Un lagon de toute beauté, des cocoteraies à perte de vue et un accueil chaleureux… Kaukura pourrait être un atoll comme tous les autres, où sur lequel les habitants vivent au rythme du soleil et de la mer. Mais, la modernité a aujourd’hui rattrapé la population qui sait exploiter intelligemment les richesses de son environnement. Découverte.
Aux premiers coups d’œil, Kaukura se présente comme un chapelet de motu (îlots coralliens) sauvages, alignés autour d’un lagon extrêmement poissonneux et aux couleurs féeriques, du vert pastel au bleu foncé. Le village principal de cet atoll de l’archipel des Tuamotu, Raitahiti, autrefois constitué de fare (maisons) dépareillés, en tôle et pinex, affiche, aujourd’hui, un air coquet. Le petit paradis « négligé » d’il y a dix ans s’est métamorphosé : une route bitumée mène de l’aéroport au village, les jardins sont clôturés et fleuris, des maisons « en dur » sont sorties de terre, les cocoteraies sont entretenues et trois magasins et deux snacks ont vu le jour…
Alors que le cours de la perle de culture a dégringolé sur la dernière décennie, rares sont ceux qui continuent l’activité perlicole, autrefois pourtant bien présente. « Ça ne rapporte plus rien, il n’y a plus qu’une petite dizaine de fermes familiales en activité sur l’île…Il faut espérer que le cours remontera un jour », explique Rosa, perlicultrice. « Aujourd’hui, c’est le poisson qui rapporte… », continue cette dernière qui conditionne les filets sous vide avant de les envoyer à ses acheteurs de l’île de Tahiti. En effet, Kaukura est un des atolls les plus poissonneux de Polynésie française. Des carangues de plus d’un mètre remplissent les parcs à poissons, et des perroquets, des becs de canes, des ume tarei (les poissons « chirurgiens ») en quantités impressionnantes font désormais la fortune des habitants. La plupart d’entre eux pêchent ou exploitent un parc à poissons.
Alors que le Cobia, l’une des quatre goélettes qui dessert l’île, s’est amarrée à la grosse bouée orange au large, les voitures arrivent petit à petit. La barge effectue de multiples aller-retour pour décharger à la grue les vivres. « Quand la houle est forte, c’est très acrobatique. Il n’est pas rare que les marchandises chavirent ! », explique une habitante. La population se rassemble sur le quai, venue récupérer qui ses glacières de vivres envoyées par les fetii (proches, membres de la famille), qui ses cartons ou ses meubles en provenance de l’île de Tahiti. Le coprah et les vieux congélateurs emplis de glace et de poissons embarqueront sur une autre goélette, qui repart sur Tahiti, sans escale. Fini le temps où vivre aux Tuamotu signifiait se contenter du régime « poisson, riz, coco ». Nombreux sont ceux qui s’essayent désormais au maraîchage, pour leur consommation personnelle ou pour vendre le surplus. Chez Roland et Tutana, tout pousse : pota (épinards), salades, concombres, tomates, haricots, aubergines, dans des fûts coupés en deux, emplis d’un mélange de terreau, sable et compost, arrosés d’eau saumâtre. « Nous avons tout ici, même des ruches ! », se réjouit Tutana.
Un lieu empreint de mystère
Peu de touristes s’aventurent sur ce petit atoll aux infrastructures touristiques moins développées que celles d’autres îles de l’archipel, devenues quant à elles des paradis pour plongeurs. Ici, pas de club de plongée, ni de guide touristique officiel. Et pourtant, Kaukura regorge de merveilles sous-marines et terrestres… Jeannot, gérant d’une petite pension de famille, les connaît par cœur. A bord de son petit bateau, il met le cap sur un lieu que seuls quelques visiteurs privilégiés ont eu l’honneur de connaître : un trou mythique situé au milieu du lagon, où habite un banc de raies manta, ces mystérieux « diables des mers ». D’une profondeur inconnue, ce trou sous-marin est relié au récif par un tunnel que personne n’a jamais pu explorer. Dans les années 60, des militaires américains auraient tenté d’y pénétrer pour le parcourir, mais sans succès, arrêtés dans leur progression par des amas de coraux. Selon la mythologie connue des anciens, c’est dans ce trou, appelé Temarite, que des requins et des raies manta auraient emporté deux enfants dans les abysses, Maritipa et Teahiaroa. Puis, un jour, des pêcheurs virent dans ce trou un requin et une raie manta arborant, sur leur corps de poisson, le visage de ces deux enfants disparus…
Moins de perles, plus de poissons
Avant l’arrivée de la goélette, navire transportant du fret entre les îles, les familles s’affairent autour d’une table communautaire où le poisson est débité, vendu 1 000 Fcfp (10 USD/8,5 €) le kilo de filets aux mareyeurs ou en direct aux hôtels et restaurants de Tahiti. Il en est de même pour les paquets de poissons qui vont animer de leurs couleurs improbables les étals du marché de la Grande île. « Ici, si tu es courageux, tu fais du fric… », explique Teva, pêcheur. Il est en effet courant de ramener du parc à poissons, souvent situé non loin du récif, dans les passes, face au courant rentrant, plus de cent paquets de poissons en une journée…
Le coprah, activité traditionnelle
Le coprah, une activité qui continue d’occuper les populations depuis plus de trente ans, est toujours pratiqué de manière communautaire. Dès quatre heures du matin, le village résonne de l’entrechoquement des pani oopa’a (sorte de crochets), alors que les hommes rassemblent avec dextérité et précision les noix de coco qui seront ouvertes, puis débarrassées de leur chair et séchée ensuite au soleil. Comme pour le poisson, la veille du passage de la goélette, les familles s’activent autour des séchoirs à coprah pour remplir les sacs de jute qui partiront vers l’Huilerie de Tahiti, l’unique acheteur qui transforme le coprah en huile destinée en partie à la fabrication du monoï. Le kilo de coprah de première qualité est désormais payé 130 Fcfp, (1,3 USD/ 1 €) soit une augmentation de près de 50 % en 10 ans. A partir de 6 tonnes de coprah produites par an, un séchoir est octroyé au producteur par les autorités du pays. On comprend alors aisément pourquoi les cocoteraies sont aujourd’hui propres, la brousse ayant été domestiquée. « Si tu laisses traîner tes cocos quelques jours, d’autres les ramasseront à ta place !», confie Hélène, coprahcultrice. Du vol de noix de coco sur un atoll recouvert de cocoteraies, quel paradoxe !
Une fois à l’eau, le ballet commence : une, deux, trois, sept raies, intriguées, offrent le plus émouvant des spectacles sous-marins, passant et repassant lentement à moins d’un mètre des plongeurs équipés de simples palmes, masque et tuba. Jeannot plonge alors et en caresse une du bout des doigts. Son fils de 8 ans, Kikikou, lui attrape vaillamment la main et se risque à frôler la légendaire « mangeuse d’enfant » du bout des doigts. « Il a toujours été terrorisé et n’avait jamais osé le faire. C’est fantastique, il n’a plus peur ! », jubile son père, de retour sur le bateau. Un autre endroit mystérieux fait également l’objet d’une légende des temps modernes. A l’autre bout de l’atoll, un ancien village aujourd’hui inhabité, dénommé Faro, sur un motu comme les dizaines d’autres qui peuplent Kaukura, abrite une pierre. Celle-ci, du nom de Tutonu, qui aurait autrefois protégé l’atoll des invasions des guerriers des autres îles. Cette pierre n’apparaissait en photo qu’avec quelques élus. Pour les autres, seule l’image de la personne posant près d’elle imprégnait la pellicule. Ceux avec lesquels la pierre daignait se montrer, les anciens du village, y voient un présage de sagesse et exhibent fièrement la photo qui trône dans leur salon, ornée de colliers de coquillages. Mais, la pierre, endommagée lors d’un cyclone, aurait aujourd’hui perdu de son mana (pouvoir).
Un jour s’achève, entre ciel et mer
De retour vers le village, Jeannot et Kirikou s’arrêtent pour s’adonner à leur passe-temps favori, la pêche aux oursins. Au beau milieu des feo (pitons de corail mort), père et fils forment un tandem efficace : tandis que Kirikou ramasse les crustacés à piquants mauves que rejettent les vagues du large, Jeannot les ouvre et en extrait la chair orangée, de la même couleur éclatante que le platier. Alors que les eaux tièdes et limpides du lagon se referment lentement sur le bateau de Jeannot, le ciel se pare de cumulus nacrés. La chaleur étouffante de la journée laisse place à une brise bienvenue et de frénétiques silhouettes s’agitent sur le terrain de volley-ball du village. Les enfants quant à eux se défoulent autour d’un ballon de football ; leurs clameurs montent alors que le soleil descend lentement. Les femmes finissent la journée par une partie de pétanque acharnée. Dans les foyers, on s’affaire autour des préparatifs du repas, du bain des enfants, sur fond de telenovela, l’incontournable rendez-vous télévisé de fin d’après-midi. Kaukura se prépare au repos, avant la journée de demain, similaire à aujourd’hui, entre coprah et pêche. Dans l’air, un parfum mêlé de l’odeur entêtante des Tiare Tahiti, du coprah qui sèche et du poisson grillé évoque les effluves d’une terre généreuse, un avant-goût de paradis…
Kaukura, chapelet de motu
A 350 km au nord-est de l’île de Tahiti, Kaukura (‘Au-‘ura) est un atoll de forme ovale de 50 km de long constitué de 65 îlots (motu) de taille inégale, séparés par des hoa (bras de mer plus ou moins profonds et très poissonneux). Les terres émergées d’une superficie de 1 100 ha se trouvent essentiellement sur la partie Est de l’atoll, tandis que la côte Ouest comprend essentiellement des zones récifales, hormis sept petits motu. La côte Est, quant à elle, est coupée en deux par l’étroite passe de Faafe. Le village principal est Raitahiti, au sud-est de l’atoll. Il existe deux anciens villages, Panau, près de la passe Ouest de l’atoll, qui fut détruit par le cyclone de 1906 et Faro, le deuxième village, où se trouve la pierre magique, situé à l’Est. L’atoll de Kaukura a été visité par James Cook en 1773 lors de son second voyage. Kaukura compte aujourd’hui 450 habitants.

