Chef-lieu des îles du sud de la Terre des Hommes, Hiva Oa illustre l’authenticité marquisienne où se mêle calme, beauté des paysages naturels et souvenirs laissés par des hommes d’exception, le tout dans un écrin encore peu bouleversé à première vue par les influences extérieures.
Hiva Oa dort sur ses deux oreilles, sûre de son pouvoir de séduction… Seconde île de l’archipel par la superficie (après Nuku Hiva), les 2 500 âmes que compte la population n’occupent en permanence que six de la quarantaine de vallées qui se dessinent dans le paysage. L’arrivée en avion au-dessus des Marquises est fascinante. Après plusieurs heures de bleu outremer à perte de vue, la verticalité du paysage de la Terre des Hommes (signification du nom vernaculaire de l’archipel) capte instantanément le regard. Les vallées sont autant d’entailles dans le massif volcanique laissant des escarpements profonds, presque inquiétants. Il en est ainsi des paysages marquisiens : ils impressionnent par la sensation qui se dégage d’une violente instabilité des éléments naturels, depuis les côtes aux falaises lacérées par une houle quasiment incessante aux vallées érodées par des cours d’eau devenant parfois cascades abruptes. Deux couleurs s’imposent dans la splendeur de l’écrin : le vert intense d’une végétation omniprésente qui contraste avec le noir des falaises ou encore la pénombre que fait naître les reliefs prononcés dès lors que le soleil n’est pas à la verticale.
Richesse archéologique inestimable
Hiva Oa recèle une richesse archéologique inestimable, traces laissées par l’ancienne civilisation disparue depuis la confrontation provoqué par l’arrivée des européens. Plus de 500 structures anciennes sont répertoriées et se découvrent aux visiteurs, qu’ils soient aventuriers ou simplement promeneurs, des vallées habitées aux crêtes quasiment inaccessibles. Eminents témoignages du savoir-faire, de l’organisation communautaire et du niveau artistique et symbolique remarquable atteint par les Marquisiens, les vestiges lithiques visibles aujourd’hui sont multiples : plates-formes d’habitations (paepae), places cérémonielles (tohua), lieux sacrés (me’ae), tables de pierre, monolithes dressés, statues (tiki), dalles sculptées en bas-relief, pétroglyphes gravés sur rochers ou dalles de pierres, pierres de travail présentant des cupules, entailles d’aiguisage et surfaces de polissage ou de meulage… Voies empierrées et pavées, fosses silo (ua ma) ou fosses pièges, tarodières construites en escalier et irriguées, grottes funéraires, forts, enrochements des berges des rivières complètent cette étonnant inventaire.
Brel et Gauguin
Au nombre de ces hommes d’exceptions qu’a compté l’île, en plus des premier bâtisseurs de la civilisation pré-européenne, se trouve un certain Paul Gauguin, décédé à Atuona en 1903 après trois ans de vie sur la grande île du sud de l’archipel. Les habitants de Hiva Oa étaient indifférents à sa peinture et à ses autres œuvres, cependant ils surent apprécier son combat contre la bêtise et l’injustice des deux puissances de l’île d’alors , l’administration et la mission catholique. Son goût pour certains « plaisirs défendus » laisse encore aujourd’hui un souvenir ambiguë chez les Marquisiens. Autre artiste francophone célèbre, lui aussi enterré dans le petit cimetière d’Atuona (1978), le chanteur Jacques Brel était, pour les habitants de l’île, avant tout un philanthrope.
Progressivement, le visiteur se sent envahir par l’incomparable émotion et excitation de celui qui découvre les îles de l’archipel, confronté aujourd’hui à l’imaginaire d’une beauté sauvage authentique, mélange de la végétation luxuriante et des roches aux formes tourmentées. Cette beauté à couper le souffle devrait, dans les années à venir, contribuer, entre autres choses, à inscrire la Terre des Hommes sur la liste de l’UNESCO du patrimoine mondial aux références universelles exceptionnelles. D’ailleurs, il n’est que de voir les descriptions admirables des paysages par Jacques-Antoine Moerenhout (1837), Max Radiguet (1860), Robert-Louis Stevenson (1890), Paul Gauguin (1903), Charles-Alfred Le Moine (1914), Alain Gerbault (1941), Jean-Yves le Tourmelin (1962) et Jacques Brel (1977) pour comprendre comment fut véhiculé et entretenu le mythe de la beauté sauvage des îles Marquises.
Les spécialistes estiment que l’île de Hiva Oa a pu compter jusqu’à 25 000 habitants avant de subir la colonisation européenne. Les premiers contacts avec l’extérieur avec les navigateurs Mendaña en 1595 et James Cook en 1774, n’ont pas eu de conséquences significatives. Mais vers la toute fin du XVIIIe siècle, les Marquises deviennent une escale d’approvisionnement pour les navires baleiniers et santaliers. Cette intensification des contacts bouscule les valeurs de la civilisation préhistorique marquisienne et les colons, laïcs et religieux, sont persuadés des bienfaits d’une mission civilisatrice nécessaire pour ceux qu’ils appellent « les derniers sauvages ». De la fin du XIXème siècle au début du XXème siècle, les Marquisiens péricliteront presque à en disparaître : 2 094 habitants pour tout l’archipel en 1921… Les traditions se sont délayées progressivement et certainement tout un pan de la culture pré-européenne a été définitivement perdu lors de ces années noires. Et dans le même temps, la multiplication des échanges a conduit à une production artistique (sculpture, tatouages…) en augmentation, favorisée par la modernisation des outils et la créativité en réponse aux enjeux économiques développés.
Ce dernier, quasiment inconnu sur l’île, se mit au service d’une population encore très isolée du reste du monde à l’époque : entre le cinéma de plein air et les liaisons aériennes inter îles avec son petit avion baptisé Jojo, suppléant ainsi les nombreuses carences de transport postal et d’évacuation sanitaire, Jacques Brel laissa aux habitants de l’île le souvenir d’un homme au grand coeur, ouvert et disponible. Jacques Brel, en quête d’anonymat, justifiera son souhait de s’installer à Hiva Oa à Marc Bastard, un enseignant du collège catholique qui deviendra son ami, par ces quelques mots : « Le pays est beau, les habitants agréables et, Dieu merci, ils ne me connaissent pas… » Les habitants ont conservé un certain détachement à « voir passer les étrangers ». Hiva Oa et ses habitants poursuivent leur destinée à leur rythme, sans se préoccuper en apparence de l’extérieur, laissant au visiteur l’image d’une île bulle, tout à la fois chef-lieu et hors du temps, tout à la fois endormie mais foisonnant de richesses à découvrir.
Deux vallées s’offrent particulièrement à cette approche : Hanaiapa et Hanapaaoa, toutes les deux situées sur la côte nord de l’île. Elles ont en commun un nombre d’habitants réduit (moins d’une soixantaine chacune lorsque les collégiens et autres étudiants ne sont pas en vacances) et un enclavement qui a longtemps pesé lourd dans la structuration communautaire de la vie sociale. Hanaiapa, à 15 minutes en voiture de l’aéroport, montre son originalité dès l’entrée du village, avec une voie unique tout son long. La vitesse étant nécessairement réduite, chacun aura le loisir d’être séduit par un bord de route bordé de vielles pierres ordonnancée par les anciens où souvent les habitants prennent le temps de converser assis à l’ombre d’arbres fruitiers. Du haut du village à la plage, s’égrènent les séchoirs à coprah aux abords des maisons colorées, presque toutes groupées de part et d’autres de la route. Deux lieux symbolisent la vie communautaire de Hanaiapa : le centre du village et la plage. Le premier regroupe l’église catholique, religion dominante aux Marquises, le centre d’exposition d’artisanat (ouvert lors du passage du caboteur Aranui) et l’école avec sa petite place publique.
L’activité rurale est une évidence à Hanapaaoa. Elle dispose de grandes cocoteraies sous lesquelles quelques élevages paîtrent. Les productions agricoles de la vallée sont nombreuses et sont souvent à vocation vivrière. En revanche, la plage est un espace peu accueillant, inlassablement frappé par les houles de nord-est. Les pêcheurs sont peu nombreux à s’aventurer contre les rouleaux d’eau qui ont endommagé le petit quai.La vie communautaire se situe donc essentiellement à hauteur de la rivière, où se baignent les enfants le week-end, et la maison des jeunes à l’entrée du village. C’est sous celle-ci que se concentrent le dimanche toutes les femmes du village pour la traditionnelle partie de bingo, ce jeu d’argent populaire laissant la part belle au vocabulaire imagé. Les hommes, eux, jouent au volley-ball sur le terrain voisin ou palabrent sous les arbres du bord de plage. Ces deux vallées, Hanaiapa et Hanapaaoa, illustrent la douceur de vivre au cœur des Marquises, dans un environnement social héritier d’une solidarité communautaire nécessaire pour vaincre les contraintes de l’isolement.
La plage est le centre économique de la vallée. De là partent les pêcheurs et les chasseurs, et depuis le vieux quai sont chargés les sacs de coprah et arrivent les marchandises de Tahiti. C’est aussi depuis le quai que les visiteurs pourront plonger en apnée au-dessus d’un platier corallien aux multiples reliefs. La plage symbolise particulièrement bien la vie communautaire avec l’entraide naturelle qui anime chacun lors du retour des pirogues, quand il faut les hisser sur la berge de galets. De même, lors du passage de la goélette, le quai est animé de chargements et déchargements collectifs où chacun s’invective plaisamment pour conserver le rythme qu’imposent parfois les mouvements chaotiques des baleinières poussées par la houle. Hanapaaoa est un peu plus isolée, mais des portions de route en ciment ont facilité son accès. La vallée est large et le village s’étend d’un versant à l’autre avec une disposition plus dispersée qu’à Hanaiapa.
Tefa Yuen, l’apiculture au cœur des Marquises
D’une voix calme, assurée, le regard malicieux, Tefa Yuen parle de son métier d’apiculteur avec passion. Avec la plus grande partie de son rucher située à Hanapaaoa, une des vallées de l’île. Il est aujourd’hui le plus important producteur de miel de Hiva Oa. Pourtant, son avenir semblait plutôt tracé pour devenir citadin. Dès la fin de la classe de troisième, il avait quitté sa vallée de Hanapaaoa pour l’île de Tahiti afin de poursuivre des études supérieures en gestion. Les opportunités de travail salarié sur l’île principale de la Polynésie française ne manquèrent pas, mais il ne pouvait se résoudre à vivre en milieu urbain. Revenir habiter dans une des vallées les plus isolées de Hiva Oa était aussi un défi. Le verbe clair, il dit les choses avec lucidité : « Ici, la seule contrainte c’est que tu ne peux pas tricher », faisant allusion à un environnement naturel magnifique mais souvent âpre. Elaïda, son épouse, originaire de Moorea, s’inscrit dans cette démarche : « J’ai appris à vivre simplement, à m’enrichir d’autres valeurs que celles de Tahiti ». Au départ, Tefa était coprahculteur, éleveur de bœufs, agriculteur et bien sûr chasseur et pêcheur. Depuis une dizaine d’année, il s’est lancé dans l’apiculture tout en maintenant ses précédentes activités. Du coup, du travail, il n’en manque pas. Et cette vie très proche de la nature, il ne l’échangerait contre rien. « On trouve son bonheur », préfère-t-il dire pudiquement. Très ouvert sur le monde, il prend toujours beaucoup de plaisir à converser avec les visiteurs de passage dans la vallée. Son miel de la Terre des Hommes est devenu aujourd’hui une référence dans l’archipel : en plus de bénéficier d’une nature riche et préservée des pollutions humaines, ce nectar est travaillé dans la tradition artisanale marquisienne, avec la fierté de présenter un produit de qualité.