Elle a donné son nom à notre pays et est à l’origine d’un mythe, celui d’un paradis terrestre : Tahiti ! Un nom, certes, mais avant tout une île, la plus importante par sa superficie, la plus haute et la plus peuplée. Nous vous proposons une découverte ou une re-découverte avec une série de trois articles. Nous débutons cette exploration par un lieu un peu hors des sentiers battus : Tahiti Iti, la presqu’île, l’extrémité est de l’île de Tahiti.
Ce que la plupart des visiteurs ignorent, c’est que Tahiti – relativement jeune à l’échelle géologique – est constituée de… deux îles : Tahiti Nui, la grande, et Tahiti Iti, la petite, plus communément appelée « la presqu’île », ou encore Taiarapu. Il s’agit en fait de deux boucliers volcaniques, sortis de la mer à des époques différentes, mais aujourd’hui inactifs et reliés par un étroit bras de terre, l’isthme de Taravao. Remonter mentalement à ces époques reculées permet de visualiser un monde de fournaise magmatique, aujourd’hui disparu, à la constitution complexe. Tahiti Iti aurait en effet émergé en deux temps, après Tahiti Nui, il y a entre 950 000 et 450 000. Le plateau de Taravao, entre Tahiti-Nui et Taiarapu, est quant à lui issu d’un édifice volcanique autonome plus récent. Avec ses 12 km de diamètre, Tahiti Iti ne dispose pas de sommet dépassant les 2000 m comme Tahiti Nui, mais le Mont Roonui – son point culminant – atteint tout de même 1332 m et la presqu’île est riche d’une diversité de paysages qu’elle n’a pas à envier à sa grande sœur.
Un voyage dans le temps
Les Polynésiens, dont on estime qu’ils sont arrivés dans le courant du premier millénaire de l’ère commune dans nos îles, n’ont eux-mêmes pas connu les soubresauts éruptifs des terres sur lesquelles ils se sont installés. Mais en eurent-ils l’intuition de cette naissance mouvementée, évoquant dans l’un de leurs mythes de création le geste du dieu Taaora qui brisa sa coquille, rendant ainsi possible la création de l’univers ? Quand les premiers Européens arrivèrent à Tahiti plusieurs siècles plus tard, à la fin des années 1770, ils découvrirent des populations organisées en chefferies plus ou moins autonomes mais reliées par des systèmes d’alliance et d’allégeance complexes, fondées sur les liens de parenté de leurs dirigeants et sur leur puissance guerrière. La presqu’île de Taiarapu était quant à elle reliée en grande partie à une fraction du puissant clan des Teva, sans doute le plus puissant de Tahiti à l’époque, les Teva i tai ou Teva de la mer. De nombreux vestiges archéologiques attestent d’une présence humaine ancienne sur le littoral et dans plusieurs vallées. Malheureusement, beaucoup d’entre eux sont encore enfouis sous terre ou cachés dans la brousse, et bien que certains aient fait l’objet de fouilles d’identification dans les années 1970, et ils ne sont pas (ou peu) accessibles.
Les recherches effectuées ont amené les archéologues à confirmer – dans les temps pré-européens – la grande densité du peuplement de l’intérieur des terres, aujourd’hui une zone quasi désertée. Les chercheurs émettent aussi l’hypothèse que c’est dans cette partie de l’île de Tahiti qu’aurait été introduit le culte du dieu Oro, en provenance de Raiatea (îles Sous-le-Vent). Ce dieu de la guerre aurait été dominant à l’époque du « contact » avec les Européens, au XVIIIe siècle. C’est sans doute à Maximo Rodriguez, arrivé sur l’île lors de la seconde expédition de l’Espagnol Boenechea, que l’on doit la plus ancienne description de la vie des habitants de Taiarapu. Ayant appris la langue du pays et servant de traducteur lors d’une tentative avortée d’évangélisation catholique, il établit des liens avec les arii (chefs) du lieu, qui l’adoptèrent, et il eut l’occasion, durant ses dix mois de présence (en 1774), de rédiger un journal dans lequel il décrivit les mœurs des Tahitiens. C’est à Tautira, localité du nord de Taiarapu, que se déroula cette page de l’Histoire. Le célèbre explorateur anglais Cook ancra lui aussi son navire à Tautira le 12 août 1777. Une succession de visites de navigateurs se produisit ensuite dans la presqu’île à partir de 1788. Un mutiné de la Bounty, Churchill, succéda même à l’arii Vehiatua décédé sans postérité en 1790, avant… de se faire tuer par un autre marin, jaloux, Thomson.
Deux prêtres de l’ordre catholique de Picpus, Caret et Laval, abordèrent ce rivage, en 1836. Ils voulaient déjouer la vigilance du pasteur protestant Pritchard, alors très influent à Tahiti auprès de la reine Pomare IV et qui voulait interdire la présence de missionnaires catholiques. Leur arrivée, leur découverte et l’incident qui s’en suivit – car ils furent ensuite expulsés – fut à l’origine d’un conflit politico-religieux avec la Grande-Bretagne qui aboutit à l’instauration du protectorat français sur Tahiti. Cette petite localité de la côte nord accueillit aussi pendant deux mois, en 1888, l’écrivain Robert-Louis Stevenson, inoubliable auteur de L’Île au trésor. Celui-ci y trouva « le paradis et le peuple le plus aimable au monde ». Dans les années 1930, le cinéaste Murnau y tournera des scènes du célèbre film Tabou. La côte sud de la presqu’île est aussi riche de souvenirs des temps passés. Le livre Tahiti aux temps anciens raconte comment, à Teahupo’o, suite à une bataille, un marae – ou un mur de frontière selon une autre version – fut édifié avec les crânes des vaincus…
Un monde à découvrir
Peu de monuments ou d’objets issus de l’art ou de l’industrie des hommes ne subsistent hélas de ces périodes d’antan. La presqu’île de Tahiti offre en revanche des conditions idéales pour les amoureux de la nature. De spectaculaires paysages s’y dessinent : la baie située à l’embouchure de la rivière Vaitepiha à Tautira ; la vue sur Tahiti, depuis le belvédère de Puunui ou encore les falaises du Pari en sont des exemples. Partons à la découverte de ce bout du monde en quittant Taravao, la bourgade située au cœur de l’isthme qui sépare Tahiti Nui de Tahiti Iti. Si elle ne présente pas de caractéristiques particulières, étirée en longueur tout au long de l’isthme, Taravao est la porte d’entrée d’un plateau qui présente des paysages que d’aucuns comparent… à ceux de la campagne normande en France métropolitaine. On y trouve en effet des pâturages où paissent de paisibles vaches laitières. On pense que les premières de leurs ancêtres furent importées lors de l’une des expéditions espagnoles de Boenechea, entre 1772 et 1774. Une route en lacet mène à un belvédère, à 600 m de hauteur, qui permet d’admirer le relief volcanique de Tahiti dans toute sa largeur, et à ses pieds l’isthme de Taravao. L’occasion de découvrir, inscrite sur une table d’orientation la légende de Tahiti – poisson mythique – qui veut que Tahiti Nui en soit le corps, et Tahiti Iti la tête.
Poursuivons notre voyage en reliant la côte nord de la presqu’île par une petite route de montagne qui redescend jusqu’à la mer à travers forêts et cultures, la presqu’île étant une zone maraichère importante de Tahiti, en la commune d’Afaahiti notamment. De Pueu, on rejoindra la pointe de Tautira où débouche la rivière Vaitepiha, la plus grande rivière de Tahiti après la Papenoo. Avant d’entrer dans le village on y découvrira un panorama grandiose sur la vallée et les pics qui la bordent. Pour les amateurs de randonnée pédestre, il est possible de suivre cette vallée et, après avoir passé un col, de rejoindre l’autre côte à travers un paysage forestier tropical (guide conseillé). Tautira qui vit au rythme rural d’antan, et dont on a vu qu’y fut écrite une page d’Histoire, est un cul de sac. Là s’arrête la route goudronnée qui prolonge sur la côte est de la presqu’île la route de ceinture qui entoure Tahiti. Au-delà, c’est le Fenua Aihere, la « terre des broussailles », auquel on n’accède – à pied – que par un chemin puis un sentier, ou bien… en bateau. Le Fenua Aihere est aussi un but de randonnée qui permet de rejoindre les falaises de Te Pari.
On pourra aussi choisir de rejoindre le Pari par la côte ouest de la presqu’île, après avoir passé Vairao et ses bassins d’élevage de crevettes. En longeant la côte de Vairao, on apercevra les grosses bites d’amarrage qui ont permis d’assurer dans la baie la plus profonde de Tahiti le mouillage du paquebot France et des porte-avions français Foch et Clémenceau. Au bout des 18 kilomètres de route qui le séparent de Taravao, voici le village de Teahupoo (Te ahu-Poo, le mur des têtes). Ce nom n’évoque plus guère la bataille ancestrale qui donna lieu à l’édification de murs qui auraient été faits à partir des crânes des vaincus. Aujourd’hui Teahupoo est synonyme de vague. Une vague de surf parmi les plus célèbres de la planète et où se déroule l’une des plus importantes compétitions internationales, la Billabong Pro Tahiti. Comme à Tautira, la route s’arrête aussi à ce village. Ce peut être également le point de départ pour découvrir l’autre littoral du Fenua Aihere, sur sa côte ouest, et rejoindre ainsi les falaises du Pari.
Une beauté sauvage et discrète
Entre Tautira et Teahupoo est situé le Fenua Aihere qui pointe à l’est avec les falaises du Pari. Ce littoral d’une trentaine de kilomètres, le plus « sauvage » de l’île, et qui n’est toujours pas desservi par une route, était autrefois habité. Pour preuve, sur sa côte est, des pétroglyphes – accessibles uniquement à pied ou par bateau. Au XIXe et même encore au XXe siècle, cet isolement n’empêcha pas, bien au contraire, la villégiature de plusieurs « hommes nature », heureux de trouver là les conditions d’une vie hors d’atteinte de la civilisation. Aujourd’hui, ce littoral, seulement occupé par quelques maisons de pêcheurs, est un but encore confidentiel de balade « nature ». Côte ouest, un peu avant les falaises escarpées du Pari, à une petite dizaine de kilomètres de Teahupoo, on découvrira la grotte de Vaipori, classée site légendaire, dans son environnement végétal tropical luxuriant.
Les falaises de Te Pari
Le site de Te Pari a été classé en 1952 en raison de son intérêt culturel, archéologique, historique et légendaire. Il a été reclassé en tant que «paysage protégé » en 2000 à titre principal pour la protection d’éléments naturels/culturels. Il est un but de randonnée pédestre mais peut aussi être accosté par bateau quand la houle le permet, le littoral étant ouvert sur la pleine mer à cet endroit et non sur un lagon. Il peut être battu par des vagues violentes Ce site est le seul itinéraire de randonnée mixte de Tahiti, alliant montagne, rivières et océan. Attention car il est mal fléché et présente à sa fin des passages en corniche ; il est impératif de passer par un professionnel de la randonnée. Mais la visite vaut le déplacement, avec sa succession de sites naturels entre platiers, embouchures de rivières, passages à flanc de falaise, corniches, plages de sable et de galets, grottes, étranges cavités rocheuses sonores…
Des fonds marins de toute beauté
La presqu’île de Tahiti recèle aussi des spots de plongée. Notamment à Vairao où se trouve le « trou du lagon », une cuvette de sable abritant requins à pointe blanche et raies léopards. Idéal pour les baptêmes. « Marado » est connu pour ses tombants de gorgones (coraux cornés) qui abritent toute une faune marine. À Teahotu, une grotte marine à 8 m de profondeur, la grotte de Tetopa, est peuplée de langoustes, crabes et rougets.
La vague mythique de Teahupoo
Situé au bout de la route qui le relie au reste de l’île, le village de Teahupoo est aujourd’hui la porte d’entrée d’un spot de surf internationalement connu. La violence de la houle du Pacifique et la configuration du récif font de sa vague l’une des plus puissantes à surfer. Elle est aussi connue pour être la plus dangereuse au monde. Tous les ans s’y déroule une compétition de surf parmi les plus réputées, la Billabong Pro, une étape du ASP World Tour. Les vagues viennent ici se heurter au plancher océanique qui remonte brusquement à l’approche de l’île, ancien volcan émergé. Les meilleurs surfeurs de la planète s’y affrontent, parmi lesquels des Tahitiens qui y font régulièrement bonne figure.