Présentes dans le monde entier, des œuvres d’arts polynésiennes font découvrir notre culture et lui permette de rayonner bien au-delà de nos îles. Découvrez le tiki marquisien que conserva précieusement Picasso, un des plus grands artistes de ce siècle et grand admirateur des arts dit « premiers ».
En 1907, Picasso visita la collection d’art africain et océanien du musée d’ethnographie du Trocadéro, à Paris. Plus tard, il se souvint de cette visite : « l’odeur d’humidité et de moisi me saisit à la gorge. J’en fus si déprimé que je ne cherchai qu’à quitter le plus vite possible cet endroit ». Il déclara aussi : « soudain je compris pourquoi j’étais un peintre » ! Dès 1919, Picasso était reconnu comme expert en matière de tikis ! Durant ses premières années à Paris, son atelier apparaissait aux visiteurs comme un cabinet de curiosités. Rappelons que les premiers musées ne s’appelaient pas musées mais bien Cabinets de Curiosités. Dans un article consacré à cette figure majeure de l’art moderne, André Salmon (poète, critique d’art et écrivain français) décrivait ainsi l’impression donnée par le premier atelier de Picasso sur le boulevard de Clichy : « Grimaçant depuis chaque meuble se trouvent d’étranges figures de bois qui sont parmi les sculptures les plus magnifiques d’art africain et polynésien. Bien avant que Picasso ne vous montre son propre travail, il vous permet d’admirer ces merveilles d’art primitif… Picasso par-dessus tout refusait d’être appelé le père du cubisme, dont il n’était que l’inspirateur ». Peu avant 1911, Picasso fit l’acquisition d’un tiki des Îles Marquises, vraisemblablement au marché aux puces de Paris ou auprès de son ami poète Guillaume Apollinaire, nul n’en a la certitude. Ce que nous savons est qu’il conserva cette sculpture auprès de lui toute sa vie. Aujourd’hui, 42 ans après sa disparition, le tiki marquisien de Picasso reste conservé dans sa famille.
Nombre de ces me’ae en possédaient un ou plusieurs, généralement placés sur la plus haute plateforme ou au sommet d’une colline surplombant ces espaces sacrés. Des offrandes comprenant des fruits et des légumes – et même parfois issues de sacrifices d’animaux ou d’humains – étaient déposées sur ou près des statues afin de les honorer. Ces tikis étaient vêtus de tapa (tissu d’écorce) sacré, blancs et ornés de couronnes de fleurs ou de coquillages. Tous les tikis marquisiens de bois partagent le même style caractéristique. Ceux en pierre (tiki ke’a) sont généralement plus épais et accroupis plus bas que ceux qui sont taillés dans le bois (tiki akau). Tous regardent vers l’avant, leurs genoux légèrement pliés et leurs bras près de leur corps. Les mains sont posées sur le ventre qui était considéré comme le centre des émotions. Ils peuvent être soit mâles soit femelles mais les organes génitaux sont rarement exposés. La tête des tikis marquisiens est toujours importante et constitue manifestement la partie la plus effrayante du corps. Le visage est doté d’un large nez plat et la bouche est représentée par une large fente étirée d’où sort le bout d’une langue.
Pablo Picasso a été de loin l’artiste le plus célèbre du 20èmesiècle. Tous lui ont rendu visite à son atelier et ont vu ce tiki : artistes, écrivains, poètes, le monde artistique et le monde non artistique… Là, ils étaient accueillis par notre « Ambassadeur Marquisien ». Sculptées à travers toute la Polynésie, ces figures aux formes humaines dont certaines étaient imposantes étaient appelées tikis (tiki en marquisien, ti’i en tahitien). Elles constituaient la forme d’art la plus pure et représentaient des dieux et des ancêtres déifiés. Aux Îles Marquises, certains tikis étaient sculptés dans le bois, d’autres dans de la pierre et d’autres encore à partir d’os humains. Leur taille variait de 5 cm à 2,5 m. Ils étaient exécutés par de talentueux artistes appelés tuhuna ta’ai tiki. Lorsqu’il sculptait un tiki, le tuhuna commençait par tracer les proportions générales puis procédait à leur exécution de bas en haut : par les jambes tout d’abord pour terminer par la tête. L’artiste débutait par la bouche lorsqu’il gravait les traits du visage. Les yeux, éléments les plus expressifs et puissants du visage, étaient réalisés en dernier. Au cours du processus de sculpture, ces artistes exécutaient des rituels spéciaux, censés garantir l’effectivité de ces tikis. Ceux-ci étaient utilisés comme réceptacles ou véhicules pour des esprits ancestraux convoqués par le spécialiste des rituels (tahua), lequel communiquait avec eux. Ils étaient considérés comme sacrés. D’importants tikis en pierre ou en bois se trouvaient sur les sites rituels appelés me’ae.
Les yeux sont largement ouverts, enfoncés, encadrés d’un arc sculpté au-dessus, censé représenter les sourcils. Assez souvent, les oreilles sont décollées de la tête. Parfois le sommet de la tête est plat, mais peut aussi prendre la forme d’un dôme. Certains érudits pensent que la façon dont le haut de la tête est représenté différencie les différentes îles ou même les différentes vallées. Fort étonnamment, le corps des tikis marquisiens est souvent démuni de tout ornement, bien que certains en portent ou présentent quelques tatouages isolés, à l’inverse des artistes qui les ont créés et dont le corps était abondamment tatoué.