La Polynésie française compte cinq archipels. Chacun d’entre eux a sa langue, son relief et ses particularités, mais aussi son propre nom. Mais quand, comment et pourquoi ont-ils pris cette appellation ? Voilà l’occasion de parcourir l’Histoire tout en se promenant à travers nos îles. Notre guide est l’écrivain Patrick Chastel ; il nous emmène aux Tuamotu et aux Gambier dans ce deuxième volet d’une série de trois.
ARCHIPEL TUAMOTU
Étrangement, l’archipel des Tuamotu, pourtant beaucoup plus bas sur l’eau que les îles hautes, a été repéré bien avant les îles Marquises par les premiers navigateurs européens à avoir osé affronter la mer du Sud. En effet, les cartes marines dévoilèrent bientôt l’existence d’atolls dans cette immense étendue d’eau, et cela grâce à Fernand de Magellan lors de sa tentative de tour du monde entamée en 1519. Ce grand navigateur découvrit le détroit qui porte aujourd’hui son nom, entre la Patagonie et la Terre de Feu, à la pointe sud de l’Amérique. Ensuite, Magellan pénétra dans le Pacifique qu’il nomma ainsi parce qu’il le trouvait étonnamment calme après les terribles semaines passées dans le dédale des canaux qui séparent les deux océans. En 1521, Magellan navigua sans s’arrêter au large d’un atoll qu’il baptisa du nom de San Pablo. On a longtemps pensé qu’il s’agissait de l’atoll de Puka Puka mais on lui préfère aujourd’hui Fakahina.
Il aperçut également d’autres îles qui lui parurent tout aussi désertiques et inhabitées que la première et, devant l’absence évidente d’un quelconque intérêt ou de la moindre richesse, il donna à l’ensemble le nom d’« îles Infortunées ». Continuant son voyage, Magellan fut le premier à reconnaître les îles Philippines, ainsi nommées en l’honneur du futur roi d’Espagne Philippe II. Malheureusement, il trouva la mort dans cet archipel, sur l’île de Samar, en 1522, en s’interposant dans un conflit entre indigènes. D’autres expéditions espagnoles suivirent, avec parfois un sort dramatique comme celle de la caravelle San Lesmes qui se serait échouée sur un récif en 1526. Les 70 hommes d’équipage survivants auraient trouvé refuge sur un atoll, sans que l’on sache exactement duquel il s’agit. En 1606, Pedro Fernández de Quirós, qui fut le chef-pilote de l’expédition d’Álvaro de Mendaña vers les îles Salomon, repéra plusieurs atolls des Tuamotu. Il fit même une courte escale à Hao avant de poursuivre sa route vers ce qui deviendra le Vanuatu. Dix ans plus tard, les atolls de Takaroa, Takapoto, Manihi et Rangiroa furent reconnus pour la première fois lors de l’expédition des Hollandais Jacob Le Maire et des frères Willem et Jan Schouten.
En 1765, l’expédition anglaise menée par le commodore John Byron contourna les atolls de Napuka et Tepoto qui furent nommés « îles du Désappointement » puis se ravitailla, en particulier en noix de coco, à Takaroa et Takapoto appelées « îles du roi George », en l’honneur du souverain britannique. En 1768, Louis-Antoine de Bougainville, en route vers Tahiti avec les navires la Boudeuse et l’Étoile, s’aventura au milieu des atolls. Il ne trouva aucun intérêt à visiter ce groupe d’îles qu’il baptisa du nom tout à fait approprié d’ « archipel Dangereux ». En effet, les récifs au ras de l’eau, souvent visibles qu’au dernier moment, ainsi que les forts courants entre les atolls, ont régulièrement provoqué de nombreux échouages ou naufrages.
De toutes ces appellations différentes, données au fil des années par les navigateurs européens, seule fut conservée celle utilisée par les habitants de ces îles : les Tuamotu. C’est l’archipel le plus étendu de la Polynésie française, il compte 77 atolls. Si, en tahitien, le mot motu signifie île, par contre le mot tua peut se traduire soit par le large, la haute mer, donc les « îles au large », soit, dans un sens plus ancien, par « nombreux, multiple, en grande quantité ». Ainsi, le mot Tuamotu aurait exactement le même sens que le mot Polynésie, signifiant en grec les « îles nombreuses ».
ARCHIPEL GAMBIER
À l’extrême est des Tuamotu se trouve l’archipel des Gambier, dont l’île la plus importante est Mangareva. Les Gambier se différencient des Tuamotu par le relief puisque ce sont des îles hautes. En 1797, le navire anglais Duff, commandé par le capitaine James Wilson, faisait route en direction de Tahiti. Les voyages de Wallis et de Cook avaient permis de mieux connaître cette partie du monde et avaient sensibilisé les autorités religieuses de Grande-Bretagne. À bord du Duff se trouvaient une vingtaine de jeunes missionnaires de la London Missionary Society, la Société missionnaire de Londres, chargés d’évangéliser ces îles lointaines que les géographes appelèrent bientôt Océanie. Sur sa route, le Duff traversa un petit groupe d’îles jamais encore signalé par les navigateurs. Le capitaine ne s’y arrêta pas mais décida de les nommer « îles Gambier » en l’honneur du baron John James Gambier, amiral de la flotte de la Royal Navy et ardent défenseur de l’action des missionnaires à travers le monde. Wilson donna également le nom de son bateau au point culminant de Mangareva qui devint ainsi le mont Duff. Celui-ci domine le village de Rikitea, chef-lieu de cet archipel qui compte six îles et de nombreux îlots. Le Duff atteignit Tahiti le 5 mars 1797 et jeta l’ancre dans la baie de Matavai. Le débarquement des missionnaires de la London Missionary Society resta en Polynésie comme une date très importante puisqu’elle marque le jour de l’arrivée de l’Évangile sur le territoire, journée fériée et fêtée comme il se doit chaque année.
Patrick Chastel
Prochain numéro : Société et Australes