Présentes dans le monde entier, des œuvres d’arts font découvrir et représentent la culture polynésienne. Nous vous invitons à en savoir plus sur ces véritables ambassadeurs de Tahiti dans chaque numéro de notre magazine. Voici un to’o, figure anthropomorphique étrange, incarnant ici le redoutable dieu de la guerre, Oro.
À l’instar d’autres figurines de ce type, appelées to’o en tahitien, cette pièce d’une hauteur de 46 cm, représentant une divinité, est clairement anthropomorphique avec ses yeux, ses oreilles, son nez et ses bras facilement discernables. Ce to’o incarne Oro, le dieu tahitien de la guerre. La plupart du temps, les figurines supports de divinités faites de fibres végétales étaient tenues cachées. Ce n’est que lors d’importantes cérémonies rituelles que le to’o était dévoilé. Ces occasions étant l’intronisation d’un nouveau grand chef en temps de guerre, ou les rites saisonniers célébrant les récoltes.
Le to’o était enveloppé d’une couverture protectrice composée de feuilles de pandanus (Pandanus tectorius), puis placé dans une petite « Maison des Dieux », où il était conservé avec d’autres effigies et objets sacrés. Lors de ces occasions spéciales, ce to’o et celui des autres divinités dont la présence était requise, étaient rassemblés sur le même marae (temple sacré). La couverture protectrice était retirée afin qu’il soit exposé à la vue et aux prières des fidèles. Pendant la cérémonie, cette couverture à la fois protectrice et sacrée était rénovée puis à la fin du rituel, l’ensemble était replacé dans la « Maison des Dieux ».
Représentation du dieu de la guerre, Oro
Les représentations de divinités, avec leur mana, empruntèrent de multiples formes en Polynésie. Parfois, les divinités les plus puissantes n’étaient pas représentées par des figures humaines ou animales. À Tahiti, la divinité la plus importante était Oro, le dieu de la guerre. Il était le fils du dieu suprême Taʼaroa et de Hina-tu-a-uta à Opoa de lʼîle de Raʼiatea, où Tapu-tapu-atea, le plus sacré des marae de toute la Polynésie, fut édifié. À l’origine, ce marae était dédié au dieu de la création Taʼaroa. Mais quelque temps après, au 13ème ou au 14ème siècle, ce dieu fut renversé de sa position suprême par son puissant fils Oro, avant d’être finalement oublié.
Le culte d’Oro semble avoir été introduit pour la première fois à Tahiti en 1767, peu de temps avant le premier contact avec les Européens. Durant les quinze premières années du 19ème siècle, avec l’aide du roi Pomare II, le culte d’Oro se répandit rapidement et devint la religion nationale de Tahiti. Cependant, le règne d’ Oro ne dura pas longtemps. En 1816, Pomare II se convertit au christianisme, et la religion indigène de l’île fut rejetée.
Au cours de cette période l’immense majorité des to’o et les représentations de divinités furent détruites. Paradoxalement, elles furent proposées à des missionnaires ou acquises par eux et renvoyées à leurs églises en Europe comme preuves tangibles de leurs exploits évangéliques auprès “des sauvages païens et idolâtres”, pensée commune à cette époque.
Plumes sacrées
D’autres divinités associées à Oro étaient représentées par des effigies plus abstraites et rectangulaires. Généralement, un noyau de bois était soigneusement recouvert de couches de fibre de noix de coco entrelacées. Cette matière ne couvrait pas forcement tout le bois. Ce processus d’emballement était considéré comme sacré. Parfois, on ajoutait des bandes de fibre de coco supplémentaires à l’extérieur de l’effigie permettant de représenter des traits de visage ou les éléments du corps de la divinité. Le bois et les éléments de fibre assuraient une base pour attacher des plumes. On croyait que ces plumes contenaient le mana de cette divinité. Missionnaire anglais né en 1794 et mort en 1872, William Ellis pointa l’importance de ces plumes dans les to’o : « pour ces plumes, les dieux étaient supposés avoir une forte prédilection. Le pouvoir et l’influence du dieu étaient transmis à ces plumes, et par elles transférés aux objets auxquels elles étaient fixées. De nombreuses idoles étaient constituées par un morceau de bois massif, reliées et couvertes de fibres de coques de noix de coco finement tressées. Les plumes étaient fixées sur la surface par des petites bandes de fibres”.
Afin d’être protégé, le to’o, comme de nombreux autres objets sacrés polynésiens, était enveloppé de multiples couches de tapa (tissu faits d’écorces végétales battus) formant d’importants paquetages qui n’étaient ouverts que lors des occasions les plus sacrées. Rappelez-vous que Oro est le dieu de la guerre, ce qui signifie que ses faveurs étaient sollicitées à la veille de chaque grande bataille. Bien qu’Oro était essentiellement associé à l’art de la guerre, d’autres rôles lui étaient également impartis. Il était ainsi patron des ‘arioi, classe aristocratique d’artistes semi professionnels composée de jeunes hommes et de jeunes femmes. Les ‘arioi jouissaient d’une grande liberté personnelle et sexuelle, cependant il leur était interdit d’avoir des enfants. Ils honoraient Oro comme le dieu de l’origine de l’humanité, de l’accomplissement du désir sexuel et de la jeunesse éternelle.
A la limite de l’abstraction
En 1777, au marae de Atehuru dans l’île de Tahiti, le Capitaine James Cook fut le témoin d’un rite sacrificiel vraisemblablement dédié à Oro. Il décrivit ainsi l’ouverture d’un sac de tissus d’écorces tissées : « une extrémité de l’autre sac fut ensuite ouverte mais nous n’étions pas autorisés à nous en approcher pour examiner son contenu, cependant il nous avait été dit que Eatua ( atua, dieu) s’y trouvait caché, ou plutôt ce qui était censé le représenter. Il s’agit d’une chose faite de fibres entortillées de coques de noix de coco en forme de grands couvercles, plutôt ronde avec une extrémité plus épaisse que l’autre. Nous avons très souvent eu des petits Eatua, provenant de différentes personnes. Pourtant nous n’avons jamais su quelle était leur signification ».
Le to’o porte la forme humaine aux limites de l’abstraction. Deux traits verticaux de cordelettes évoquent les traits du visage sur ce to’o avec des petites boucles au sommet représentant les yeux. Une autre paire de boucles semblables aux yeux forme les oreilles. Deux traits horizontaux de cordelettes figurent la bouche. Deux longueurs de cordelettes en forme de L de chaque côté suggèrent les bras.
Le to’o que j’ai choisi pour cet article est supposé avoir été acquis par le Révérend Georges Bennet, qui était un membre de la London Missionary Society). Entre 1821 et 1829, celui-ci visita avec le Révérend Daniel Tyerman visitèrent les différents postes de missionnaires de la LMS autour du monde. De 1821 à 1824, ils se trouvèrent en Polynésie où le Révérend Bennet rassembla une importante collection ethnographique qui fut léguée au London Missionary Society Museum et au Saffron Walden Museum.
Laurance Alexander Rudzinoff