Jacques Brel, les années Marquises

Jacques Brel, une immense star de la chanson mais aussi un acteur, réalisateur, marin, pilote, philanthrope et Marquisien à la fin de sa vie. © Everett Collection Inc / Alamy Stock PhotoÀ Hiva Oa, le paisible village d'Atuona que Jaques Brel aimait tant. © P. Bacchet© Pictorial Press Ltd / Alamy Stock© Photononstop / Alamy Stock PhotoSur les hauteurs de Atuona, l'artiste avait acheté ce terrain exceptionnel pour y faire construire une maison et y passer ses dernières années. © P. Bacchet© P. BacchetBrel aimait survoler l’archipel. Ici une vue aérienne de Hiva Oa. © P. Bacchet
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Jacques Brel, une immense star de la chanson mais aussi un acteur, réalisateur, marin, pilote, philanthrope et Marquisien à la fin de sa vie. © Everett Collection Inc / Alamy Stock Photo

Il y a quarante ans, en octobre 1978, disparaissait Jacques Brel. Grande figure de la chanson française, acteur et réalisateur, il avait choisi de se retirer aux Marquises où il vécut les trois dernières années de sa vie, non sans y avoir composé un ultime album au titre homonyme qui contribua à mieux faire connaître cet archipel.

De nos jours, on effectue le voyage de Paris aux Marquises en moins de 30 heures, après une escale obligée à Tahiti. Jacques Brel, quant à lui, n’y est pas arrivé par la voie des lignes aériennes classiques, comme beaucoup de gens. C’est à bord de son voilier, à l’occasion du tour du monde qu’il avait décidé d’effectuer après avoir laissé derrière lui une carrière internationale, qu’il posa le pied sur la « Terre des Hommes ». C’était en novembre 1975. Tout d’abord arrivé à Nuku Hiva, la capitale administrative de l’archipel, il jugea trop « pompeux » l’accueil qui lui était fait par des autorités soucieuses de saluer une personnalité reconnue, et décida alors de s’installer sur l’île voisine, Hiva Oa, dans la partie sud de l’archipel, en mettant fin à son tour du monde. Rappelons-le, Brel, avec plus de 25 millions d’albums vendus à l’international, était alors une star. Plus particulièrement en Europe, où il était devenu une icône de la chanson française dont il était une figure marquante, à l’instar de Brassens, Barbara, Ferré, Piaf… toute une génération de chanteurs à textes issue du cabaret. On n’a pas oublié des titres comme Quand on n’a que l’amour, Ne me quitte pas, Le Plat Pays, Amsterdam… Fait remarquable, bien que ses chansons soient en langue française, il est aussi devenu une source d’inspiration pour des auteurs-interprètes anglophones de renom. On peut citer parmi eux David Bowie, Mort Shuman, Léonard Cohen… Plusieurs de ses chansons ont été traduites en anglais et chantées par des vedettes internationales aussi connues que Ray Charles, Nina Simone ou Frank Sinatra… pour ne citer qu’eux. Jacques Brel fut même numéro un aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada en 1974 avec la reprise, sous le titre Seasons in the Sun par le chanteur canadien Terry Jacks, de sa chanson Le moribond. En 1966, Brel abandonna pourtant les tours de chant après une brillante carrière d’une dizaine d’années. Il n’en quitta pas pour autant le monde du show business. Il n’effectua plus de tournées s’enchaînant à un rythme infernal mais, chanteur et auteur-compositeur, il enregistra des disques. Il se consacra aussi au cinéma, et tourna en tant qu’acteur une dizaine de films, dont deux qu’il écrivit et réalisa. En 1968, il adapta et monta à la scène la comédie musicale L’Homme de la Mancha, où il interprétait le rôle de Don Quichotte, au côté de Dario Moreno dans celui de Sancho Pança, pour de longues et fatigantes représentations.

À Hiva Oa, le paisible village d'Atuona que Jaques Brel aimait tant. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Au service des habitants des Marquises

En 1973, cependant, s’étant découvert une nouvelle passion, la voile, il mit un terme à sa carrière de cinéma, acheta un voilier, l’Askoy, un ketch de 19 mètres pour 40 tonnes, et obtint son brevet de « capitaine au grand cabotage ». C’était le début d’une nouvelle vie qui allait le mener à entamer un tour du monde prévu pour durer trois ans… Lors d’une escale aux Canaries, on lui diagnostiqua malheureusement un cancer et il dut retourner à Bruxelles, en Belgique (d’où il est originaire), pour y subir une ablation du poumon gauche. Diminué, il n’en poursuivit pas moins sa croisière autour du monde mais décida de l’abandonner en arrivant aux Marquises où il trouva son nouveau port d’attache, dans l’archipel le plus éloigné de tout continent. À Hiva Oa, son éloignement de la vie trépidante du spectacle et son horreur des paparazzi n’ont pas pour autant converti Jacques Brel à une vie d’ermite silencieux. Il y a installé sa bibliothèque, un orgue, un magnétophone et il chante et écrit. Mais s’il est musicien, c’est aussi un fin cuisinier. Il reçoit de rares amis célèbres venus lui rendre visite, à l’instar du chanteur Henri Salvador, et accueille également à sa table de nouvelles connaissances rencontrées sur l’île. Dès son arrivée, avec un humour non dénué d’ironie, il ne manque pas de dire qu’il veut « bouffer du curé », un point commun avec son futur voisin de cimetière : Gauguin. Ce qui ne fait pas forcément bon genre sur une île dont la population est catholique à 90 %.

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Mais il sympathise avec les sœurs de la congrégation Saint-Joseph de Cluny, installée à Hiva Oa depuis 1885, et qui tiennent une pension de jeunes filles. Ce qui est l’occasion pour Brel de commencer à s’impliquer pour la vie de la commune. La population apprécie particulièrement ses talents de pilote d’avion. Brel avait en effet une autre passion que la musique et la voile. Dès 1965, il obtint une licence de pilote et entama en 1970 une formation « multimoteurs » et « vol aux instruments ». En novembre 1976, il achète un bimoteur, un Beechcraft Twin Bonanza qu’il baptise Jojo, en souvenir de son vieil ami Georges Pasquier disparu en 1974. Pour pallier à l’isolement des populations locales, notamment sur les îles desservies seulement par la mer, il entreprend de livrer le courrier et les médicaments et assure régulièrement des rotations entre les îles de l’archipel pour y déposer du matériel et quelques passagers. « Quel que soit le temps », rappelle Serge Lecordier, ancien directeur du Comité du tourisme d’Atuona, « dans la plus pure tradition de l’Aéropostale, il s’envolait, indifférent aux imprévisibles tempêtes du Pacifique ; l’un de ses plaisirs favoris étant d’aller se poser sur Ua Pou, sur une piste excessivement dangereuse », une piste étroite et en pente où les avions ne se posent qu’en venant de la mer, et décollent vers la mer, quelle que soit la direction du vent. Parfois, il se rend aussi à Tahiti (située à 1 500 km), un vol de plus de cinq heures avec ce type d’avion, pour effectuer des évacuations sanitaires.

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Un dernier grand succès avant son ultime voyage

Jacques Brel, malade, a découvert en l’île de Hiva Oa un lieu où il souhaitait « souffler », loin de l’agitation dans laquelle il s’était engagé à corps perdu pendant des années, présent sur scène comme si sa vie en dépendait. Avec sa dernière compagne, Maddly Bamy, actrice rencontrée en 1971 lors du tournage d’un film de Claude Lelouch, L’Aventure c’est l’aventure, il s’installe dans une maison située non loin du cimetière du village d’Atuona où est enterré le peintre Paul Gauguin. En 1977, à la surprise de tous, il propose un nouveau disque pour aider son producteur en difficulté et pour rendre hommage à sa terre d’accueil. Jacques Brel revient alors à Paris, le temps d’enregistrer son dernier 33 tours Les Marquises. C’est un succès, avec un record d’un million de précommandes et 300 000 exemplaires écoulés dans l’heure suivant la mise en vente. De retour sans attendre à Hiva Oa, il y retrouve la vie qu’il aimait. Il loue même un terrain, pour un bail de 30 ans, afin d’y construire une demeure à son goût. Mais six mois plus tard, en juillet 1978, lors d’un contrôle médical à Tahiti, un cancérologue lui diagnostique une récidive de son cancer du poumon. Il doit alors retourner en France métropolitaine pour se faire soigner. Son état s’améliore mais il décédera deux mois plus tard, le 9 octobre 1978. Non pas de son cancer, « mais d’une embolie pulmonaire consécutive à sa phlébite et… à la traque dont il avait été l’objet de la part des paparazzi… », rapporte Fred Hidalgo dans Jacques Brel, le voyage au bout de la vie. Il avait 49 ans. Il repose dans le même cimetière que Gauguin, l’un à droite l’autre à gauche du Christ en croix installé en son centre. Comme les deux larrons de l’Évangile. « … Les pirogues s’en vont / les pirogues s’en viennent / et mes souvenirs deviennent / ce que les vieux en font / veux-tu que je dise : gémir n’est pas de mise / aux Marquises ! »  

Claude Jacques-Bourgeat

Sur les hauteurs de Atuona, l'artiste avait acheté ce terrain exceptionnel pour y faire construire une maison et y passer ses dernières années. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
L’espace Jacques Brel et Jojo

À Hiva Oa, où le chanteur a vécu entre 1975 et 1978, un petit musée lui est dédié. L’Espace Jacques Brel, situé à Atuona, abrite Jojo, l’avion bimoteur que l’artiste utilisait pour ses déplacements personnels mais dont il faisait bénéficier la population de l’île. On peut admirer l’engin de près et découvrir divers objets lui ayant appartenu. C’est une équipe de bénévoles qui a sauvé ce Beechcraft Twin Bonanza récupéré in extremis sur le tarmac de l’aéroport de Tahiti-Faa’a alors qu’il allait servir de matériel d’entraînement pour les pompiers. Construit au Texas en 1956, arrivé en 1975 à Tahiti pour être exploité par la société Tahiti Air Tour Services (TATS), cet avion relativement petit pouvait emporter huit passagers. Il avait été acheté par Maddly Balmy pour le compte de Jacques Brel en novembre 1976. Après son décès, celle-ci l’avait vendu en juillet 1978 à la société de Robert Wan, Tahiti Perles, qui l’avait à son tour cédé à Tuamotu Perles, à Hikueru, en 1982. Passé ensuite au service d’Air Océania, il effectua son dernier vol commandé en 1988 et termina sa carrière dans un hangar, puis à l’air libre, sur l’aéroport tahitien de Faa’a après avoir été désaffecté. Sa carlingue désormais restaurée et repeinte, ses moteurs et les circuits hydrauliques remis en état, sa verrière refaite, Jojo est aujourd’hui exposé à l’Espace Jacques Brel, permettant de maintenir vivant le souvenir de l’artiste.

Renaissance de l’Askoy

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Brel aimait survoler l’archipel. Ici une vue aérienne de Hiva Oa. © P. Bacchet

En 1976, Jacques Brel vendit à un couple de jeunes Américains pour un prix symbolique le bateau qui l’avait amené aux Marquises. Celui-ci changea plusieurs fois de propriétaire avant de finir drossé sur les rochers d’une plage au nord d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Le fier ketch en acier de 19 mètres de long sur 5 mètres de large, amoureusement aménagé par Brel, était devenu une épave et a bien failli disparaître. C’était sans compter sur la détermination de deux frères flamands, Staf et Pitt Wittenvrongel, dont le père possédait une voilerie à Blankenberg, et à qui Brel avait demandé de refaire toutes les voiles de l’Askoy. En 2004, ils créèrent l’association sans but lucratif Save Askoy II (le nom originel du bateau, que Brel avait rebaptisé Askoy) pour un défi fou : tout d’abord sauver de l’oubli et du sable la coque de ce voilier dévorée par la rouille, puis le remettre en état et faire naviguer à nouveau le yacht tel qu’il était quand le chanteur est parti d’Anvers en 1974 pour son tour du monde. Échéance prévue de la mise à l’eau : le 8 avril 2019, date d’anniversaire de la naissance du « grand Jacques ».

Jacques Brel, les années Marquises
Jacques Brel, les années Marquises
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Il y a quarante ans, en octobre 1978, disparaissait Jacques Brel. Grande figure de la chanson française, acteur et réalisateur, il avait choisi de se retirer aux Marquises où il vécut les trois dernières années de sa vie, non sans y avoir composé un ultime album au titre homonyme qui contribua à mieux faire connaître cet archipel.
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