu du monde entier par les travaux du Criobe que vous mentionniez au début de notre interview. On peut dire que les récifs de Polynésie française sont relativement bien connus quoique bien des atolls n’aient pas encore été étudiés.

Mais quel est l’intérêt de ces recherches ?

J’allais y venir, car le chercheur travaille dans un contexte culturel, économique et social. Comprendre permet de mieux gérer et les chercheurs participent et s’investissent dans les aires marines protégées, la lutte contre les pollutions, les réglementations… Mais ils ne peuvent qu’apporter leur concours aux décisions qui sont politiques.

Les îles de la Société, les Tuamotu et les Australes possèdent des récifs florissants, pourquoi n’est-ce pas le cas aux Marquises, et aussi à Rapa tout au sud des Australes ?

Comme vous le savez, au cours de la dernière période glaciaire le niveau de la mer était environ 140 m plus bas qu’actuellement. Les calottes polaires condensaient en glace une grande partie de l’eau de notre globe. À la fonte des glaces, il y a environ 14 000 ans, le niveau a remonté. On entrait dans une période interglaciaire et au cours des 14 derniers millénaires le niveau s’est élevé jusqu’à son niveau actuel. Dans les îles de la Société et les Tuamotu, les coraux ont continué à croître et, par accumulation de leurs squelettes, le récif a suivi la montée des eaux.  Vous avez environ 40 m de coraux entassés depuis 14 000 ans sous le récif-barrière de Tahiti. Ceci a été possible parce que les conditions de l’océan, essentiellement la température, ont permis aux coraux de prospérer. En revanche, aux Marquises les conditions de milieu ont été défavorables, sans doute la température des eaux trop froides en raison de courants profonds, et les coraux n’ont pas suivi. Le récif plus ancien est sous 110 mètres d’eau. À Rapa, aux Australes c’est la température actuelle de l’eau, un peu trop fraiche, qui n’a pas encore permis l’installation de récifs coralliens importants.

Côte sud de l'atoll de Rangiroa, deuxième plus grand atoll du monde et exemple parfait de « construction » corallienne. <a href="/tim-mckenna-photographe">©Tim-Mckenna.com</a>

Existe-t-il des différences fondamentales entre les récifs coralliens des différents archipels qui en possèdent ?

Il y a les différences morphologiques que nous évoquions entre les formations récifales des îles hautes et celles des atolls. On peut également remarquer les récifs peu développés de l’îlot volcanique Mehetia, à l’est de Tahiti, dont les dernières éruptions ne datent que de quelques milliers d’années et où la construction récifale est toute récente.  Mais lorsqu’existent les récifs, il n’y a pas de différence fondamentale entre les archipels hormis une richesse en espèces différente. Les récifs des îles de la Société sont les plus riches en espèces de coraux, de mollusques ou de poissons, mais cela n’affecte pas leur abondance. Par ailleurs, des archipels ont vu évoluer des espèces qui leur sont devenues propre, comme aux Marquises avec un endémisme qui, pour plusieurs groupes, dépasse 10 % de toutes les espèces.

Outre le fait que ces récifs de corail et les lagons constituent l’emblématique paysage pour le tourisme en Polynésie française, ont-ils d’autres avantages ?

Bien sûr, car l’emblématique paysage et le tourisme ne sont qu’un aspect très récent de l’économie des îles polynésiennes. Le premier avantage des coraux et des récifs pour le Pays est que sans eux, les 85 atolls sur les 118 îles que compte la Polynésie française, n’existeraient absolument pas. En effet, les coraux se sont accrochés aux pentes des îles volcaniques à leur naissance et ont continué à croître alors que l’édifice volcanique s’enfonçait ; le basalte a disparu sous les coraux qui constituent maintenant les atolls. Le second avantage des récifs est la protection des côtes contre les assauts de la mer et lors des cyclones. Le troisième avantage des récifs, et non des moindres, consiste en un garde manger pour les habitants, une réalité qui par ailleurs imprègne fortement la culture polynésienne. Et n’oublions pas la perliculture.

Épisode de blanchissement des coraux à Tahiti dans les années 2000, et invasion d'étoiles de mer épineuses (taramea). <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
Tubastrea aurea, une espèce qui ne déploie ses polypes que dans l'obscurité. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
Épisode de blanchissement des coraux à Tahiti dans les années 2000, et invasion d'étoiles de mer épineuses (taramea). <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
Acropora valida, l'une des nombreuses espèces de coraux constructeurs de récifs. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Quel est actuellement l’état des récifs coralliens de notre territoire, et quelles dégradations majeures ont-ils subi ?

L’état des récifs dans le monde n’est guère brillant suite aux dégradations et pollutions liées aux activités humaines et à la croissance démographique. Les chercheurs ont commencé à tirer la sonnette d’alarme au début des années 80 et à cette époque il n’était pas question du changement climatique. Les récifs de Polynésie française sont relativement en bon état si l’on considère l’échelle des 118 îles avec une trentaine d’atolls inhabités. Bien entendu, les récifs des zones urbanisées sont dégradés, mais il s’agit des lagons et non des pentes externes des récifs qui sont la partie vivante de l’écosystème. En dehors des dégradations humaines, les récifs subissent les effets dévastateurs des cyclones, des périodes d’eaux anormalement chaudes et qui déclenchent blanchissement (les coraux perdent leurs algues et leurs couleurs) et mortalité des coraux, ou des invasions de la taramea, l’étoile de mer épineuse qui se nourrit des polypes des coraux. Tous ces phénomènes ont toujours existé mais c’est la fréquence et l’intensité plus forte de certains qui nous interpelle quant à l’avenir des récifs coralliens .

Archipel des Tuamotu, l’atoll de Fakarava avec ses nombreux motu et, au second plan, la passe Tetamanu. <a href="/tim-mckenna-photographe">©Tim-Mckenna.com</a>

Vous voulez parler du changement climatique ? Et qu’en est-il du devenir de nos récifs ?

Bien entendu l’avenir est très préoccupant pour les récifs et pour certaines îles. Le réchauffement des eaux océaniques est le plus inquiétant. Les coraux ne supportent pas une température estivale de 1°C au-dessus de la normale. Lorsque les eaux restent plusieurs jours au dessus de 29-30 °C ils blanchissent et meurent. Les prévisions sont que vers 2040 ou 2050 selon les scénarios de rejets de gaz à effets de serre, avec une élévation de la température de 1,5 ou 2,5 °C, les phénomènes de blanchissements risquent d’être annuels et dans ce cas-là les récifs ne seront plus « résilients » : ils auront beaucoup de mal à récupérer. L’acidification des eaux, avec un ph qui baisse, diminue le potentiel de calcification des coraux, mais ce risque sera majeur à plus long terme. Dans l’immédiat c’est la température qui nous fait peur. Quant aux cyclones, les prédictions sont partagées : peut-être à peine plus nombreux mais sans doute plus intenses.

Mais vous ne parlez pas du niveau marin qui va monter ? Et pour nos îles ?

Votre question précédente était sur les récifs coralliens. Pour ces derniers l’élévation du niveau de la mer est une bonne chose car ils vont gagner de l’espace. Mais pour l’habitabilité c’est une autre histoire. Les avis des chercheurs sont partagés sur le devenir des atolls dont l’altitude n’est que de 4 m. Pour rester sur la Polynésie française, où l’élévation du niveau de la mer a été d’une vingtaine de centimètres en 70 ans (depuis 1950), les constats que nous avons fait sur des atolls du nord ouest des Tuamotu (Mataiva, Rangiroa, Takapoto…) montrent que la majorité des motu sont restés stables (77 %) ou ont grandi (15 %) et qu’une minorité (8 %) ont vu leur surface réduite.

Que faire pour protéger nos récifs ?

En dehors de la réponse à l’échelle mondiale qui est de réduire les rejets de gaz à effets de serre, il y a les actions de politique publique locale et les actions citoyennes. Pour les responsables politiques, il s’agit de réduire autant que faire se peut les dégradations et pollutions anthropiques qui endommagent les récifs depuis des années, car un récif en bonne santé se défendra mieux face aux conséquences du changement climatique. Il faut donc mieux gérer les récifs pour leur donner plus de résilience. Pour le citoyen, il s’agit d’être respectueux de l’environnement en pensant que « tout va à la mer » et de se mobiliser dans les associations de protection de la nature face à un développement trop souvent destructeur pour des intérêts immédiats. C’est de notre survie dont il est question !

Propos recueillis par Ludovic Lardière

Bora Bora, île haute ceinturée d’une barrière récifale. Elle absorbe la force des vagues et protège de leur action destructrice. <a href="/tim-mckenna-photographe">©Tim-Mckenna.com</a>
Coraux, « C’est de notre survie dont il est question »
Coraux, « C’est de notre survie dont il est question »
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Scientifique, chercheur et professeur de réputation mondiale, Bernard Salvat a consacré sa vie à l’étude des récifs coralliens et à leur sauvegarde. En 1971 à Moorea, il a créé le Criobe, centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement. Il est notre guide pour découvrir cet écosystème fascinant qui est au cœur de l’environnement et de la vie polynésienne. Un regard nécessaire au moment où sur la planète entière les coraux sont menacés.
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