En provenance d’Asie du Sud Est à l’issue d’une migration de plusieurs milliers d’années, les Polynésiens parvinrent à peupler nos îles, ces terres isolées vides de toute présence humaine. Mais ce que l’on sait moins est qu’ils poursuivirent leur exploration conquérant de nouvelles terres dont l’île de Pâques, Hawaii et la Nouvelle-Zélande. Une odyssée que nous vous racontons dans une série de trois articles avec pour débuter la conquête de la Nouvelle-Zélande.
Aotearoa, Pays du long nuage blanc, tel est le nom māori de la Nouvelle-Zélande, ce pays constitué de deux grandes îles principales et situé à quelques 4 000 kilomètres de la Polynésie française, soit un peu plus de 5 heures de vol au départ de Papeete. Couvrant une superficie d’environ 270 000 km2, la Nouvelle-Zélande offre aux visiteurs une multitude d’activités touristiques et culturelles. Quand les grandes villes comme sa capitale Wellington, ou Auckland -ville la plus importante- proposent nombre de spectacles, concerts et possibilités de shopping, ses paysages à couper le souffle ravissent les amoureux de la nature et les passionnés d’activités de plein air. Sur les 4,6 millions d’habitants que compte le pays aujourd’hui, on recense moins de 15% de Māoris, descendants des premiers grands navigateurs polynésiens qui auraient découvert cette terre entre le Xè et le XIIIè siècles selon les études les plus communément admises.
La toponymie de l’île rappelle les aventures et le parcours de ce navigateur depuis son arrivée à bord de sa pirogue Matawhaorua à Whangaroa dans la Baie des Îles, dans le nord de l’île du Nord. On trouve ainsi des falaises du nom de Te Kupenga-ā-Kupe (kupenga correspond à upe’a en tahitien et désigne un filet) ou encore une baie du nom de Te Whekenui. Un cap porte celui de Te Taonui-ā-Kupe (la grande lance de Kupe) ; il s’agit du Cap Jackson situé dans les Marlborough Sounds, magnifique région du nord-est de l’île du Sud où l’on trouve de nombreux toponymes en relation avec le célèbre ancêtre polynésien.
Que disent les scientifiques ?
Les grandes migrations au départ de l’Asie du sud-est vers les îles du Pacifique commencent il y a environ 6 000 ans. Elles se font à bord de grandes pirogues doubles sur lesquelles sont embarqués hommes et provisions. 3 000 ans plus tard ces navigateurs austronésiens venus de l’ouest s’établissent entre l’archipel Bismarck et les îles Salomon où ils se mêlent aux populations locales. 2 000 ans plus tard, les Lapita, comme on les désigne aujourd’hui, colonisent le Vanuatu, Fidji puis les îles Tonga et Samoa. Ces navigateurs s’orientent grâce au soleil, aux astres, grâce aux vents, houles et courants. Au fil du temps ils ont acquis une connaissance pointue de leur environnement et leurs compétences de navigateurs se développent à mesure qu’ils s’aventurent plus à l’est. Les savoirs maritimes de la construction des embarcations aux techniques de navigation- sont enseignés dès le plus jeune âge et sont relatés dans les mythes. Au fil des siècles, et à la suite de guerres ou de famines, les migrations se poursuivent pour atteindre les sommets les plus reculés de ce que l’on appelle aujourd’hui le Triangle Polynésien. Ainsi, des mouvements migratoires se produisent de Samoa et Tonga vers les Marquises, les îles de la Société, l’île de Pâques, Hawai’i, et la Nouvelle-Zélande.
Aujourd’hui encore, il y a divergence sur les dates mais les archéologues de référence considèrent que les Marquises sont les premières îles orientales à avoir été colonisées vers l’an 300. Elles constitueraient le point de dispersion majeur vers les autres îles, à savoir, dans l’ordre chronologique, l’île de Pâques, Hawai’i, les îles de la Société et la Nouvelle-Zélande. Le site de Wairau Bar près de Blenheim dans l’île du Sud est considéré comme le plus ancient site de peuplement de la Nouvelle-Zélande. Ce site dont le nom autochtone est Te Pokohiwi ō Kupe (L’épaule de Kupe) fut découvert par le jeune Jim Eyles en 1939. Des fouilles y ont depuis été entreprises qui ont permis de mettre au jour la plus grande collection d’artéfacts -plus de 2000 pièces- jamais trouvés sur un même site ; divers outils tels que des herminettes, ciseaux à bois et hachettes, des hameçons, et des bijoux. Les pièces retrouvées étaient faites en bois, en os, en pierre, en coquillage ou encore en argile. Les fouilles ont aussi révélé la présence de plateformes d’habitat, de fours traditionnels –umu– de même que des os et oeufs de moa, oiseaux de grande taille de la famille des Dinornithidae aujourd’hui disparus. Par ailleurs, plusieurs dizaines de sépultures ont été fouillées ; les restes humains ont été analysés afin d’en extraire l’ADN. À partir des analyses génétiques et grâce aux techniques de reconstruction assistées par ordinateur, des visages ont été révélés dont celui de la femme māorie la plus ancienne jamais étudiée, celle prénommée affectueusement “ Aunty ”.
Des théories alternatives
S’il ne subsiste plus aucun doute quant à la région dont est originaire ce peuple de navigateurs arrivés dans le Pacifique vers l’an 1000 avant notre ère, certains pensent que l’on ne peut cependant pas exclure la possibilité que d’autres peuples aient colonisé les îles de la Polynésie actuelle. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, des théories très populaires envisagent la possibilité que d’autres peuples aient colonisé les îles avant les Māoris. Depuis quelques années en effet, de plus en plus de voix se font entendre pour revendiquer des ancêtres primordiaux originaires d’autres régions que le sud-est asiatique. Certains clans se disent descendants de peuples venus de Mélanésie, ou encore d’Asie mineure, d’Égypte ou d’autres cultures du bassin méditerranéen. Par exemple, depuis les années 1980 certains iwi māoris se réclament de la Nation Waitaha, formée de peuples arrivés plusieurs générations avant les premiers Māoris emmenés par Kupe. D’après les partisans de cette théorie, ces premiers habitants s’étaient établis à l’Île de Pâques avant de poursuivre leur voyage vers l’ouest jusqu’à la Nouvelle-Zélande où quelques centaines d’années plus tard ils furent exterminés par les Māoris qu’ils décrivent comme un peuple belliqueux et sans pitié.
D’après la tradition orale des Morioris, leurs ancêtres sont arrivés à Rēkohu -nom vernaculaire de Chatham, l’île principale- à bord de trois grandes pirogues doubles nommées Rangi Houa, Rangi Mata et Oropuke avant d’être envahis par les belliqueux Māoris. Les îles Chatham demeurèrent relativement isolées jusqu’à ce que le vaisseau anglais HMS Chatham commandé par Broughton y jette l’ancre en 1791 lors de l’expédition Vancouver. Après les assauts des Māoris, les maladies introduites par les Européens décimèrent une grande partie des Morioris, et le dernier individu de pure souche s’éteignit en 1933. Les descendants des Moriori continuent de se battre aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs droits sur les terres dont ils sont privés depuis plus de 150 ans. Il est à noter que ces théories refont surface régulièrement, dans des moments de crise -quête identitaire ou revendications foncières- et alors que l’intérêt des scientifiques pour les traditions orales des peuples autochtones de cette région se développe. C’est en s’intéressant aux légendes locales que certains y ont vu des réponses à la question du peuplement du pays. Et, de fait, de nombreuses légendes font état de la présence d’un peuple autochtone antérieurement à l’arrivée des premiers Polynésiens en Nouvelle-Zélande. Certaines évoquent par exemple les Patupaiarehe, êtres blonds aux cheveux clairs -châtains ou roux-, tantôt géants, tantôt de petite taille.
D’après la tradition orale, Kupe fut le premier navigateur du Pacifique à toucher les rives de la Nouvelle-Zélande entre les années 600 et 900 de notre ère, dates qui varient selon les sources. Selon la version la plus communément acceptée Kupe quitta son île natale, Hawaiki (Ra’iātea) à la poursuite d’une pieuvre géante nommée Wheke-a-Muturangi. D’après d’autres récits Kupe, amoureux de l’épouse de son cousin Hoturapa, emmena celui-ci à la pêche et l’abandonna. Il aurait quitté son île pour échapper à la vengeance de la famille, et une fois arrivé près des côtes de la Nouvelle-Zélande, il aurait vaincu Whekenui (Wheke en māori –fe’e en tahitien- désigne une pieuvre) et l’aurait fait cuire dans un immense four –umu wheke-.
À l’origine, un mythe…
Lorsque Kupe découvrit la Nouvelle-Zélande, celle-ci était couronnée d’un nuage blanc et sa femme, Hine-i-te-aparangi, se serait exclamée : “He ao, he ao tea, he ao tea roa!” “ Un nuage, un nuage blanc, un long nuage blanc ! ”. Telle serait l’origine du nom Aotearoa. Après avoir exploré Aotearoa, Kupe serait reparti vers les siens ; un estuaire situé au nord-ouest de l’actuelle ville d’Auckland rappelle son retour vers son île natale ; il s’agit de Te Hokianga-nui-ā-Kupe, “ le grand retour de Kupe ” (Hoki en māori –ho’i en tahitien- signifie repartir). De retour chez lui, il aurait transmis les données nécessaires pour retrouver cette terre nouvellement découverte. À sa suite, plusieurs pirogues doubles ou waka whaorua (appelées va’a taurua en tahitien) abordèrent ses côtes, dont sept principales auxquelles les clans māoris – ou iwi – rattachent leurs généalogies. Il s’agit de Tainui, Te Arawa, Matatua, Kurahaupo, Tokomaru, Aotea et Takitimu.
Des dates controversées
Depuis les années 1920, les scientifiques tentent d’établir une chronologie du peuplement de la Polynésie, sans parvenir à un consensus. Cependant la communauté scientifique s’accorde à reconnaître un certain nombre d’éléments. Tout d’abord, qu’une pause de plusieurs centaines d’années a certainement eu lieu entre le peuplement initial des îles Samoa et Tonga par les Lapita et le peuplement des îles polynésiennes plus à l’est. Les scientifiques s’accordent aussi généralement à reconnaître que la colonisation des îles de Polynésie orientale s’est faite en plusieurs vagues. Ils reconnaissent les échanges nombreux entre les terres colonisées de même que les voyages de “ retour ”, d’est en ouest, qui expliquent la présence de plantes originaires du continent américain dans l’ensemble des îles polynésiennes bien avant l’arrivée des Européens : tel est le cas de la patate douce (Ipomoea batatas) et probablement de la calebasse (Lagenaria siceraria). Il est aussi généralement admis que le processus de peuplement des îles de Polynésie Orientale amorcé 500 ans avant notre ère s’est achevé entre les VIIIè et XIIIè siècles selon les îles.
Les analyses chimiques ont révélé que cette population ancienne souffrait d’arthrite et d’un taux élevé d’acide urique, signe que ces Polynésiens avaient une prédisposition à la maladie de la goutte. Quant aux analyses génétiques, elles ont aussi permis de localiser Hawaiki, la terre d’origine de ces Polynésiens dans une zone comprenant une quinzaine d’îles et s’étendant des Îles Cook aux Îles de la Société. Ces Polynésiens établis à Wairau seraient parmi les premiers Polynésiens à avoir colonisé la Nouvelle-Zélande autour des années 1300. Te Rūnanga a Rangitāne o Wairau Trust est l’organisation qui veille sur les intérêts de la communauté Rangitāne établie dans cette région depuis le XVIè siècle. Elle a également pour mission la préservation et la transmission de l’héritage culturel des autochtones de cette région réputée aujourd’hui principalement pour ses vignobles. Ce trust n’a pas ménagé ses efforts pour que les restes humains –koiwi tangata– extraits du site et entreposés dans les musées de Canterbury et Te Papa retrouvent leur place d’origine. Il veille aujourd’hui à la bonne avancée des recherches dans le respect des anciens qui y sont enterrés.
Voyageant à bord de pirogues doubles, cette nation aurait regroupé trois ethnies distinctes : des gens au teint clair et aux cheveux clairs ou roux, d’autres plutôt grands et à la peau foncée, et enfin, des gens à la peau olivâtre et aux paupières plissées. Il est dit que la première ethnie savait lire les étoiles, que la deuxième était experte en culture des sols, et que la troisième avait la maîtrise de la « pierre verte » ou néphrite. Cette théorie se base sur un ouvrage censé rapporter la tradition orale collectée par des professeurs d’histoire et de culture māorie auprès d’anciens. Mêlant spiritualité, utopisme et légendes, elle fait de nombreux adeptes même si elle est critiquée pour la faiblesse des preuves qu’elle apporte de l’existence de ce peuple primordial, d’autant qu’elle est née dans un contexte de revendication foncière et qu’elle reprend des arguments très anciens qui avaient été avancés au sujet des Morioris et qui, depuis ont été invalidés. Au début du XXè siècle, en effet, les ethnologues Elsdon Best et Percy Smith avaient écrit sur l’extermination des Morioris par les Māoris. Les Morioris, autochtones des îles Chatham situées environ 800 km à l’est de la Nouvelle-Zélande, seraient issus selon eux de peuplements antérieurs à ceux venus des îles des Marquises et de la Société ; ils seraient les descendants d’un peuple de navigateurs venu de la Mélanésie actuelle et arrivé avant ou à la même période que les Māoris.
On trouve ailleurs en Polynésie des êtres semblables dans les mythologies locales ; ils sont Mokorea aux Tuāmotu, Orovaru aux îles Australes, et on les reconnaît à leur longue chevelure abondante, souvent de couleur claire ou rousse, ainsi qu’à leurs ongles longs semblables à des griffes. En Polynésie française aussi, certains se disent descendants de ces êtres mythiques, mais en Nouvelle-Zélande il semble qu’ils soient de plus en plus nombreux à s’intéresser à ces origines alternatives, comme en témoignent les nombreux articles sur le sujet depuis une vingtaine d’années. Hélas pour ceux qui voudraient des réponses définitives, les méthodes utilisées pour la datation des vestiges ne sont pas complètement fiables, et les prélèvements sont encore trop peu nombreux pour que l’on puisse établir avec certitude la date des premières colonisations. À ce jour, rien ne permet de rejeter de manière définitive l’hypothèse d’un peuplement antérieur à celui des Polynésiens, ni celle de peuplements multiples car de nombreux sites restent à explorer et à étudier. Les fouilles archéologiques de même que les recherches biologiques et linguistiques se poursuivent et de nouvelles données seront certainement mises au jour qui viendront remettre en question les théories et datations précédentes car Aotearoa n’a pas encore livré tous ses secrets…