Le visiteur à la recherche du calme et d’une beauté insulaire ne pourra qu’être séduit par Kauehi et sa population attachante. Ce petit atoll situé au cœur de la “Réserve de Biosphère” de Fakarava, classée par l’UNESCO, accueille une faune marine et une faune aviaire particulièrement intéressantes.
Situé dans la partie nord-ouest des Tuamotu, l’atoll de Kauehi n’est pas le plus grand, ni le plus connu de l’archipel. Jusqu’en 2001, il n’était d’ailleurs accessible que par bateau. La construction d’un aérodrome cette année-là a changé bien des choses pour la population et offert aux touristes la possibilité de découvrir un véritable petit paradis caché. Avec sa passe unique, Putake ou Noka Noka – comme on appelait aussi autrefois Kauehi – s’étend sur 24 km de longueur pour 18 km de largeur. Mais qu’on ne se méprenne pas : 18 km est l’équivalent de la distance qui sépare Papeete de Moorea, l’île sœur de Tahiti. La traversée du lagon de Kauehi peut donc s’avérer une véritable petite expédition, riche d’émotions et de découvertes. Pêche, plongée, randonnée-nature sont autant d’occasions de faire connaissance avec le monde fascinant d’un atoll corallien éloigné des circuits touristiques habituels et pourtant à moins de deux heures de Tahiti, l’île principale de la Polynésie française. La visite du petit village de Tearavero regroupant la quasi totalité des 250 habitants de l’île est aussi l’opportunité de rencontrer une population attachante qui partage ses activités entre la pêche et la récolte du coprah. Enfin, le visiteur à la recherche du calme et d’une beauté insulaire originale ne pourra qu’être séduit par l’accueil que lui réserve l’unique pension de famille de l’île, un petit bijou d’architecture en bois massif, situé en toute quiétude sur le bord du lagon.
Une île longtemps méconnue
Kauehi fait partie, administrativement parlant, de la commune de Fakarava, du nom de l’atoll principal d’un groupe d’îles qui en rassemble sept. Toutes sont aujourd’hui intégrées au sein d’une réserve naturelle classée « réserve de biosphère » par l’UNESCO (l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture – en anglais United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization), en reconnaissance de leurs faune et flore singulières. Mais avant d’en découvrir les beautés, quelques mots de présentation s’imposent. Comme toutes les îles de cet archipel, cet anneau de corail à fleur d’eau s’est formé autour du sommet – aujourd’hui immergé – d’un ancien volcan vieux de plus de 50 millions d’années. Alors que certains atolls possèdent plusieurs passes – et d’autres aucune – Kauehi n’en possède qu’une seule, la passe Arikitamiro, large de 200 mètres et profonde de neuf. Ce qui est suffisant pour permettre le renouvellement quotidien de son lagon de 320 km2 par les eaux du large tout en offrant un point de passage obligé pour les embarcations. Il s’agit d’un verrou naturel que les anciens Polynésiens avaient su mettre à profit pour le contrôle de l’accès à l’île. Mais c’est en même temps une porte d’entrée, de nos jours, pour les navires de plaisance souhaitant voguer sur le lagon, ainsi que pour le cargo qui, tous les quinze jours, ravitaille l’atoll et ses habitants et en rythme l’existence.
En août 1839, lors du passage du navire d’une expédition américaine d’exploration, l’United States Exploring Expedition, l’île fut nommée Vincennes, d’après le nom du navire, par le commandant de l’expédition Charles Wilkes. Enfin, une cinquantaine d’années plus tard, le célèbre écrivain aventurier écossais Robert-Louis Stevenson décrivit ainsi Kauehi dans son livre Dans les mers du Sud : « Elle était toute de brousse verte et sable blanc, sertie d’une eau bleue et transparente ; les cocotiers étaient rares, mais quelques-uns pourtant complétaient la brillante harmonie de couleurs en laissant pendre un éventail d’or jaune ». L’inoubliable auteur de L’île au Trésor et de L’Étrange cas du Dr Jekyll et de Mister Hyde trouva alors une île inoccupée. Entre la venue du Vincennes en 1839 et le passage de Stevenson en 1888, il est vrai que bien des choses avaient changé pour les habitants des Tuamotu. Les populations, christianisées, s’étaient souvent trouvées regroupées en village dans les îles principales, autour d’une mission, certains atolls ayant alors été abandonnés.
Kauehi, si l’on en croit les archéologues, est occupée probablement depuis un peu plus de mille ans par la population de navigateurs austronésiens qui sillonna et peupla l’ensemble des îles de la Polynésie orientale à cette époque. Une véritable odyssée quand on sait que le seul archipel des Tuamotu s’étend sur un arc de plus de 1 800 kilomètres de long… Kauehi fut d’ailleurs une des îles les plus tardivement répertoriées par les navigateurs Européens même si l’on sait que l’archipel a fait l’objet d’observations épisodiques depuis le XVIe siècle. Il fallut pas moins de trois siècles et des découvreurs de renom du monde entier pour répertorier les 78 atolls qui composent l’archipel. C’est en 1835 seulement que, la nommant au passage « Cavahi » l’Anglais Robert Fitzroy y posa le pied en premier. Rappelons que ce capitaine du navire H.M.S. Beagle avait à son bord une figure scientifique qui allait révolutionner notre conception du monde : Charles Darwin. Ce dernier publia plus tard, en 1859, son célèbre ouvrage L’origine des espèces. À noter que le même Darwin fut l’un des premiers à s’intéresser aux coraux avec la publication en 1842 d’un ouvrage dédié, Les Récifs de corail, leur structure et leur distribution, suite aux observations qu’il réalisa à Tahiti, lors de son voyage sur le Beagle.
Un havre de paix, loin des turbulences de la modernité
Pendant des décennies, l’île vécut la destinée tranquille de l’archipel entre pêche et exploitation de la cocoteraie constituée à partir de la fin du XIXe siècle par l’administration coloniale française et les missionnaires. Elle se réveilla à la fin du XXe siècle. En 1996, époque à laquelle la perliculture connut un véritable essor dans l’ensemble des Tuamotu, on pouvait y trouver de nombreuses installations perlicoles. Kauehi a compté jusqu’à 700 habitants à cette époque. Aujourd’hui, avec une population plus modeste, l’atoll n’accueille plus qu’une seule ferme perlière et les habitants reviennent à la culture du coprah qu’ils avaient un temps plus ou moins abandonnée. Ils s’appliquent à un renouvellement de la cocoteraie. L’île, cependant, n’est plus aussi isolée qu’autrefois. La mise en place d’une desserte aérienne a permis le désenclavement de cet atoll qui accueille une section de mairie. Kauehi est en effet une commune associée de Fakarava et gère administrativement deux autres atolls qui lui sont rattachés : Aratika et Raraka. Les habitants de ce dernier, situé à 17 km au nord, ont d’ailleurs l’obligation de s’y rendre en bateau pour pouvoir rejoindre Papeete par avion.
Une véritable oasis de vie au cœur du désert océanique
À l’instar des six autres atolls réunis autour de Fakarava, Kauehi sera évidemment apprécié des amoureux de la nature, celle qui se développe sur et autour de ces émergences coralliennes, véritables oasis de vie au cœur du désert océanique. Depuis le classement, en 1977, d’un premier atoll – celui de Taiaro, petit atoll fermé et inhabité – c’est aujourd’hui l’ensemble de ces sept îles basses qui sont inscrites au sein du réseau international reconnu que forment les réserves du programme Man And Biosphere (MAB – ou l’homme et la biosphère) de l’UNESCO. On trouve donc à Kauehi des formations coralliennes, des herbiers de phanérogames (rares plantes à fleurs) marines, des mares à kopara (algues rouges) donnant une coloration « rouille » à de vastes étendues semi-humides, des forêts primaires à puatea (Pisonia grandis nom scientifique de cet arbre), reliques de la végétation originelle de l’atoll avant la culture intensive du cocotier. Ces forêts présentent de grands arbres où s’épanouissent en symbiose de nombreuses populations d’oiseaux et, outre des cocoteraies, d’autres formations végétales caractéristiques des atolls de Polynésie française. L’île offre ainsi une diversité de paysages terrestres et sous-marins accueillant une faune marine et d’oiseau particulièrement intéressante de même qu’une flore ayant su s’adapter aux conditions difficiles d’un substrat corallien, aride et salé.
Depuis une demi-douzaine d’années, Kauehi accueille aussi une pension de famille, la première et toujours la seule de l’île. Y séjourner quelques jours vaut le détour. Situé à deux kilomètres de l’aérodrome, à l’opposé du village, le Kauehi Lodge est une assurance de quiétude pour les visiteurs soucieux de trouver un havre de paix, loin des turbulences de la modernité. Ce qui n’exclut pas le confort, la pension étant totalement autonome en eau et en énergie. Une simple demi-heure en voiture sur piste de corail sépare la pension du village où l’on peut découvrir une église, l’église St Marc, et une mairie, toutes deux bâties en pierres de corail assemblées à la chaux et datant de la fin du XIXe siècle. L’occasion de faire connaissance d’une communauté très chrétienne, en particulier lors des moments de fêtes religieuses. Et aussi de découvrir ce curieux cimetière où les hommes et les femmes sont enterrés séparément, selon un curieux mélange de coutumes traditionnelles et de tradition catholique…
Accessible en avion, à taille humaine, c’est certainement l’une de ces îles basses qui se prête le mieux à la découverte de l’univers particulier des Tuamotu. Jean-Claude, propriétaire du Kauehi Lodge, saura vous guider en speed boat d’un bout à l’autre de l’île à la découverte des sites qui accueillent la ponte de milliers d’oiseaux de mer ou encore ceux, également protégés, de tortues marines. À moins que, profitant d’une mer d’huile, il ne vous emmène au-delà de la passe. Et là, si la chance vous sourit vous assisterez à cette étrange complicité de poissons pélagiques (thons ou bonites) et de sternes afin de rabattre les bancs de petits poissons affolés par les attaques venues tout à la fois des abysses et du ciel.
Sept atolls polynésiens classés « réserve de biosphère » de l’UNESCO

Les mille et une facettes du lagon de Kauehi © P. Bacchet
L’atoll de Taiaro, perdu au milieu du Pacifique, a été classé « Réserve scientifique intégrale » en 1972, à la demande de son propriétaire, l’Américain W.A. Robinson qui l’avait acquis en 1946. Il est devenu réserve de biosphère de l’UNESCO en 1977. Le programme Man and Biosphere (MAB) de l’organisation internationale évoluant, un nouveau projet de stratégie a été présenté en 1995 à la conférence internationale sur les réserves de biosphère. L’inscription de Taiaro, inhabité, fut alors remise en cause, l’UNESCO insistant pour promouvoir un développement durable basé sur les efforts combinés des communautés locales et du monde scientifique. La volonté de maintenir une désignation internationale en Polynésie française, a conduit le gouvernement polynésien à travailler en collaboration avec l’État et les scientifiques du CRIOBE (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement) à un projet d’extension de la réserve de biosphère initialement limité à Taiaro. Après une longue procédure de consultation avec les populations locales qui dura dix ans, c’est en octobre 2006 l’ensemble des atolls de la commune de Fakarava – à laquelle appartient Taiaro – qui fut désigné pour postuler au titre. D’où, depuis lors, le nom générique de « réserve de biosphère de Fakarava ». Conformément à l’organisation de telles réserves – qui ont notamment pour objectif de protéger une faune et une flore exceptionnelles – chacun de ses sept atolls, dont celui de Kauehi, présente un zonage comprenant une aire centrale rigoureusement protégée, une zone tampon et une zone de transition flexible qui peut comprendre un certain nombre d’activités agricoles, d’établissements humains et autres exploitations. La structure de gestion de la réserve de biosphère de la commune de Fakarava s’articule aujourd’hui autour d’un comité de gestion présidé par le maire de la commune, d’un conseil scientifique, et de cinq associations basées dans les cinq atolls habités en permanence. Pour l’atoll de Kauehi, c’est l’association Te Vevo O Te Manu Kaveka qui se charge de valoriser l’ensemble du patrimoine de l’île, dont son patrimoine culturel (traditions orales, sites archéologiques, monuments historiques…). On dénombre actuellement 631 réserves de biosphère dans le monde, réparties dans 119 pays, dont 12 sites transfrontaliers.

