Costume du Chef des deuilleurs, Ambassadeur de la Polynésie à Göttingen en Allemagne

Reconstitution actuelle d'un costume de chef de deuilleurs à l'occassion d'un spectacle de danse du Heiva i Tahiti 2011 par le groupe Hanatika - © G.BoissyCostume de chef des deuilleurs tel que dessiné par le tahitien Tupaia en 1769 - © DRTissu d’écorce, écailles de tortue, plumes, nacre. 210 cm de haut - 18e siècle - Tahiti ou les îles de la Société- © DRAmbassadeur de la Polynésie à Göttingen en Allemagne - © DRLe masque du chef des deuilleurs est aussi composé par deux coquilles de nacre en forme de demi-cercles - © DR
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Présente dans le monde entier des œuvres d’art polynésiennes permettent de faire découvrir notre culture au delà de nos îles. Nous vous proposons de découvrir un de ces ambassadeurs artistiques: le superbe et étrange costume porté dans les temps anciens par le chef du groupe des deuilleurs présent lors de l’enterrement des personnes de haut rang social. Une œuvre issue des collections du Musée Académique de Göttingen en Allemagne.

Tissu d’écorce, écailles de tortue, plumes, nacre. 210 cm de haut – 18ème siècle Tahiti ou les Iles de la Société

Reconstitution actuelle d'un costume de chef de deuilleurs à l'occassion d'un spectacle de danse du Heiva i Tahiti 2011 par le groupe Hanatika - © G.Boissy
Reconstitution actuelle d'un costume de chef de deuilleurs à l'occassion d'un spectacle de danse du Heiva i Tahiti 2011 par le groupe Hanatika - ©G.Bossy

Personne ne voulait croiser son chemin…

Le rôle de ce personnage consistait à circuler autour de la propriété du défunt en paraissant fou de douleur et en terrorisant quiconque croisait son chemin. Comme le groupe qui l’accompagnait portait des armes et était plutôt violent, personne ne voulait croiser leur chemin, de peur d’être battu et même tué… Il s’agissait de jeunes membres de la famille extrêmement agités, appelés neva neva, qui exprimaient leur douleur en frappant tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin. À l’aide d’un instrument spécial fait de coquillages, un peu comme une crécelle, les deuilleurs ce cortège prévenait de son arrivée.

Placés sur le sommet de la tête du chef des deuilleurs, se trouvent quatre coquillages brun-rouge, avec un rembourrage d’étoffe d’écorce derrière eux. Ces coquillages sont réunis par une ficelle en fibres de noix de coco. Au-dessus, pointent des plumes blanches et noires provenant de la queue d’un oiseau tropical. Les Tahitiens considéraient ces plumes comme sacrées et détentrice de pouvoirs surnaturels.

On en dénombre 130 sur cet exemplaire. Considérant que chacun de ces oiseaux n’en possède pas plus de deux, on peut en déduire qu’il fallait 65 oiseaux pour la confection d’un tel costume… Or ces oiseaux étaient rares et difficiles à attraper. On pouvait sérieusement risquer sa vie en cherchant à les surprendre dans leur nid. Le capitaine anglais Wilson qui se rendit à Tahiti en 1797 à bord du Duff écrivit dans son ouvrage A Missionary Voyage to the Southern Pacific Ocean paru à Londres en 1799 : « À Tahiti, cet oiseau tropical construit son nid dans les cavités des falaises escarpées faisant face à la mer ».

Le costume du Chef des deuilleurs, connu sous le nom de heva ou heva tupapa’u, était précieux et très élaboré. Il était porté pendant les cérémonies funéraires des Tahitiens de haut rang. Ces costumes furent très convoités par les membres des différentes expéditions dans le Pacifique du célèbre navigateur et explorateur anglais de la fin du XVIIIe siècle, James Cook. Ce costume fait partie des dix recensés et connus à ce jour. Il est probable que certaines de ces tenues extraordinaires furent échangées par les explorateurs contre des plumes rouges apportés des îles Tonga et dont les Tahitiens croyaient qu’elles leur assuraient les faveurs du dieu de la guerre Oro. D’autres costumes firent l’objet de cadeaux prestigieux à d’importants invités.

Ce costume de chef des deuilleurs appartient à la collection Cook/Forster. Il fut probablement rapporté en Europe par le capitaine Cook lors de son second voyage. Rappelons que Cook fit trois grandes explorations dans l’Océan Pacifique : en 1768 – 1771, en 1772 – 1775 et une dernière, fatale pour lui, en1776 – 1779/80. Johann Reinhold Forster et son fils aîné accompagnèrent Cook en tant que naturalistes sur le navire Résolution, lors du second voyage.

Cook et son équipage eurent l’occasion de voir ces costumes portés à plusieurs reprises. Lors du premier voyage de Cook en1769, le naturaliste Joseph Banks, membre de l’expédition, participa même à l’une de ces cérémonies de deuil. Pour cela ses vêtements européens lui furent retirés. On lui donna un petit bout d’étoffe à nouer autour de la taille et son corps fut ensuite couvert de charbon de bois jusqu’à ce qu’il devienne noir…

Lorsqu’une personne d’importance décédait, sa famille s’organisait pour qu’un groupe de deuilleurs professionnels le pleure publiquement. Une telle organisation avait un coût plutôt élevé. Le chef des deuilleurs et ses compagnons devaient être logés et nourris. Des cadeaux devaient leur être offerts en rétribution du temps pleuré. Le costume du chef des deuilleurs coutait extrêmement cher. Une simple coquille de nacre valant, en terme d’échange, le prix d’un cochon…

Tissu d’écorce, écailles de tortue, plumes, nacre. 210 cm de haut - 18e siècle - Tahiti ou les îles de la Société- © DR
Le masque du chef des deuilleurs est aussi composé par deux coquilles de nacre en forme de demi-cercles - © DR

Des milliers de pièces de nacre

Le masque du chef des deuilleurs est aussi composé par deux coquilles de nacre en forme de demi-cercles. D’étroites bandes d’écailles de tortue coupées en forme de zigzag cachent la partie où les deux coquilles se rejoignent. Une ouverture de 1,5 cm dans la coquille de droite permet au porteur du costume de voir. Sous le masque se trouve un ornement pectoral en bois en forme de croissant, mesurant 71 cm. Cinq coquilles de nacre y sont fixées. Les coquilles positionnées aux deux extrémités sont ornées de plumes bleu et vert-noir, probablement des plumes d’un pigeon endémique de Tahiti.

Le bord inférieur du pectoral possède des petits trous où sont attachées de fines ficelles avec plus de mille petites nacres taillées en rectangle (en moyenne de 0,3 cm d’épaisseur). Disposant d’une ouverture pour la tête, la robe du deuilleur est faite de bandes de tapa, ou ‘ahu en langue tahitienne.

Au-dessus se trouve une natte finement tressée avec sept rangées de petits disques de noix de coco de forme ronde et quelques coquillages. L’envers de la robe ressemble à un filet composé de nombreuses cordelettes, avec des touches de plumes de coque noir-gris. La tenue est complétée par une ceinture de tissu faite d’écorce tressée de couleur naturelle maintenue par d’étroites bandes d’étoffes de tissu d’écorce rouge brun. Les autres deuilleurs du groupe ne portaient que des pagnes et recouvraient leur corps de suie, parfois décorés de peinture rouge et blanche par-dessus la suie.

 

Laurance Alexander Rudzinoff

Costume de chef des deuilleurs tel que dessiné par le tahitien Tupaia en 1769 - © DR

Aquarelle du costume de chef des deuilleurs par Tupaia

Jusqu’à récemment, l’auteur de cette aquarelle et d’un ensemble d’autres de ce style européen était inconnu ! Il avait été le plus souvent attribué à Joseph Banks, le jeune et riche botaniste anglais qui accompagna le Capitaine Cook lors de son premier voyage. Mais en fait, elles ont été réalisées par Tupaia, un tahitien qui embarqua avec l’expédition de Cook en 1769 !

Le 13 juillet de cette année-là, le capitaine Cook et son bateau The Endeavour quittaient Fort Venus dans la baie de Matavai à Tahiti. A bord, se trouvait donc Tupaia, un navigateur talentueux qui guida Cook à travers les îles que l’on appelle maintenant les Îles de la Société

En avril 1997, le biographe de Joseph Banks, Harold B Carter, trouva (à la collection Banks du Fitzwilliam Musuem de Cambridge en Angleterre) une lettre jusqu’ici inconnue datée de 1812 écrite par Banks à Dawson Turner, un membre de la Royal Society de Londres. Banks y écrivait : « Tupaia, l’Indien qui vint avec moi depuis Otaheite (NDLR : ce qui désignait à l’époque l’île de Tahiti) apprit à dessiner d’une façon pas tout à fait inintelligible. Le génie de la caricature que toutes les personnes sauvages possèdent l’a conduit à me caricaturer et il me dessina avec un clou dans la main le remettant à un indien avec qui je troquais un homard. Mais avec mon autre main je maintenais fermement le homard, déterminé à ne pas abandonner le clou avant d’entrer en possession de mon achat.»

Certains historiens pensent que durant le voyage de l’Endeavour, Tupaia apprit à peindre dans le style européen avec Sydney Parkinson, l’artiste écossais du bateau et le secrétaire et dessinateur de Banks, un Suédois nommé Herman Diedrich Sporing, qui parfois dessinait les mêmes sujets.

Tupaia possédait l’incroyable connaissance de l’océan du peuple polynésien. Il dressa pour le capitaine Cook une carte couvrant quelques 2200 Km2 d’océan. À partir de la description de Tupaia des 72 îles autour de Tahiti, fut dressée une carte à partir du moment où l’Endeavour quitta Tahiti. Par la suite, Tupaia prit en charge chaque rencontre avec les populations indigènes. Tupaia mourut en mer. Cook ne voulait pas partager sa gloire avec un “sauvage”. Dans l’épitaphe qu’il lui consacra, le capitaine écrivit que Tupaia, tout en étant rusé et ingénieux, était également « fier et obstiné », ce qui souvent rendait la situation à bord à la fois désagréable pour lui et pour son entourage.

Ambassadeur de la Polynésie à Göttingen en Allemagne - © DR
Costume du Chef des deuilleurs,  Ambassadeur de la Polynésie à Göttingen en Allemagne
Costume du Chef des deuilleurs, Ambassadeur de la Polynésie à Göttingen en Allemagne
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Présente dans le monde entier des œuvres d'art polynésiennes permettent de faire découvrir notre culture au delà de nos îles. Nous vous proposons de découvrir un de ces ambassadeurs artistiques: le superbe et étrange costume porté dans les temps anciens par le chef du groupe des deuilleurs présent lors de l'enterrement des personnes de haut rang social. Une œuvre issue des collections du Musée Académique de Göttingen en Allemagne.
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