Manihi, couronne de corail immense et lagon majestueux, berceau de la perle noire. Alliance de tradition et d’ouverture sur le monde où chaque rencontre est une découverte surprenante.
Le lagon immense où naquit la perle noire…
Immense couronne corallienne située à cinq cents kilomètres au Nord-est de Tahiti, Manihi possède l’un des plus grands lagons de l’archipel des Tuamotu, le second par sa superficie, après celui de Rangiroa. Avec ses cent quatre vingt douze kilomètres carrés d’eaux allant du turquoise au bleu profond, il offre aux huit cents habitants des fonds très poissonneux permettant, chaque jour, des pêches abondantes. La couronne de l’atoll se compose de plus de deux cents motu, des îlots coralliens, séparés entre eux par de larges hoa, des passages peu profonds, où océan et lagon se rencontrent. Une unique passe, Tairapa, ouvre l’atoll sur l’Océan Pacifique. Large d’une cinquantaine de mètres, elle forme un tombant profond de près de trente mètres en son milieu. Navigable, elle accueille toute l’année les bateaux de ravitaillement, tel le Dory, qui arrive chaque jeudi chargé de provisions pour les deux magasins et de matériel divers.
Les navigateurs hollandais Willem Schouten et Jacob le Maire furent les premiers Européens à observer l’atoll en 1616 lors d’une mission d’exploration. Il le baptisèrent Waterlandt, marqués sans doute par l’immensité de son lagon. Ce nom n’a pas subsisté, la langue pa’umotu l’ayant déjà baptisé Manihi. Cette langue, le Mihiroa est, à quelques mots près, la même utilisée dans tous les atolls de l’archipel de Tuamotu. Aujourd’hui, les habitants de Manihi vivent du coprah, de la pêche, et du tourisme. Le village de Tuipaoa borde la passe, à l’Ouest de l’atoll. De l’autre côté de la passe s’étend le plus grand des motu, celui qui accueille l’aéroport et sa piste ainsi que l’hôtel Pearl Beach. La construction de l’aéroport et la présence de l’hôtel, où de nombreux habitants travaillent, ont généré une migration de la population qui vivait autrefois à l’Est de l’atoll dans le village historique dont il reste quelques vestiges.
Un ancien marae, Tokivera, se dresse au Sud de l’atoll, et deux autres, Farekura et Kamoka, au Nord. La plupart des familles vivent au village la semaine et rejoignent chaque week-end leur motu, de l’autre coté du lagon, où chacun vit alors au rythme de l’environnement si particuliers des atolls. La majorité des habitants sont originaires de Manihi depuis des générations, et deux grandes familles se partagent l’essentiel de ce patrimoine, comme l’illustrent les noms gravés dans les délicates pierres du cimetière de Turipaoa. Mais la grande fierté des habitants provient du fait que Manihi a été le premier atoll polynésien à produire le joyau de la Polynésie : la perle noire. L’île fût en effet la première à exploiter ce miracle de la nature, dès le milieu des années 1960, à travers la Société Perlière de Manihi, entreprise d’ailleurs toujours en activité.
Aujourd’hui, de nombreux motu abritent des fermes perlières, parfois abandonnées, d’autres, toujours en activité. Ces petites cabanes sur pilotis au toit recouvert de nî’au, c’est à dire des palmes de cocotiers tressés, ont pris une douce couleur gris-argenté, couleur de la perle qu’elles ont fait naître. D’autres sont parées d’un joli toit bleu clair, couleur de lagon. Chaque visiteur de l’atoll ne peut partir de Manihi sans ce précieux joyaux. Car, à la vue de cette poe rava, cette perle noire, ce sentiment envahi chacun : elle semble réellement être la plus belle d’entre toutes.
Au village, dès le lever du jour, il n’est pas rare de voir les habitants s’affairer autour des maisons, dans les allées du village et sur le quai. Un râteau ou un petit balai à la main, on ratisse les jardins, on ramasse les fleurs tombées au sol. Point de décharge sauvage à Manihi. Toutes les ordures sont collectées dans des containers devant les maisons, puis dans un centre de traitement. Certains ont repeint leur maison dans une jolie couleur, du bleu, du vert, de l’ocre. Nana et Huri ont choisi une belle couleur orange et ont ajouté une pièce à leur demeure. Les bateaux, dans la marina, ont aussi chacun leur couleur, bleu, jaune, vert… Les pots de fleur ne sont pas rare dans les petits jardins, posés sur le gazon japonais qui forme comme un tapis de mousse, moelleux à souhait sous les pieds nus. Les longues allées en soupe de corail ont été refaites, permettant à chacun d’aller et venir plus aisément. Le nouveau maire de l’atoll, Mahi, est une femme, et il y a fort à parier qu’elle a pris part à ces derniers aménagements. Face au quai se construit un réfectoire pour les enfants, remplaçant bientôt l’ancien, installé dans un préfabriqué.
A Manihi, au delà de l’aspect purement esthétique, c’est bien l’environnement et la nature qui préoccupent les habitants. Chaque famille possède dans l’atoll un motu, véritable résidence secondaire où chacun déserte le temps d’un week-end. Chaque motu est équipé de panneaux solaires. La pêche elle-même est un rituel empreint de règles, en harmonie avec la nature. A l’aide de fusils sous-marins, on ne pêche que des poissons de taille honorable. La pêche des paua, coquillages bénitiers se fait selon la réglementation. Il faut être certain que sa longueur soit au moins équivalente à une main d’homme. Les maoa, coquillages charnus, se ramassent le long des hoa à la frontière entre lagon et océan. Cette cueillette doit se faire en silence, sous peine de mettre l’océan en colère. Sous l’eau ou sur le corail, la pêche est élevée au rang d’art à la fois écologique et mystique…
Les motu, instants d’éternité
Tout aussi magiques sont les excursions sur les motu. Les pensions de l’atoll ainsi que l’hôtel en ont fait une de leurs spécialités. Une journée sur un motu désert est une expérience à part entière. Elle commence par une traversée sur les eaux cristallines du lagon, un abordage du motu, le bateau échoué sur le sable. Il faut plonger les pieds dans l’eau pour enfin atteindre cette plage que l’on espère depuis de longues minutes, dès lors qu’elle est apparue, au loin. Pendant que l’on foule le sable fin, le repas traditionnel se prépare, avec l’aide cette fois de Noël, guide touristique de l’île depuis plusieurs années et natif de Manihi. Ses mains expertes écaillent mérous, rougets, et perroquets multicolores qui se mêlent au uru, fruit de l’arbre à pain cuit dans le four tahitien, barbecue du Pacifique creusé à même le sol. De petits pains gonflent sur la braise, leur pâte entourée dans une feuille vert tendre.
Après ce festin, arrosé d’eau de coco fraîche, vient le tour d’une raie curieuse ou d’un petit requin de déguster arrêtes et nageoires. Une communion avec la nature qui se prolonge par un tour du motu. Les visiteurs partagent le même sentiment : celui d’avoir une chance presque inouïe d’admirer un tel paysage. En traversant le motu, les crabes par dizaines précèdent le promeneur, se réfugiant dans leurs gites. Des oiseaux étonnés observent de haut le ballet des humains. Vini, fous à pieds rouges, frégates, sternes, rien n’échappe à leurs yeux noirs et brillants. De l’autre coté du motu, l’océan s’étend à perte de vue, du bleu marine au noir, qui contraste avec le souvenir tout proche du lagon turquoise. Les vagues puissantes viennent se briser sur le corail, le sculptant au gré du vent. Ces vagues qui semblaient si grandes deviennent timides au contact du motu, semblant admettre que le calme, seul, est dévolu à ce paysage enchanteur. Au retour de la promenade, c’est parfois enthousiastes et intarissables, parfois bouche bée, que les visiteurs quittent ce petit bout de paradis. Demain matin, certain se demanderont s’ils ont rêvé…
Manihi, véritable royaume sous
la mer
Si la vie est si paisible sur terre, la vie sous marine est elle, des plus animées. L’atoll offre une dizaine de spots de plongée renommés et les plongeurs du monde entier ne tarissent pas d’éloges sur les fonds très poissonneux de Manihi. Peu fréquenté, le lagon est riche de centaines d’espèces de poissons et de mammifères marins. Le plongeur a deux options, celle du lagon ou de l’océan, ainsi que la passe, reliant ces deux mondes étroitement liés mais aussi très différents l’un de l’autre. Plonger dans la passe donne le sentiment de voler au dessus des poissons, évoluant près de dix mètres en dessous. Lorsque l’océan pénètre le lagon, à marée rentrante, une plongée en dérive permet de rencontrer des thons, des barracudas, des requins, notamment les rares requins dormeurs, ainsi qu’une multitude d’autres poissons qui semblent s’y donner rendez-vous. Avec un peu de chance, vous croiserez aussi quelques dauphins, friands des courants dans les passes.
Coté océan, une plongée le long du tombant vertigineux, dégringolant brutalement de trois à mille cinq cents mètres de fond, offre une rencontre avec les carangues, les napoléons, les bonites et le spectacle de la reproductions des mérous au mois de juillet. Coté lagon, le cirque est un des spots accessible à tous. En bouteille ou en snorkeling, à la rencontre des murènes, loches, raies manta et léopard, requins pointe blanche et pointe noire… Les plus jeunes apprécieront certainement l’agitation des petits poissons tropicaux autour des patates de corail, semblant se jeter sur la dernière miette à grignoter. Les poissons les plus curieux viennent contre le masque du plongeur et, du plongeur ou du poisson, personne ne saurait dire lequel est le plus étonné de cette rencontre. Une loche marbrée, un requin citron, une raie manta, des centaines de mérous, napoléons, anges maure, poissons flèche : le récit extraordinaire d’une plongée ordinaire à Manihi.
A la rencontre d’une tradition réinventée
Sur cet atoll du bout du monde, la tradition tient une place importante. Hommes et femmes de Manihi ont su inculquer à leurs enfants, et parfois au visiteur, l’intelligence de se souvenir mais aussi d’adapter intelligemment la vie de l’atoll au monde moderne.
C’est certainement au mois de juillet, lors des fêtes annuelles polynésiennes, que Manihi exprime le mieux toute la fierté et la culture qu’elle porte en elle. En arrivant au village, le décor est planté. Là, sur le quai, en bordure du lagon, ont poussé une dizaine de petites cabanes, faites de bois et de feuilles de pandanus tressées, leurs murs sont tendus de tissu multicolore. Chaque soir tous les habitants, ainsi que quelques visiteurs, se retrouvent pour déguster ensemble un poisson grillé, un chao men ou quelques brochettes de cœur de bœuf. Dans le petit restaurant de Thea, la décoration est chaque année plus travaillée. Aux minces poutres sont suspendus de magnifiques paniers qu’elle confectionne elle-même. Elle cuisine en famille, sur un air traditionnel polynésien. A la grande table centrale s’est installée une famille pas comme les autres. Deux femmes, deux hommes, et deux jeunes filles. Micheline, Claude, Pauline et Lisa font cette année un voyage exceptionnel. Pour Pauline et Lisa, il s’agit d’un voyage de retour aux sources, à la rencontre de leur culture. Elles ont été confiées à la naissance à ce couple de métropolitain par Huri et Nana. Aujourd’hui, ces deux belles petites polynésiennes de naissance rencontrent leur parents biologiques, leurs nombreux oncles, tantes, cousins et cousines vivant à Manihi. Autrefois tradition entre polynésiens, l’adoption appelée fa’amu, littéralement, donner à manger, s’est étendue aux métropolitains.
A la main, Lisa tient un carnet où elle note tous les mots en langue pa’umotu qu’elle veut apprendre avant la fin du séjour. Son père adoptif l’aide à noter, son père biologique l’aide à prononcer. La plus jeune, Pauline, est déjà partie jouer avec ses cousines. Nana, maman biologique et Micheline, maman adoptive choisissent ensemble un panier tissé, l’une conseillant l’autre. Le tissage sert aussi à faire de magnifiques chapeaux en palme, mais pour cela, c’est à Tupana Tahoa qu’il faut s’adresser. C’est avec fierté qu’elle transmet son art à ceux qui le souhaitent. Ce jour là, c’est Pierre, voyageur de passage, qui s’applique, une palme à la main, à reproduire les gestes experts. Dans toute la Polynésie les chapeaux tressés ont souvent le dessus arrondis, mais ceux là sont différents. Leur dessus est carré. Il y a quelques années, un bateau venu d’Hawaï a laissé en souvenir un de ces chapeaux. La belle mère de Tupana a défait le chapeau pour comprendre ce tressage diffèrent et l’a transmis à sa belle fille. Il parait qu’il permet de porter un chignon en dessous, contrairement aux chapeaux au sommet arrondis! Une fois son chapeau terminé, Pierre n’a qu’à flâner dans les jardins pour trouver les fleurs qui orneront son œuvre. Tard le soir, dans chaque quartier du village, à l’abri des regards indiscrets, les troupes de danseurs s’entraînent. Les plus jeunes ont six ans, menés par parents et aînés. Chacun s’applique. Ici la danse est un art chaque fois revisité et chaque troupe entend bien gagner le concours qui se tient mi-juillet devant la mairie. Les amis et cousins accompagnent la danse au son des ukulele et pahu, tambours polynésiens. Une chanson termine le tableau, chacun revisitant les classiques de l’atoll ou de Tahiti. Le chef de la troupe assène à ses danseurs, en pa’umotu : “Levez la tête, souriez, soyez fiers d’être à Manihi, et vous gagnerez”
Manihi, berceau de la perle et des Robinson en herbe
Si la découverte de la perle est incontournable à Manihi, le visiteur s’enchante aussi d’y ressentir le doux frisson des îles désertes. Un calme, une sérénité que les voyageurs regrettent à l’unisson en quittant ce bout d’éternité qu’est l’atoll de Manihi.
En matière d’esthétique, il n’y a pas que le village qui contribue aujourd’hui au succès touristique de l’atoll. Si Manihi est si incontournable, c’est avant tout parce qu’ici est née la perle noire, en faisant le premier atoll polynésien à comprendre la valeur de cette sphère de nacre, deuxième ressource économique du territoire. Le visiteur ne connaîtra pas Manihi sans visiter l’une des fermes perlières. La première, historique, Société Perlière de Manihi, ou les autres, notamment Faura Tapu, ou encore Faura Terii, révèlent les secrets de ce joyau. La greffe, la mise au lagon des huîtres perlières, la récolte, le calibrage, le tri des perles par couleurs, rien n’échappe au visiteur. Du noir profond, la perle peut revêtir des teintes très variées, du jaune d’or au rose pâle, jusqu’au vert émeraude.

