Bande annonce du film Gauguin – Voyage de Tahiti – avec Vincent Cassel
3 août 2017 in Non classifié(e), Vidéos
Francis Gazeau, l’aventurier au grand cœur
27 janvier 2017 in Découverte
Il est des hommes qui forcent le respect par leur courage et leurs actions, le Polynésien Francis Gazeau en fait partie. Dire qu’il a été remarquable toute sa vie serait sûrement faux, mais louer son exemplarité et sa noblesse depuis sa greffe de cœur, 10 ans auparavant, est plus juste. Ce septuagénaire accomplit aujourd’hui des défis d’exception pour sensibiliser au don d’organes. Le prochain en date : un an en solitaire sur l’île de Clipperton.
Le 21 avril 2004, Francis Gazeau est greffé du cœur. Pour ce senior en attente depuis des années, c’est une renaissance et une seconde vie. Cette chance incroyable qui lui est offerte, Francis l’honore de la plus belle des manières. Il se fait l’ambassadeur du don d’organes en Polynésie, et sensibilise la population à ce geste généreux et salvateur via des défis extraordinaires. Pour l’anniversaire des 5 ans de sa greffe, Francis Gazeau partit vivre une année durant, tel un Robinson Crusoé moderne, sur l’un des motu de l’atoll de Tahanea dans l’archipel des Tuamotu. Une première mondiale rendue possible par la confiance de ses médecins, des partenaires et de son indéfectible foi en la vie.
Puis vint la traversée des Tuamotu en pirogue à voile, sur un esquif transformé par ses soins : Takoa, en fait sa pirogue de pêche, agrémentée d’un safran, d’un mât, d’une voile, d’un second balancier et de trampolines. Cette odyssée en pirogue à voile fut l’occasion de promouvoir les Tuamotu, de faire rayonner la Polynésie tout en diffusant son message. Chaque épopée est l’occasion d’un documentaire. Car Francis Gazeau intrigue et passionne par sa détermination, sa confiance et son courage. Les exploits qu’il accomplit sont déjà hors norme pour un homme en excellente condition physique, ils le sont encore plus pour un greffé.
Afin de célébrer les 10 ans de vie en symbiose avec son nouveau cœur, l’homme repousse une nouvelle fois les limites de son mental et de la médecine. Il va s’exiler durant une année sur l’île de Clipperton, l’atoll français le plus isolé du monde situé dans le Pacifique Nord à quelques 1 300 km à l’ouest des côtes mexicaines et à environ 5 600 Km de l’île de Tahiti. Aucun humain n’a foulé Clipperton aussi longtemps et seul… une première mondiale, à nouveau.
Clipperton, le défi fou de Francis
Cette île a toujours fasciné Francis. Aujourd’hui elle se meurt et il compte bien lui redonner vie en promouvant son écosystème auprès d’enfants Polynésiens, au travers d’actions pédagogiques ponctuelles. Quelle belle symbolique que de concrétiser ce rêve pour fêter les 10 ans de sa greffe. Clipperton, c’est 4 km de long et 3 de large, soit 12 km2 de circonférence. L’atoll, découvert par les Français en 1711, a fait l’objet d’expéditions scientifiques, mais rien de commun avec ce que s’apprête à faire Francis Gazeau. Pour atteindre Clipperton, Francis embarquera dès janvier ou février 2015 sur un navire de la marine nationale. Avant cela, il lui aura fallu convaincre le gouvernement français de lui attribuer le statut de représentant bénévole de la France ce qui lui confère, entre autres, l’assurance d’un rapatriement en cas de problèmes. Ensuite, l’organisation reste la même que sur l’atoll désert de Tahanea : au bout de 6 mois, une mission scientifique viendra vérifier la bonne santé physique de Francis. Moins coupé du monde que sur l’atoll de Tahanea grâce aux conférences environnementales qu’il organisera à distance, Francis n’en sera pas moins mis à l’épreuve pour autant.
Une vie en autarcie
Clipperton est pourtant peu accueillante, avec des tempêtes fréquentes et un lagon déserté par les poissons. Dotée d’un climat semi-tropical, l’île connaît 10 à 15 tempêtes violentes en moyenne par an. Vents et pluies sont alors au rendez-vous. Ceci est une première pour Francis, jusqu’alors relativement préservé dans son ermitage des Tuamotu. Aussi, pour préparer au mieux son expédition, l’aventurier engrange conseils, informations, et entretient son mental. Il devra emporter sa nourriture s’il veut survivre, ne pouvant compter sur les rares ressources marines. L’atoll de Clipperton accueille néanmoins une petite cocoteraie. En dehors de cette denrée locale, Francis Gazeau y emportera des miki miki (arbuste très résistant à la salinité et commun sur les rivages des Tuamotu) et des arbres fruitiers. Il s’occupera à planter davantage de cocotiers. Il veut redonner vie à cette île mourante, se faisant le grand jardinier de Clipperton pendant un an.
Afin de naviguer dans son vaste lagon, Francis a échangé son va’a, sa pirogue traditionnelle polynésienne à un balancier contre un hobie cat (petit catamaran), ayant longtemps réfléchi au moyen de transport qui sera le plus efficace une fois sur place. Question abri, il s’en construira deux. Le premier sera dans la cocoteraie, l’autre sur le point culminant de l’île, un rocher volcanique de 29 mètres de hauteur qui émerge du lagon au sud-est de l’atoll. De là, Francis aura un poste de survie et de surveillance. Avant de passer son année en solitaire, l’aventurier septuagénaire aura de la compagnie puisqu’il naviguera durant 15 jours avec les militaires français, le temps de rejoindre Clipperton. Ceux-ci resteront alors 4 jours afin de s’assurer que Francis a pu s’installer correctement et qu’il ne manque de rien. Ensuite, et bien… l’aventure commencera vraiment !
Valentine Labrousse
La greffe de rein, nouveau défi polynésien
Le don d’organes nous concerne tous, car nous pourrions un jour avoir besoin d’une greffe ou bien devenir donneur. Il est donc important d’en discuter avec nos proches, leur faire savoir notre position sur le sujet. En Polynésie, depuis 2013, la greffe de rein est pratiquée bien que les dons soient rares. Les croyances religieuses sont tenaces, quant il ne s’agit tout simplement pas d’une méconnaissance de cette possibilité. C’est pourquoi Francis Gazeau véhicule un message positif sur le don d’organes en Polynésie, allant au contact des populations et réalisant des défis d’exception. Sa motivation : honorer son donneur et ce cœur de 35 ans qui bat dans sa poitrine. Chaque jour est un bonheur, à condition de respecter certaines règles : respecter son traitement, respecter son greffon via une bonne hygiène de vie, respecter les idées des autres sur le don d’organes.
Les exploits de Francis en format “documentaire”
La première aventure en solitaire sur l’atoll de Tahanea fut immortalisée et retracée au travers du film Les as de cœur. La seconde aventure, la traversée des Tuamotu en pirogue à voile, a été fut beaucoup plus médiatisée puisque Francis était suivi par les équipes de Thalassa (magazine bien connu sur le thème de la mer et diffusé sur une grande chaine publique française), de Bleu lagon production et Grand Angle. Le documentaire La pirogue du cœur a été diffusé en France métropolitaine ainsi qu’en Polynésie. À chaque défi, Francis diffuse le film de ses exploits, l’occasion d’échanges et de contacts supplémentaires.
Un livre sur Tahanea
Souhaitant toujours sensibiliser un large public au don d’organes, Francis Gazeau va publier un livre sur son aventure de 2009 sur l’atoll de Tahanea. Le manuscrit est quasiment achevé, préfacé par le professeur Christian Cabrol, cardiologue français de renom, écrit par Gilles Anziluti et publié en Métropole. Une partie des recettes du livre seront reversées à l’association du professeur Cabrol.
Chinois de Tahiti : Des premiers migrants à la naturalisation 1865 – 1973
19 janvier 2017 in Culture
Cent cinquante ans auparavant, en mars 1865 débarquaient sur l’île de Tahiti, 337 travailleurs d’origine chinoise, événement qui marqua la naissance d’une communauté chinoise dans nos îles. Indissociable de l’histoire contemporaine du pays, cette communauté a oscillé entre tradition et modernité, intégration et retour au pays, comme vous le découvrirez dans cet article, premier d’une série en deux parties, consacré aux Chinois de Tahiti. Retour sur ce premier siècle d’histoire, de l’arrivée des premiers coolies à la loi du 9 janvier 1973 qui leur accorde la nationalité française.
Une communauté solidaire
À Atimaono, les conditions de vie et de travail sont très dures. Les hommes vivent confinés sur la plantation et triment 12 à 15 heures par jour pour cultiver le coton, les caféiers et la canne à sucre. Certains y laisseront la vie, d’autres n’hésitent pas à fuir vers les îles Sous-le-Vent, territoire encore indépendant donc hors de portée de l’administration coloniale. À cela s’ajoutent des tensions entre travailleurs Hakkas et Puntis qui finissent parfois en rixes. En 1869, un homme est tué lors d’une de ces bagarres. Plusieurs Chinois sont immédiatement arrêtés et quatre sont condamnés à mort. Finalement trois seront graciés ; le dernier, lui, sera guillotiné. Il s’appelait Chim Soo Kung. Était-il réellement coupable ? L’histoire raconte qu’il se serait sacrifié pour ses camarades afin d’éviter un châtiment collectif. Aujourd’hui encore, Chim Soo Kung est considéré comme un martyr par la communauté chinoise qui se recueille chaque année devant son mausolée, au cimetière chinois de la commune d’Arue. Au-delà des conflits internes, cet homme est le symbole d’une communauté soudée et solidaire.
Port de Hong-Kong, 1865. Trois cent trente-sept Chinois s’entassent sur le trois-mâts prussien Ferdinand Brumm. Originaires de Guangdong, une province du sud-est de la Chine, ils appartiennent aux groupes ethniques des Hakkas et des Puntis (Cantonais). Pour la plupart, il s’agit de paysans pauvres prêts à toutes les aventures pour faire fortune et, surtout, améliorer le sort de leurs familles qu’ils laissent derrière eux, dans un pays alors exsangue, rongé par les guerres, les catastrophes naturelles, la famine et l’insécurité. Le navire les conduit sur l’île de Tahiti, territoire alors sous protectorat français, où un contrat de travail les attend. Ils ont été engagés par la Tahiti Cotton and Coffee Plantation Cy Ltd afin d’exploiter les terres d’Atimaono, une des rares grandes plaines de Tahiti (située sur le territoire de l’actuelle commune de Papara sur la côte ouest de l’île). Depuis l’abolition de l’esclavage en 1848 en France, les grands propriétaires terriens ont besoin de trouver une main d’œuvre bon marché, solide et courageuse : l’immigration chinoise de 1865 s’inscrit totalement dans cette requête. Le 25 mars 1865, après 83 jours de mer dans des conditions particulièrement difficiles, les coolies – terme désignant les travailleurs d’origine asiatique – rejoignent la plantation. Deux autres « convois » de migrants sont attendus dans les mois qui suivent. En tout, plus de 1 000 Chinois sont enregistrés en 1866. Cette première vague d’immigration, autorisée par l’administration française, marque la réelle installation de la communauté chinoise en Polynésie, même si, de façon marginale, quelques Chinois étaient déjà présents bien avant 1865.
Cette solidarité se retrouve en 1873, lorsque la compagnie agricole fait faillite et abandonne ses travailleurs. Livrés à eux-mêmes, ils trouvent de l’aide auprès des quelques Chinois installés en ville. L’entraide s’est exprimée également lors des deux grandes périodes d’installation des Chinois, de 1907 à 1914 (2 512 immigrés) et de 1921 à 1928 (2 152 immigrés) à travers le Tungka kanhe. Cette pratique est à l’origine du développement des activités commerciales de la communauté chinoise dans les îles et les « districts », terme désignant les localités de l’île de Tahiti en dehors de la capitale, Papeete. Elle consiste pour un grossiste de Papeete, ou un gros commerçant, à aider un petit détaillant en lui fournissant des marchandises à crédit sur parole et sans aucun contrat. Le remboursement se faisant à la discrétion du bénéficiaire. Enfin, il y a les nombreuses associations d’entraide comme la Société de secours mutuels qui deviendra, en 1911, la SCI Si Ni Tong, une entité toujours existante d’ailleurs.
De l’immigration temporaire à une présence plus durable
Avec la disparition de la grande plantation, beaucoup de Chinois (principalement des Puntis) quittent alors Tahiti pour retourner en Chine ou poursuivre l’aventure vers d’autres contrées. En 1892, on recense donc moins de 350 Chinois majeurs dans ce qui est alors appelé les Établissements français de l’Océanie et qui correspondait, à peu de chose près, à l’actuelle Polynésie française. Tous sont identifiés par un système de numérotation instauré par l’administration française, afin de pallier le problème de la langue et de la complexité des noms, mais aussi pour mieux les contrôler. Ces anciens coolies obtiennent un permis de séjour, louent des terres, deviennent marchands, maraîchers, épiciers, etc. Ils n’hésitent pas à ouvrir de petites boutiques dans les districts ou les îles éloignées de Tahiti. Là, ils se rendent indispensables auprès de la population polynésienne. Célibataires lors de leur débarquement à Tahiti, ces Chinois de la première heure ont su se fondre dans la société locale en s’unissant très souvent à des Polynésiennes. Leurs enfants, nés de ce métissage, ne reçurent pas particulièrement d’éducation chinoise. De fait, les descendants de ces premiers Chinois ne sont pas assimilés à la communauté chinoise d’aujourd’hui. Celle-ci puise ses origines dans les migrations successives à partir des années 1880, avec notamment l’arrivée de Chinoises. Ce seront-elles les gardiennes de la tradition.
Victimes de taxes discriminatoires
Si les Chinois étaient jusque-là considérés comme des ouvriers agricoles dociles, s’inscrivant dans le cadre d’une migration temporaire et contrôlée, l’évolution de leur situation et l’arrivée de nouveaux migrants n’est rapidement plus du goût des colons et des commerçants européens. Très virulents, ces derniers ne cessent de dénigrer et de vilipender la communauté chinoise. Ils leur reprochent une vie dépravée, en raison de leur passion pour les jeux d’argent et leur goût pour l’opium. En réalité, comme le souligne Gérald Coppenrath, dans son livre Les Chinois de Tahiti, les grandes maisons européennes souffrent de voir le commerce de détail déjà en partie conquis par les boutiques chinoises. Devant la pression, le conseil général décide d’instituer une « taxe d’immatriculation » de 2 500 Fcfp pour tout immigrant qui débarque à Papeete.
La somme, très importante pour l’époque, est finalement revue à la baisse, mais, cette fois, elle s’applique aux ressortissants patentés. Les Chinois jugent la mesure discriminatoire et cinquante commerçants engagent alors un avocat, maître Goupil, afin de les défendre. Il faudra attendre deux ans avant que le Conseil d’État ne leur donne raison. En 1899, il est entendu que les patentés chinois ne paieront aucune taxe d’immatriculation et seront traités à égalité avec les autres commerçants. En réalité, les Chinois devront payer d’autres taxes dites de séjour…
Devant la décision du Conseil d’État, les colons sont furieux. Parmi les mécontents, on retrouve le célèbre peintre français Paul Gauguin, installé à l’époque en Polynésie française, qui se montre particulièrement acerbe et violent envers la communauté chinoise : « (…) Cette tache jaune souillant notre pavillon national me fait monter le rouge de la honte à la face. (…) L’étranger, comme nous, vit d’un certain luxe, et à mesure qu’il fait fortune, il augmente ses dépenses, entretient un courant de capitaux et concourt à la fortune publique. Tandis qu’avec le Chinois, il n’y a rien de tout cela : l’argent entre dans sa caisse et s’en retourne en Chine ; (…) On peut donc voir avec quelle facilité et quelle rapidité le Chinois aura tout absorbé en ne nous laissant à nous autres qui sommes cependant à Tahiti chez nous, une terre française, rien. Rien à nous mettre sous la dent. »
L’idée de retour omniprésente
Malgré ces attaques et ces discriminations, les Chinois de Tahiti ne se révolteront jamais. Hormis la mobilisation des patentés pour la suppression des taxes, ils adoptent une posture discrète et vivent en vase clos : les enfants sont scolarisés dans les écoles chinoises. L’école française leur est longtemps inaccessible en raison de la barrière de la langue, mais aussi parce qu’il y a une certaine hostilité à leur égard quand elle n’est pas tout simplement trop coûteuse. Les associations sont omniprésentes et même les mariages ne sont pas enregistrés par un officier d’état civil français, mais célébrés au sein de la communauté. Ce phénomène s’explique, en partie, par l’attachement des Chinois pour la tradition, pour leurs ancêtres, et par cette idée très présente d’un retour au pays. En marge des grandes vagues d’immigration, dont la dernière se situe entre 1921 et 1928, il y a toujours eu des mouvements de retour.
À la fin de la seconde guerre mondiale, alors que la Chine est délivrée du joug japonais, l’idée de retour à la patrie se fait de plus en plus pressante pour une partie de la communauté. En 1947, 757 Chinois embarquent donc à bord de deux paquebots mixtes de la compagnie des Messageries Maritimes spécialement déroutés sur Papeete. Il s’agit, pour beaucoup, de personnes âgées, soucieuses de finir leurs jours en Chine, mais également de jeunes dont les parents souhaitent parfaire l’éducation chinoise. Ce retour au pays s’avère très vite une erreur pour ces Chinois de Tahiti qui découvrent, en 1949, un autre visage de la Chine, celui de Mao Zedong et de sa doctrine communiste. Beaucoup veulent revenir à Tahiti, mais n’y parviendront jamais. « Cette expérience malheureuse, en 1949, nous a fait prendre conscience que l’avenir des Chinois de Tahiti se trouvait en Polynésie française. À partir de là, nous avons définitivement écarté l’idée de retour », témoigne Guy Yeung, le président de l’association Wen Fa à l’origine du livre Histoire et portrait de la communauté chinoise de Tahiti.
Vers la naturalisation et l’intégration
Cet événement et cette nouvelle posture vont modifier les comportements. L’éducation, jusque-là dispensée dans les écoles chinoises, bascule vers un cursus classique français. L’arrivée à Tahiti de missionnaires chrétiens expulsés de Chine favorise également l’adhésion de la communauté chinoise au christianisme et à la scolarisation des enfants dans des établissements privés catholiques. En 1964, les écoles chinoises ferment. Dans le même temps et au niveau diplomatique, la France reconnaît l’existence de la République populaire de Chine. Cela crée immédiatement une vive inquiétude au sein de la communauté qui ne soutient pas l’idéologie de Mao Zedong. La question de la naturalisation française, jusque-là peu revendiquée par les Chinois – si ce n’est pour pouvoir acheter des terres réservées aux Français – est au cœur des discussions et interrogations. L’association de l’Union pour le devenir de la Polynésie française sera particulièrement active dans cette démarche d’intégration qui a commencé depuis plusieurs années, mais très lentement et de façon chaotique. Ce sont finalement des événements géopolitiques qui vont accélérer les choses. En octobre 1964, la Chine fait exploser sa première bombe atomique. La course aux armements bat son plein. La France, dirigée par le général de Gaulle, est lancée dans un vaste programme de nucléaire militaire avec un premier tir dans le Sahara en 1960. Pour effectuer des essais de son armement, elle va installer en Polynésie française et plus particulièrement sur les atolls de Fangataufa et Moruroa, à 1 200 km au sud-est de l’île de Tahiti, le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), ce qui sera chose faite dès 1964, avec la réalisation d’un premier essai en juillet 1966. Dès lors, la Polynésie française devient une zone hautement sensible et stratégique pour l’État. Nul doute que les autorités politiques veulent intégrer rapidement les ressortissants chinois. « ll fallait des citoyens qui votent bien, car il y avait déjà une volonté indépendantiste », rappelle Louis Shan Sei Fan, généalogiste.
En 1965, 378 naturalisations sont accordées, en 1966, elles seront 414. C’est un début. La loi du 9 janvier 1973 accorde enfin la nationalité française à la quasi-totalité des 10 000 Chinois de Polynésie française, plus de 100 ans après leur arrivée. Une nouvelle page de l’histoire des Chinois de Tahiti va s’écrire dans une Polynésie en plein bouleversement provoqué d’abord par le boom économique généré par les activités du CEP, mais aussi par une véritable ouverture au monde de nos îles qui accueillent les premiers jets.
Alexandra Sigaudo-Fourny
Le monde au milieu du XIXe siècle
Chine
Au cours du XIXe siècle, l’empire Qing doit faire face à une forte agitation sociale, une croissance démographique explosive, et des ingérences de plus en plus marquées de la part des puissances occidentales. La volonté britannique d’ouvrir le commerce et notamment de poursuivre ses exportations d’opium, que des édits impériaux rendaient illégales, aboutit à la première guerre de l’opium, en 1840, et à la défaite chinoise (traité de Nankin, le 29 août 1842). Les Britanniques obtiennent le libre commerce de l’opium et surtout la concession de l’île de Hong Kong qui va favoriser les migrations.
États-Unis
Dès 1850, les Chinois émigrent vers la Californie saisis par la fièvre de l’or, ils travaillent principalement à la construction des chemins de fer. De 1861 à 1865, la guerre de Sécession, qui tient principalement à des divergences économiques entre le nord et le sud fait rage et affaiblit le pays. Le coton et la question de l’esclavage sont au cœur du conflit.
France
De 1851 à 1870, la France vit sous le Second Empire de Napoléon III. L’esclavage vient d’être aboli (1848) et la révolution industrielle est en marche. L’industrie française du textile est en pleine expansion et nécessite beaucoup de coton. Outre-mer, les troupes marines de Napoléon III jettent les bases d’un nouvel empire colonial que la IIIe République aura à cœur d’étendre.
Le reste de l’Europe
Industrialisation, explosion démographique, démocratisation et nationalisme sont les maîtres mots du XIXe siècle. Les aspirations nationales qui s’affirment en particulier en Europe modifient progressivement la carte politique du continent. Ces transformations marquent aussi l’échec d’un certain « ordre européen » qui conduit au déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Steven Pierson, surfeur professionnel
19 janvier 2017 in People
Surfeur professionnel depuis plus de 3 ans maintenant Steven Pierson est, à 30 ans, un compétiteur acharné et passionné. Il fait partie aujourd’hui des 100 meilleurs surfeurs de la planète (83e au classement le plus récent). Au côté de l’autre grande star du surf tahitien, Michel Bourez – actuellement cinquième mondial – il fait partie de l’élite du surf de compétition tahitien. Un surf de très haut niveau qui rivalise avec celui de grands pays tels les États-Unis, l’Australie, le Brésil et l’Afrique du Sud. Ainsi, malgré sa population qui ne dépasse pas les 280 000 habitants, la Polynésie française est parvenue à se hisser parmi les meilleurs pays de la planète dans cette discipline.
Né à Remiremont dans les Vosges, en France métropolitaine, Steven Pierson arrive à Tahiti à l’âge de trois mois. Il passe ensuite toute son enfance et son adolescence entre les districts de Mahaena, Tiarei, Papenoo, Punaauia et Papara sur l’île de Tahiti. Il pratique le surf dès l’âge de 11 ans. Il domine ce sport au niveau local avec pas moins de 9 titres de champions de Tahiti dans diverses catégories : cadet, junior et open.
Steven quitte régulièrement son « île paradisiaque », comme il la définit lui-même pour parcourir le monde et participer aux compétitions internationales. Les conditions sont bien éloignées de celles qu’il rencontre à Tahiti, haut lieu du surf de par son climat favorable toute l’année, ses houles régulières et ses eaux chaudes et translucides…
« A Tahiti, nous n’avons pas de vagues pour nous entraîner aux vagues rencontrées sur le circuit WQS ! » explique-t-il. Parfaites, les vagues tahitiennes sont donc forts différentes de celles rencontrées à l’extérieur du pays sur les « spots » des côtes européennes, américaines ou africaines. Une difficulté dont doivent tenir compte les compétiteurs tahitiens.
Ces homespot, ses « spot de cœur » sont situés dans la commune de Papara : l’embouchure de la rivière Taharu’u et, au large, sur le récif, le Maoti comme il est dénommé. Steven Pierson a eu la chance de pouvoir s’entraîner et surfer sur ces deux spots aux caractéristiques bien différentes. L’embouchure est une vague de rêve qui déroule devant une belle plage de sable noir de manière quasi parfaite. Quant au Maoti c’est une vague de récif dangereuse, surfée uniquement par les plus téméraires. Ces deux lieux sont typiques de la diversité des surfs possibles à Tahiti.
Steve Pierson a décroché sa première grande victoire en septembre 2013, remportant la Pantin Classic en Espagne. Son objectif est de rejoindre Michel Bourez qui, lui, évolue dans le Top 34, l’élite de l’élite du surf professionnel. Dans le circuit WQS (World Qualifying Series) Steven fait preuve d’une pugnacité hors norme. En 2013, il a été classé sixième meilleur surfeur européen, preuve du haut niveau atteint par cet enfant du pays.
Respecté et reconnu pour ses performances, il reste toutefois un sportif simple, aimant la nature. Dans cette grande aventure qu’est une carrière professionnelle, il tient à remercier ses proches dont Tehani, son amie, et ses nombreux sponsors : Hee Nalu, Mundaka Optic, Xsories & Go Pro, 69 Slam, Cool Shoe, Teva Surf Board & Crabe Surfboards, Surf N Supply, Oam & Future Fins. Sa force, comme il le dit lui-même, c’est son « mental d’acier » qui lui permet d’avancer, d’exceller loin des siens même si son cœur est à Tahiti.
Papeete : le mariage polynésien du moderne et du traditionnel
18 janvier 2017 in Culture
Nous poursuivons notre découverte de Papeete, la ville capitale de Tahiti, par le biais de son architecture où les visions contemporaines sont associées à des évocations de la Polynésie des temps anciens. Un mélange surprenant à l’image de la société de nos îles. Entre tradition et réinterprétation ; entre passé et futur : balade dans le Papeete d’aujourd’hui.
L’époque moderne que l’on rapporte à la période « post-CEP » (Centre d’Expérimentation du Pacifique) marque un changement profond dans l’architecture de la capitale de la Polynésie française. On construit alors efficace et rentable. L’hypercentre de Papeete devient rapidement ultra bétonné. On juxtapose les bâtiments les uns aux autres, chacun d’entre eux suivant une logique qui lui est propre. Mais surtout, à partir des années 1970, on assiste à une nouvelle dynamique culturelle en Polynésie française prônant le renouveau de la culture tahitienne. Cette dynamique se réfère à un « âge d’or précolonial », pour renouer avec l’identité culturelle abandonnée à la suite de l’arrivée des missionnaires au tout début du XIXe siècle.
Un exemple marquant de cette période mêlant modernité et renouveau d’une culture polynésienne longtemps délaissée est le centre Vaima. Certes ses qualités architecturales sont très contestables. On peut néanmoins noter l’effort qui a été fait au niveau des bandes de béton blanc marquant chaque niveau. Le béton y est travaillé de façon à rappeler des motifs polynésiens traditionnels. Dans le centre-ville, si l’architecture du XXe siècle n’est pas véritablement empreinte d’un style local, certains immeubles marquent tout de même leur appartenance au monde polynésien par l’utilisation de ces mêmes motifs plaqués en façade.
En ce qui concerne l’habitat individuel, dans les fare (terme de Reo Tahiti, la langue tahitienne, désignant une maison) construits au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’utilisation du parpaing de ciment est systématisée. On renforce simplement les angles et les ouvertures en coulant un béton sur quelques armatures de ferraille. Les fare sont presque toujours de plein pied, et sont entourés d’une terrasse couverte le plus souvent par une avancée du toit. Cette avancée reposant le plus souvent sur des piliers en acier. Le toit est couvert de tôles, matériau pratique, léger et peu onéreux, qui présente cependant de grandes lacunes en terme d’efficacité thermique, d’autant plus dans les régions où se protéger du soleil est primordial. Bien sûr il est exclu de mettre ici sur les toits des tuiles tenant par leur propre poids, on cloue donc parfois des éclisses de bois sur les toitures, mais il faut alors refaire la toiture fréquemment. Sur quelques hôtels on remarque encore des toitures en feuilles de pandanus, mais il s’agit là d’un luxe destiné aux touristes…
Un enjeu touristique
On comprend assez aisément, en parcourant les rues de la capitale polynésienne, que cette dernière n’a jamais été soumise à des règles d’urbanisme drastiques (c’est même parfois à se demander s’il y en a déjà eu…). On peut donc se poser la question de savoir pourquoi la presque totalité des constructions du centre ville obéissent au même principe d’arcades en rez-de-chaussée, donnant sur la voie publique. Il peut s’agir d’un moyen de se protéger des conditions climatiques, d’une manière d’optimiser l’espace disponible, ou encore d’y voir un héritage inconscient de la période coloniale.
Deux choses semblent limiter la qualité des bâtiments : l’absence de normes, d’une part, et la qualité de la réalisation, d’autre part. Longtemps, les constructions ont été faites à base de poutres d’acier qui s’érodent lorsqu’elles sont soumises sans protection aux embruns. Le béton est ce qui résiste le mieux, encore faut-il que les armatures en acier ne se retrouvent pas au contact de l’air. La préfabrication d’éléments permettrait sans doute d’augmenter la qualité des structures béton et leur utilisation serait plus courante aussi.
L’architecture et l’urbanisme sont à reconsidérer à la mesure des enjeux touristiques et sociaux. Mais Papeete a un potentiel ; imaginez des circuits pour les mobilités douces, un transport en commun en site propre ainsi que l’émergence d’un style architectural néo-polynésien pour la capitale. Ces changements sont peut-être, espérons-le, d’ores et déjà en marche…
Ces dernières années, une nouvelle tendance a fait son apparition dans la construction de bâtiments publics et peut donner le sourire à ceux qui ont toujours espéré l’émergence d’une architecture qui ne ferait plus abstraction de la culture polynésienne. Elle consiste à mêler les traits novateurs de l’architecture contemporaine à des figures connues et identifiables par tous comme des références au monde polynésien, et réserve à coups sûrs de beaux jours pour le paysage bâti polynésien. Ces démarches sont à encourager à tout prix dans l’avenir, car elles tendent à apporter à la capitale une nouvelle identité architecturale qui soit un véritable lien entre la culture locale et les prouesses architecturales que permettent aujourd’hui les nouvelles technologies. Elle doit cependant aller de pair avec la création de garde-fous pour éviter les abus et les destructions de paysages naturels sur fond d’importants investissements financiers outrepassant le respect du lieu. Concernant cette architecture que l’on peut qualifier de néo-polynésienne, on peut découvrir à Papeete des constructions emblématiques de cette tendance.
Haut Commissariat de la République
Lors des grands travaux de rénovation menés à Papeete dans les années 1960 l’ancienne résidence des gouverneurs fut démolie et reconstruite en 1966 dans un style « néo-polynésien ». Ses cinq toits très pentus représentent les cinq archipels de la Polynésie française. Cette résidence est actuellement occupée par le haut-commissaire de la République, appelé couramment « haussaire ». Il est le plus haut représentant de l’État en Polynésie française.
L’Assemblée de la Polynésie française
« Tetuna’e » est le nom attribué au nouveau bâtiment de l’Assemblée de Polynésie française, en hommage au tout premier législateur polynésien. C’est un bâtiment administratif que l’on doit à l’architecte Michel Baccino avec une haute devanture vitrée qui s’élève sur six étages. Le nouveau bâtiment est situé rue du docteur Cassiau, en face des anciens bâtiments de l’Assemblée érigés à Tarahoi, où se situait autrefois le palais royal de Pomare. « Le projet initial prévoyait une rénovation entière de l’Assemblée, mais il n’a pas pu être adopté pour des raisons budgétaires » a expliqué l’ancien président de l’institution Philippe Schyle. Écologique, le projet a inclus un système d’assainissement qui reprend également les eaux usées du Mc Donald et de l’IEOM (Institut d’Émission d’Outre-mer).
La chambre de commerce de Tahiti
Le 15 octobre 1956, l’hôtel de la chambre de commerce et d’industrie des établissements français de l’Océanie fut inauguré officiellement. Les locaux ont été réhabilités en 2010 et une nouvelle façade vitrée vient « mettre en vitrine » l’ancienne façade très années 1950. Une œuvre architecturale exemplaire qui concilie passé et modernité.
Centre hospitalier du Taaone
Avec son immense nef centrale couverte d’une figure de pirogue retournée, le nouvel hôpital de Tahiti est un exemple parfait de cette nouvelle tendance qui tend à se développer dans l’architecture contemporaine tahitienne pouvant être qualifiée de « néo-polynésienne ».
Benjamin Lugrezy
Le mystérieux A’a – Ambassadeur polynésien – British Museum, Londres
16 janvier 2017 in Culture
Dans le monde entier, ils sont en quelque sorte nos ambassadeurs, faisant rayonner la culture polynésienne. Ces créations et œuvres d’arts sont présentes dans les plus grands musées du monde et sont une source permanente d’émerveillement et de questionnement. Dans une série d’articles, nous vous en proposons la découverte en commençant par A’a une extraordinaire et mystérieuse sculpture.
A’a est indiscutablement la plus fameuse sculpture océanienne en bois de tous les temps. Ce chef-d’œuvre de 117 cm fut sculpté vers la fin du XVIIIe siècle sur l’île de Rurutu, dans l’archipel des Australes, en Polynésie française.
L’identification de ce dieu de Rurutu représentée par cette figurine est en débat. Il est représenté en train de créer d’autres dieux ainsi que des hommes. La surface de son corps est couverte par 30 petites figurines, engendrées par lui. Le bois du personnage lui-même est creux, un panneau détachable sur sa partie arrière révèle une cavité qui à l’origine contenait 24 petites figurines finalement retirées et détruites en 1882.
Quelle est cette étrange statuette, d’une exceptionnelle originalité ? L’évangéliste John Williams est l’un des premiers Occidentaux à avoir découvert Aʼa. Lui et son collègue Lancelot Threlkeld (tous deux membres de la Société Missionnaire de Londres, MLS en abrégé) étaient des missionnaires européens résidant sur l’île de Ra’iatea en août 1821 lorsque la statuette fut remise par les Polynésiens à la LMS.
Le Révérend Williams donne de cette journée le récit suivant dans son livre Entreprises Missionnaires, publié en 1837 : « Après une absence d’un peu plus d’un mois, nous eûmes le plaisir d’assister au retour du bateau (à Ra’iatea), chargé de trophées de victoires, de dieux païens pillés dans cette guerre qui ne fit pas couler une seule goutte de sang, et gagnée par le puissant Prince de la Paix… Une réunion fut tenue dans notre grande chapelle, afin de transmettre la délicieuse intelligence à notre peuple, et remercier Dieu du succès avec lequel il avait gracieusement couronné nos premiers efforts pour que soit répandue la connaissance de son nom… Au cours de la soirée, les idoles rejetées furent exhibées au public depuis sa chaire. Une en particulier, Aʼa, le dieu national de Rurutu, excita considérablement l’intérêt ; car, en plus d’être ornée de petits dieux sur sa surface externe, une porte fut découverte dans son dos, dont l’ouverture permit de trouver une cavité remplie d’un grand nombre de petits dieux, pas moins de 24 en furent retirés, l’un après l’autre, et exhibés à la vue du public. On prétend qu’il serait l’ancêtre à l’origine du peuplement de leur île, avant d’être déifié après sa mort. ».
Un peu d’Histoire
Revenons un peu en arrière pour comprendre la situation dans son contexte historique. En 1795 était fondée à Londres la Société Missionnaire. L’année suivante, en 1796, celle-ci commençait à envoyer des représentants dans le Pacifique Sud. En 1818, elle changeait de nom pour devenir la Société Missionnaire de Londres (London Missionary Society ou LMS). Ses responsables proclamaient alors : « nos buts ne sont pas de promouvoir la confession protestante en particulier mais plutôt de propager l’Evangile chrétien parmi les païens, pour les faire passer de l’ombre à la lumière et sauver leurs pauvres âmes ». Un des premiers accomplissements de ces missionnaires fut la destruction publique des idoles polynésiennes, en accord avec le plus influent des chefs tahitiens, Pomare, deuxième du nom. Dans une lettre du 19 février 1816, celui-ci (qui régna de 1803 à 1824, et fraichement converti puisqu’il embrassa le christianisme en 1815) n’hésitait pas à leur conseiller : « Si vous pensez juste, vous pouvez tous les brûler dans le feu, ou, si vous préférez, les envoyer dans votre pays, pour l’instruction des peuples d’Europe, qu’ils puissent satisfaire leur curiosité, et faire connaissance des dieux fous de Tahiti ! ».
«Triomphe sur l’idolâtrie »
Les missionnaires se rendirent compte que, si elles étaient préservées, les idoles de Pomare constitueraient indéniablement la preuve de leur triomphe sur l’idolâtrie. Ils saisirent cette occasion extraordinaire et les expédièrent en Angleterre, accompagnées de la lettre de Pomare II. Ils les présentèrent à Londres, en les mettant particulièrement en valeur lors de la 3e édition de la revue Missionary Sketches, d’octobre 1818. Ainsi qu’il fut rapporté dans cette brochure d’apologie religieuse, la présentation de ces idoles à Londres incita la LMS à encourager leur exposition dans tout le pays à des fins de contemplation « instructive » et aussi… lever des fonds pour soutenir les missions.
En 1821, une série d’établissements missionnaires avaient en effet déjà été créée dans l’ensemble des Îles de la Société, chacun d’eux animé par un ou deux missionnaires, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Ceux-ci étaient soutenus dans leur mission par des diacres locaux et des professeurs (récemment convertis), dont le rôle se révéla crucial dans la conversion au christianisme des populations insulaires dans de nombreuses parties du Pacifique. Dès 1817, des chapelles furent érigées, des écoles construites et des textes imprimés puis distribués, provenant en grande partie d’une imprimerie construite à Moorea. Les coûts des missions étaient en partie compensés par les contributions locales d’huile de noix de coco traitée, d’arrow-root (une tubercule médicinale, Maranta arundinaea de son nom scientifique) et d’autres produits expédiés en Angleterre pour y être vendus pour le compte de la Société Missionnaires de Londres. Ces offrandes étaient fortement soutenues par les missionnaires, autant que par les convertis, comme faisant intégralement partie de pratiques religieuses locales.
De l’anonymat à la célébrité
Parmi les idoles envoyées à Londres figurait A’a qui rejoignit la collection de la Société Missionnaire en 1822. Cette statuette fut particulièrement utilisée comme aide visuelle par cette institution pour soutenir ses demandes d’aides. Leurs représentants parcouraient en effet l’Angleterre en parlant de leur travail et en encourageant la population à contribuer au financement de futurs travaux missionnaires. A’a était la preuve de ce que les « païens » étaient ignorants de « la vraie » religion, et que leur culture et leur art devaient être considérés comme « primitifs », selon les critères occidentaux.
En 1890, la LMS prêta un nombre considérable de pièces de sa collection (incluant Aʼa) au British Museum. Le coût de fonctionnement du musée de la Société Missionnaire de Londres ayant mis à rude épreuve ses finances. Le British Museum autorisa vers 1810 l’entreprise Brucciani & Co à tirer des exemplaires à partir d’un moule et commença par des moulages de plâtre dʼAʼa. Puis en 1911, l’original de la statuette lui-même fut vendu au British Museum où il se trouve depuis.
En 1912, le Bishop Museum d’Hawaii en commanda un moulage, ainsi que le Dominion Museum de Wellington, en Nouvelle-Zélande. Après cela, plusieurs autres moulages furent vendus à Chicago, Philadelphie et San-Francisco, à l’Université d’Harvard et à Auckland en Nouvelle-Zélande. Ensuite Roland Penrose (artiste, historien et poète anglais) essentiellement connu pour ses expositions et ouvrages sur le travail de Picasso, acquit un moulage. Dans les années 1950, Picasso vit l’un de ces moulages dans l’atelier de Penrose et en tomba amoureux. Il lui en fallut un et il le commanda.
Le plus grand sculpteur anglais du XXe siècle, Henry Moore, commanda lui aussi un plâtre au début des années 1970, avant de faire réaliser un moulage de bronze. Moore plaça le bronze de A’a dans l’entrée de sa maison, d’où il pouvait être vu depuis son long salon. Il avait le sentiment que A’a était si puissant qu’il était difficile de lui trouver un emplacement approprié dans sa maison.
Enfin, plus récemment, mon amie Hermione Waterfield – auteur bien connue de livres sur l’art – a commandé un moulage de A’a auprès du Département des Moulages du British Museum. Elle en a gentiment fait don aux habitants de Rurutu pour les remercier de l’hospitalité qu’ils lui avaient si généreusement offerte lors de sa visite de l’île en 1983. Elle m’a personnellement indiqué que « les deux douzaines de petits personnages se trouvant sur A’a avaient dû être moulés séparément ».
Laurance Alexander Rudzinoff
Ambassadeur d’Air Tahiti Nui, attaché culturel, écrivain, marchand d’art international et spécialiste de l’art des maitres du XXème siècle. Laurance Rudzinoff considère les anciens objets polynésiens comme de véritables ambassadeurs de nos îles de par leur notoriété et l’intérêt qu’ils soulèvent dans le monde entier. Des qualités et caractéristiques propres à tout ambassadeur. Cet article est le premier d’une série à paraître dans nos prochains numéros dans lesquels Laurance Rudzinoff nous fera découvrir ces ambassadeurs présents dans le monde entier.
Abuz, un authentique audacieux
16 janvier 2017 in Culture
« Arrêter de graffer, c’est arrêter de respirer ». Romain Picardi, plus connu sous son nom d’artiste « Abuz », est né avec un crayon dans une main et a grandi avec une bombe aérosol dans l’autre. Depuis quinze ans maintenant, le graffiti régit sa vie. En remportant le prix Fenua Student-ATN lors du premier Festival international de Graffiti Ono’u 2014 organisé à Tahiti -un événement qui a réuni une quarantaine d’artistes du monde entier pour redécorer la ville de Papeete et participer à un concours-, Abuz est devenu un graffeur incontournable de la scène artistique polynésienne.
« Avec ce prix, j’ai eu de belles retombées tant au niveau professionnel que personnel. On me sollicite, on me reconnaît et on me recherche, c’est nouveau pour moi ! », confie avec humilité le jeune trentenaire, assis à la table d’un restaurant du quartier de Fare Ute, près du port de Papeete. Ce quartier, l’artiste le connaît bien, ses créations sont visibles dans presque tous les coins de rue. Impossible de ne pas reconnaître sa signature : ses tons parfois tristes ou colorés, ses thèmes abstraits mais toujours sensibles, ses lignes douces et souvent piquées au vif.
« Je fais beaucoup de décoration, je peins des stores ou des murs de magasins, d’hôtels ou de particuliers ». Abuz n’a aucun scrupule à le dire : la décoration, c’est son gagne pain. Il n’est pas seulement un graffeur de rue. Le jeune homme vit de sa passion grâce à ce type de commande. Un côté business qui n’est pas toujours apprécié dans le milieu du graffiti où les approches peuvent être partagées. Certains prônent le graffiti « vandale », fait à l’arraché, de manière illicite et gratuite, d’autres décident de ne pas se poser de limites et tentent de gagner leur vie avec. « Le graff est né dans la rue mais il évolue. Aujourd’hui, l’argent fait partie du jeu, les Américains l’ont bien compris et n’en rougissent pas. Je respecte ceux qui font du vandale mais, moi, j’ai décidé de faire plus et de gagner ma vie en pratiquant ma passion », souligne l’artiste qui se distingue des autres graffeurs du Fenua notamment pour ses thèmes et son style bien particulier. « J’aborde souvent le sujet du subconsicent ou de l’abstrait, je suis aussi plus dans le graphisme, dans les personnages ou le décor. Je n’aime pas vraiment le lettrage, plus proche du graffiti classique. Au fil des ans, je cherche à avoir mon identité et à la faire évoluer», confie Abuz qui admet volontier réutiliser de temps à autres des motifs polynésiens dans ses oeuvres. « Il m’arrive de reprendre des formes ou des symboles de la Polynésie que je réinterprète, mais je fais attention à ne pas tomber dans le folklorique. Je veux que le message de mes créations reste universel »
C’est après une licence d’anglais à l’université de Polynésie française, que le jeune homme, initié au graff lors d’un bref séjour en France durant ses années lycée, se lance dans une carrière d’artiste. Soutenu par sa famille, il trouve quelques travaux rémunérés et notamment sa première réalisation : le logo du Morisson’s Café de Papeete, un bar-restaurant bien connu de la capitale polynésienne. « Au début, c’était un peu galère, j’avais peu de commandes, je gagnais en moyenne 90.000 Fcfp par mois et je ne réalisais pas toujours des peintures qui me plaisaient. Mais je n’avais pas le choix, je devais faire avec », confie celui qui se retrouvera quatre ans plus tard à réaliser l’une de ses plus belles créations sur l’un des murs du célèbre hôtel Four Season à Bora Bora. « Je me suis toujours efforçé d’avoir une rigueur dans mon travail, c’est important de faire du bon boulot, c’est ce qui fait la valeur du graffeur. C’est comme cela que j’ai appris et ai évolué ».
Une scène de graffiti tahitienne prometteuse
Persévèrant et déterminé, Abuz n’a jamais baissé les bras malgré les difficultés financières et matérielles. À ses débuts, même si le graffiti existe depuis une vingtaine d’années à Tahiti, il n’est pas très répandu. Ainsi, trouver des bombes pour rédecorer les murs de la ville est un véritable défi, les graffeurs sont obligés d’importer leur matériel d’Europe. Vers la fin des années 2000, le marché se développe sur le territoire avec l’ouverture du magasin Old School, aujourd’hui Mata Store, à Papeete. Les artistes locaux commencent alors à trouver leur matériel sur l’île et, donc, à peindre plus régulièrement.
À l’inverse de leurs camarades des grandes villes d’Europe ou d’ailleurs, habitués à être dévisagés par les passants lorsqu’ils peignent des murs dans la rue, les artistes polynésiens sont, eux, encouragés voire admirés. « Ici, les gens s’arrêtent, te regardent et souvent te félicitent. Pour eux, nous ne sommes pas des voyous qui salissons mais des artistes qui embellissons les murs de l’île. C’est un vrai plaisir ! » explique l’artiste qui se réjouit de voir apparaître chaque jour de nouvelles signatures ou de nouvelles fresques à Tahiti. « Le mouvement est encore récent, il a explosé il y a une dizaine d’années mais il évolue très vite. Aujourd’hui, il y a une vraie scène du graff à Tahiti, tu vois de tout : du vandale, du décor ou de la toile », confie l’artiste avant d’ajouter : « de plus en plus de jeunes de 14 ans commencent à poser leur signature un peu partout, ils osent et c’est une bonne chose » .
C’est une des retombées du Festival Ono’u qui a réuni en mai 2014, à Tahiti, les meilleurs grafffeurs internationaux. « Il n’y avait que des pointures du graff ! Et, pour la première fois, nous avons eu l’opportunité de nous confronter à d’autres artistes. C’était un vrai bol d’air ». Au-delà de cette chance de se frotter aux plus grands, pour Abuz, et c’est là peut-être le plus important, le festival a permis de réunir les graffeurs locaux. « Avant, on était un peu chacun dans notre coin, le festival nous a rassemblés, avec certains, on s’est même découverts. Certains étrangers ont été surpris par notre niveau, on était quand même cinq Tahitiens sélectionnés contre le reste du monde, c’est énorme ! ». L’exploit est d’autant plus admirable que deux graffeurs locaux dont Abuz, se sont retrouvés parmi les dix finalistes. Finalement le grand prix sera remporté par Mast, un graffeur new-yorkais, mais Abuz repartira avec le prix du Fenua Student et un billet d’avion Air Tahiti Nui pour Los Angeles. Une récompense et une opportunité qui ont pourtant bien failli lui passer sous le nez.
Un artiste sensible et courageux
Quelques mois avant le début des inscriptions, Abuz traverse une période difficile. En pleine rupture affective, l’artiste alors tout jeune papa d’un garçon aujourd’hui âgé de trois ans et demi, se pose des questions, il est perdu et décide de s’éloigner du graffiti. Abuz redevient Romain Picardi et part à la recherche d’un travail « comme les autres ». Il trouve un poste de magasinier dans un garage, l’expérience dure trois mois avant de réaliser qu’il se trompe de voie. « J’avais besoin de me tester, je l’ai fait et j’ai compris que le graffiti c’était toute ma vie ; j’ai alors lâché mon poste et repris mes bombes ». La suite lui donnera raison. Fin 2013, la rumeur d’un festival de graffiti à Tahiti et d’un concours se confirme, Abuz s’inscrit aussitôt, il est sélectionné et se retrouve propulsé en finale. « Je crois que c’était l’opportunité de ma vie, je l’ai saisie et j’ai foncé », confie l’artiste qui s’est inscrit pour la deuxième édition du Festival Ono’u qui se déroulera à Tahiti du 5 au 9 mai 2015.
Du jour au lendemain, l’artiste polynésien s’est ainsi retrouvé à peindre un mur dans un célèbre quartier de Melrose à Los Angeles au côté du gagnant de l’édition 2014 et quelques autres artistes internationaux. « L’expérience était mortelle. Les mecs sont super bons mais ils restent humbles et cool. En se confrontant à eux, j’ai réalisé que j’étais graffeur, je savais faire des choses mais j’en avais aussi beaucoup à apprendre ». Au-delà de cette leçon d’humilité, Abuz a également compris que pour exister comme artiste, il devait montrer ses œuvres, sortir du Fenua et s’ouvrir au monde. « Les pointures du graff mélangent les styles, ils sortent du graffiti classique pour se créer une identité propre. Je veux être libre comme eux et ne pas me limiter ». Cette ligne de conduite, Abuz tente de la tenir dans ses décorations mais aussi dans ses projets plus artistiques et humains. « Récemment on m’a proposé de travailler avec un hôpital psychiatrique et une prison. Ces projets ne te rapportent pas d’argent mais ils t’enrichissement humainement ». Un côté humaniste qui fait aussi la signature de cet artiste talentueux et prometteur.
Suliane Favennec
Coordonnées de l’artiste: Facebook : Abuze.ink
Evénement : Le Festival international de Graffiti, Ono’u 2015, se déroulera du 5 au 9 mai 2015, à Tahiti.
Destins et secrets de nos îles
6 janvier 2017 in Nature
Comment naissent les îles polynésiennes ? Que vont-elle devenir ? Pourquoi ces singularités et cette beauté ? Réponses avec cet instructive voyage dans le temps et l’espace.
Je suis perdue au milieu de l’immensité du Pacifique, et déjà, par ma situation géographique, je fais rêver… Si je suis déserte, bordée d’une plage de sable blanc immaculé, plantée de quelques cocotiers et baignée par des eaux turquoise et délicieusement chaudes, je deviens alors le lieu de tous les fantasmes… Bien sûr, vous avez deviné qui je suis. Ne me dites pas qu’il vous faut encore des indices ! Robinson Crusoé, Pitcairn, Rapa Nui… mais aussi, Tahiti, Bora Bora, les Tuamotu, les Marquises. Bien sûr, vous avez trouvé, je suis… une île. Ces poussières de terre émergée sont des centaines dans l’Océan Pacifique, le « Grand Océan ». Elles sont généralement de taille modeste : de quelques centaines de mètres carrés – on préfèrera parler d’îlot – à quelques dizaines de kilomètres carrés. On utilise le nom d’îles pour les deux grandes terres qui forment le nord et le sud de la Nouvelle-Zélande. Ces deux grandes « îles » ont pourtant une origine fort différente de ces minuscules petits points posés sur la carte, nous n’en parlerons pas ! Quant à l’Australie, ce n’est plus une île mais un continent, elle aussi, est hors de notre propos!
À l’origine des îles océaniques du Pacifique
Mais comment ces petits confettis de terre sont-ils apparus au milieu de l’immense océan ? Longtemps, la question s’est posée et certains à l’imagination débordante y ont vu les restes d’un continent englouti : l’Atlantide et ses soi-disant « mystères », Mu, le « continent perdu » ou englouti, on vous laissera choisir ! Après les travaux du scientifique Wegener dès 1912 et les études qui en ont découlé, il a bien fallu admettre que ces théories étaient fantaisistes. On a alors compris que la croûte terrestre n’était pas statique, qu’elle était formée de plaques gigantesques et que ces plaques et même les continents, bougeaient les uns par rapport aux autres. La théorie de la tectonique des plaques, la dérive des continents était née, largement vérifiée depuis… Et nos îles du Pacifique, y sont intimement liées. Nous vous proposons donc de suivre la vie d’une de ces îles océaniques apparues au milieu « de nulle part », de sa naissance jusqu’à sa mort.
Il convient tout d’abord de brosser un tableau de la situation géologique du bassin Pacifique. Le fond de la plus grande partie de l’océan Pacifique est formé par une gigantesque plaque lithosphérique solide : la plaque Pacifique. Celle-ci, la plus grande de la Terre, se forme sans discontinuer depuis des millions d’années au niveau d’une zone appelée « dorsale médio-océanique » située à l’est. Elle se forme par apport permanent de nouveaux matériaux basaltiques. Une dorsale est une véritable fracture dans l’écorce terrestre, une chaîne de volcans sous-marins, où les matériaux basaltiques remontent du manteau et s’épanchent des deux côtés formant la croûte océanique. On s’est aperçu que plus on s’éloigne de la dorsale, plus le fond océanique est ancien. Jusqu’à 180 millions d’années vers l’ouest du Pacifique ! Les matériaux récents poussent les matériaux plus anciens à la façon d’un tapis roulant qui « flotte » littéralement sur la partie supérieure du manteau terrestre appelée l’asthénosphère. Au sein de celle-ci, de complexes phénomènes engendrent de grandes quantités de chaleur, mettant en fusion les matériaux. Se créent alors des mouvements de convection du magma, un peu comme ce qui se passe dans l’eau d’une casserole placée sur le feu. Entre la poussée exercée par l’apport de nouveaux matériaux et ces mouvements de convection, notre plaque dérive lentement vers le nord-ouest. En se basant sur l’âge des différentes zones, on a pu déterminer sa vitesse de progression. Suivant les lieux, elle varie de 8 à 18 cm par an en moyenne, occasionnant des failles dites « transformantes ». L’Océan Pacifique a donc tendance à s’agrandir… Mais comme la Terre n’est pas « extensible », de l’autre côté du Pacifique, tout à fait à l’ouest, la plaque océanique disparaît en plongeant sous les plaques continentales dans des zones dites de subduction comme la côte est du Japon ou de l’île nord de la Nouvelle Zélande. Malheureusement pour ces régions du globe, ces glissements ne se font pas sans heurts, occasionnant tremblements de terre, tsunamis et éruptions volcaniques : c’est la ceinture de feu du Pacifique avec les volcans les plus actifs de la Terre.
Dans les temps très anciens
Mais revenons dans nos îles ! Sous toute l’actuelle Polynésie française, le relevé des fonds sous-marins montre un bombement de la croûte terrestre de plusieurs centaines de mètres (le plancher océanique est remonté de près de 600 m). Cette sorte de gigantesque « cloque » résulte de l’accumulation d’une masse magmatique considérable. C’est le Superbombement du Pacifique Sud sur lequel on trouve de nombreuses îles et monts sous-marins. Les îles s’étendent le plus souvent en chapelets sur plusieurs centaines de kilomètres et constituent des archipels : archipel des Australes-Cook, de la Société, des Tuamotu, des Marquises etc. Ces archipels avaient depuis longtemps attiré l’attention des géologues car les îles étaient comme alignées et ces alignements accusaient tous une direction voisine. Lorsqu’on a pu dater les roches de ses îles on s’est aperçu que plus on allait vers le Nord-Ouest, plus les îles étaient anciennes. Ainsi, alors que l’île de Mehetia au sud de l’archipel de la Société n’est vieille que de 25 à 70 000 ans, celle de Maupiti à l’autre extrémité de l’archipel accuse une ancienneté de 4,4 millions d’années environ. Et entre ces deux extrêmes, les âges s’échelonnent : 1 million d’années pour Tahiti, 1,7 million pour Mo’orea, 2,6 pour Huahine, 3,4 pour Bora Bora. On retrouve le même phénomène aux Marquises: Fatu Hiva au sud des Marquises n’a que 1,6 million d’années alors que Nuku Hiva a 4,2 millions d’années et Eiao, à l’extrême nord des Marquises, est vieille de plus de 5,5 millions d’années.
Du fond de l’océan, je née…
Les géologues ont concentré leurs recherches sur l’extrémité sud-est de ces alignements et c’est en recherchant sous l’eau qu’ils ont découvert le sommet de jeunes volcans encore immergés. C’est donc à l’extrémité sud-est des chapelets d’îles que s’étaient formées les îles les unes après les autres. C’est le géophysicien canadien Tuzo Wilson qui, en 1963, a émis l’hypothèse de l’existence des « points chauds », des lieux dont la position est fixe alors que la plaque lithosphérique passe lentement au-dessus. De temps à autres, à cause de mécanismes non encore bien connus, un panache de magma perfore la plaque lithosphérique et s’écoule sur le plancher océanique. Un volcan sous-marin est né. Du fait de l’épaisse couche d’eau qui la surmonte, cette éruption sous-marine passe totalement inaperçue en surface. Éruption après éruption, la masse de magma émise grossit pour former un cône volcanique. Il lui faudra plusieurs centaines de milliers d’années pour grandir de 4 ou 5 000 m et que son sommet émerge hors de l’océan pour former notre île. L’étude des différents archipels montre que l’espérance de vie de cette île n’est, en moyenne, que d’une dizaine de millions d’années. Ces volcans, haut de plus de 9 ou 12 000 m par rapport au plancher océanique, rivalisent en taille avec les plus grands volcans continentaux.
En Polynésie française, on compte six points chauds dont trois seulement sont actifs : au sud de Tahiti, c’est le volcan actif de Mehetia (dernière éruption en 1986), au sud-est des Gambier, celui de Pitcairn, et à l’extrême sud des Australes, le volcan sous-marin McDonald (1988) qui culmine aujourd’hui à seulement quelques dizaines de mètres sous la surface de l’océan. Des éruptions de ponce ont déjà été relevées. Nul doute que dans « un certain nombre d’années », ce volcan émergera. Ce sera alors un spectacle semblable à celui de la petite île récemment émergée au large du Japon. Les éruptions se poursuivant, l’enfantement se fait dans des gerbes de roche en fusion et de vapeur d’eau. Au contact de la lave à 2 000 °C, l’eau de mer est vaporisée, créant de grands panaches blancs. C’est le mariage du feu et de l’eau. Ces éruptions aériennes s’accompagnent de projections diverses : bombes volcaniques, gaz, etc… Une île est née. Bien que l’enfantement se soit fait dans d’épouvantables fracas, alliant feu, roches et eau, cette île est fragile. Les matériaux pyroclastiques peuvent rapidement être détruits par l’action de la houle. Mais si les émissions sont abondantes et que les coulées sont d’un bon et solide basalte, alors, il y a des chances pour que la nouvelle-née résiste aux éléments naturels.
Le point chaud des Marquises, celui de l’île de Rurutu dans les Australes et de Rarontonga n’ont pas aujourd’hui de manifestation volcanique actuelle ou récente connue. Bien sûr, il existe d’autres points chauds dans le Pacifique. L’exemple de l’archipel de Hawai’i en est un excellent témoin. S’y trouve le volcan Mauna Kea qui s’élève à plus de 10 000 m au-dessus du plancher océanique et est l’un des plus importants volcans de la Terre.
La jeune île n’est pour le moment qu’un chaos de roches volcaniques noires et nues, battu par le vent, les pluies et par la houle océanique qui commence son lent travail de sape. Petit à petit, les contours de la côte se dessinent. L’océan arrache des pans entiers de scories qui dévalent les pentes sous-marines du volcan vers les abysses.
La vie arrive
La vie va s’installer progressivement sur ce qui n’est pour le moment qu’un monde minéral stérile. Ce « caillou » isolé au milieu de l’océan représente un excellent lieu de halte, voire de nidification pour certains oiseaux marins ou autres. Accrochées aux pattes de certains d’entre eux, mélangées à leurs excréments, ou apportés par le vent, des spores de fougères, des graines légères de graminées ou même plus lourdes vont atterrir sur l’île. Si certaines meurent, d’autres vont trouver dans une microfissure, l’humidité et les éléments minéraux résultant de la désagrégation chimique du basalte nécessaires à leur germination et à leur développement. Les premières fougères, les premiers lichens puis les premières graminées vont petit à petit coloniser l’île, créant de bonnes conditions pour la nidification de certains oiseaux… Lesquels, grâce à leurs fientes vont davantage enrichir le sol. Les courants marins qui battent la côte pourront apporter des graines plus grosses mais qui flottent, voire des lézards, des fourmis, des araignées et d’autres insectes accrochés aux éléments d’un radeau de branches résultant de crues sur une autre île, voire un lointain continent. Vent, oiseaux, courants marins sont des facteurs importants de dispersion et de colonisation. Des plantes plus importantes, des arbres même, vont commencer à se développer, créant un environnement animal et végétal très riche et très diversifié. Une forêt va se développer, procurant nourriture et abri à ses hôtes. Et cette situation va durer des millions d’années. Du fait de leur long isolement, suite à diverses mutations, les plantes et les animaux vont se différencier des espèces légèrement différentes des espèces d’origine. Des espèces propres à notre petite île, que l’on ne retrouvera nulle part ailleurs : des espèces endémiques. Le taux d’endémisme dans les îles du Pacifique est particulièrement important. Un équilibre naturel va se créer.
Sous la surface de l’eau, apportés par les courants marins, des larves de madréporaires vont se fixer et coloniser les pentes supérieures du cône volcanique, construisant progressivement un récif corallien. Les petits polypes qui construisent ces édifices abritent dans leurs tissus des algues qui ont besoin de lumière et d’oxygène. Ils préfèrent donc être près de la surface et bénéficier d’eau normalement salée et riche en oxygène. Ils ne se développeront pas au droit des vallées qui apportent des eaux douces chargées de particules organiques et minérales arrachées à l’île : ce seront les passes.
Et l’homme à son tour…
Et puis, un jour, à bord de leurs pirogues doubles, les premiers hommes posent le pied sur son rivage : ce sont les Polynésiens. Avec eux, ils apportent de nouvelles espèces végétales : celles qui sont utiles pour s’alimenter, construire les habitations, fabriquer des ustensiles, des vêtements… Mais aussi d’autres, moins désirables, apportées involontairement, qui peuvent trouver d’excellentes conditions pour proliférer et envahir toute l’île. L’équilibre risque d’être rompu.
Ces hommes apportent aussi, volontairement ou non, des animaux : cochon, chien, rat, souris, araignées et autres insectes, etc. qui, eux aussi vont coloniser plus ou moins rapidement les plus petits coins de l’île pour peu qu’ils reprennent leur liberté et que le milieu leur soit favorable. D’autant qu’à part l’homme ils n’ont pas beaucoup de prédateurs. Siècle, après siècle, l’homme va aussi modifier les paysages à son profit : abattage d’arbres, brûlis, terrasses de cultures, irrigation, etc. Ultérieurement, les occidentaux apportent encore davantage d’espèces animales et végétales. Plus tard, au nom du progrès et du développement économique, avec l’arrivée d’engins puissants qui remplacent pelles et pioches, ce sont des pistes, puis des routes, des ouvrages d’art, une urbanisation de plus en plus importante, la création d’équipements divers. Notre petite île a bien changé depuis sa naissance, 4 ou 5 millions d’années auparavant. Mais ce bouleversement n’est qu’une petite étape de sa vie : il lui reste encore à vivre environ 5 millions d’années…
Immuable ?
Certes, à l’échelle d’une ou deux générations, l’île paraît quasiment immuable. La réalité est tout autre car l’île change, et surtout elle se déplace et se dirige inexorablement vers sa fin. Il y a tout d’abord ces phénomènes naturels comme l’érosion qui affectent son relief. Les eaux de ruissellement altèrent et décomposent les roches les plus dures. Les roches volcaniques sont soumises à des phénomènes chimiques et se désagrègent… Les petites radicelles de la végétation s’infiltrent dans les plus petites fissures qu’elles élargissent année après année. Des blocs vont se détacher des coulées volcaniques. Quelquefois, ce sont des masses considérables qui se détachent. Jour après jour, l’île perd de l’altitude et du volume. Ces dernières années tout particulièrement, avec le réchauffement climatique et sa conséquence, une lente remontée du niveau des océans, force est d’observer que la ligne de côte se modifie et que l’île perd peu à peu de sa surface… Marées, houle, cyclones, tous concourent à la destruction de l’édifice. Bloc après bloc, particule après particule, l’action mécanique des eaux de ruissellement, de la houle, et parfois l’Homme lui-même… détruisent l’île.
Lente disparition
Cette destruction est importante, mais il y a plus grave et plus inexorable. En s’éloignant de la dorsale, la plaque océanique se refroidit, ce qui provoque son épaississement. De quelques kilomètres au niveau de la dorsale, son épaisseur va atteindre 100 ou même 200 km avant la plongée sous la plaque continentale, la subduction. Sa masse augmente d’autant et exerce une pression de plus en plus importante sur l’asthénosphère. Du coup, au fur et à mesure de sa progression vers l’ouest, la plaque Pacifique s’enfonce : c’est le phénomène de subsidence. Un enfoncement considérable car, alors que la dorsale n’est qu’à 2 500 m sous le niveau de la mer, les profondeurs d’est en ouest s’accroissent jusqu’à atteindre 6, 8 ou même 12 000 m au niveau des fosses, là où la plaque plonge sous la plaque continentale. Et les îles, entraînées par le mouvement de la plaque s’enfoncent elles aussi. Les récifs coralliens qui les cernent, toujours avides de lumière, survivent en poursuivant leur croissance vers le haut, véritable couronne de corail qui ceint l’agonie de l’île. Bientôt, seuls les derniers sommets de l’île qui ont échappé à l’érosion dépasseront de l’eau. C’est ce que l’on observe aujourd’hui à Bora Bora, à Maupiti… Dans quelques millions d’années, ces derniers sommets auront disparu, entraînés par la subsidence. Seul restera l’anneau corallien. L’île haute sera devenue un atoll, comme ceux qui constituent les Tuamotu. Mais lui aussi poursuit sa route vers l’ouest et accompagne l’enfoncement de la plaque qui le porte, et il est appelé à disparaître… Il n’en restera plus qu’un banc de sable, puis, un mont sous marin : un guyot qui, plusieurs millions d’années plus tard, entraîné par le plancher océanique, sera « avalé » dans la subduction… Les derniers vestiges de notre île disparaitront, engloutis dans le magma et repris dans les mouvements de convection qui l’animent. Heureusement, nous ne serons pas là pour le voir, et que les touristes se rassurent : ils ont encore quelques millénaires pour visiter nos belles îles tropicales.
Michel Charleux
Exposition MANAVA
5 janvier 2017 in Culture, Culture
« Un voyage vers l’extérieur qui commence de l’intérieur »
Première exposition d’art contemporain autochtone polynésien à avoir été organisée à l’extérieur de la Polynésie, Manava a été dévoilée en décembre 2014 dans la galerie WUHO de Los Angeles aux Etats-Unis. Une exposition conçue par le Centre des Métiers d’Art, école d’art située à Papeete. Récit de cette aventure.
Enracinement dans les valeurs culturelles, esthétiques et éthiques polynésiennes
«Quel est notre rapport à l’histoire et comment peut-on considérer la question de notre représentation culturelle aujourd’hui ? » est la question de ralliement posée par l’artiste polynésien Alexander Lee, qui a collaboré avec les étudiants et les enseignants du CMA lors des ateliers qu’il a menés à l’école.
« Manava marque le début d’une nouvelle étape dans le paysage culturel et artistique en Polynésie. Le monde change et nous devons changer avec lui, en commençant par nous réexaminer nous-mêmes et notre relation à lui, mais aussi à travers les signes par lesquels nous nous représentons en son sein. C’est un voyage vers l’extérieur qui commence de l’intérieur. MĀNAVA! », explique avec force Viri Taimana, directeur, du Centre des Métiers d’Art – Te Pu Haapiiraa Toroa Rima i. Créé en 1980, le CMA propose un enseignement qui revisite l’histoire et le patrimoine de la Polynésie à travers la sculpture, la gravure, le dessin, la peinture, le tressage, la photographie, la vidéo et l’installation.
Résonnant comme une parole de bienvenue, Manava est avant tout un nom des entrailles, du ventre, ce ventre polynésien – siège des sentiments – où se fixe la conscience. Les expositions d’art contemporain du CMA telles que Manava se révèlent comme des introspections, des vues spécifiques de la Polynésie et proposent un itinéraire dans le monde polynésien, pleinement inscrit dans le 21ème siècle. Elles établissent l’existence d’une pensée autochtone polynésienne contemporaine investissant les arts visuels. Il y est fait état des questionnements de créateurs polynésiens sur leur société, leur inscription au monde et leur participation à ce dernier.
Un seuil a été franchi lorsque les œuvres contemporaines de Manava furent exposées au Musée de Tahiti et des îles en 2013. Le message d’une culture artistique vivante a été reçu positivement par le musée, institution publique de Polynésie française garante de la conservation du patrimoine ancien. Les œuvres contemporaines de Manava s’inscrivent dans le prolongement des collections ethnologiques du musée. Les œuvres d’art sont de puissants vecteurs de transmission culturelle. Chaque acte de création est à la fois un acte de restitution et de transmission. Ainsi, les arts permettent la régénération et la diffusion du patrimoine polynésien en préservant les caractéristiques passées et en intégrant la nécessaire évolution des patrimoines culturels.
La force conceptuelle des œuvres de Manava n’a pas échappé à Ingalill Wahlroos-Ritter, vice-doyenne de l’École d’Architecture de l’Université Woodbury, et directrice de la galerie WUHO (Woodbury University Hollywood Outpost) située sur le prestigieux Hollywood Boulevard à Los Angeles, aux Etats-Unis. Elle a pu visiter l’exposition à Tahiti pendant un séjour durant lequel se tenait, au CMA, un atelier d’expérimentation autour des matériaux. Un atelier organisé en partenariat avec les étudiants de Woodbury et ceux du CMA (un échange qui a commencé en 2010). Wahlroos-Ritter invita alors Manava à la galerie Wuho à Los Angeles en Décembre 2014.
Les œuvres contemporaines produites pour Manava témoignent d’un enracinement dans les valeurs culturelles, esthétiques et éthiques polynésiennes. Elles naissent d’une expression individuelle s’appuyant sur une mémoire collective locale en lien avec les modes de vie, l’environnement, les conditions d’existence de la culture et son patrimoine. La culture rassemble l’ensemble des témoignages transmis de génération en génération par voies orales, écrites, gestuelles, audio-visuelles ou par tout autre moyen en rapport avec les arts, les techniques, les savoir-faire, la vie quotidienne, les événements collectifs des époques anciennes et contemporaines et dont la valeur est reconnue. La création artistique contemporaine permet aux polynésiens de se reconnaître dans une production et leur procure un sentiment d’identité et de continuité.
Alexander Lee
– Une exposition Manava II est prévue au Musée de Tahiti en Octobre 2016, et se rendra à la galerie WUHO (et au-delà) en 2017.
– Air Tahiti Nui est le partenaire officiel et transporteur de Manava dans sa tournée internationale.
IronMana & Waterman Tahiti Tour : Face à l’Océan et à soi-même
10 novembre 2016 in Evénements
Les épreuves du Bora Bora Liquid Festival KXT Ironmana et du Waterman Tahiti Tour constituent pour les athlètes une invitation au dépassement de soi, de par leur diversité et leurs difficultés. Dans le décor, exceptionnel de nos îles, y sont promus des sports intimement liés à l’Océan et la Polynésie tels le va’a, la pirogue à voile, la natation en eau libre, le prone paddleboard et le stand up paddle. Rencontre avec Stephan Lambert, personnalité hors-norme à l’image de ces événements dont il est le créateur.
« Ce n’est pas la destination, mais le chemin qui compte ». Ce proverbe gitan aurait pu être celui de Stephan Lambert. Celui-ci est aujourd’hui reconnu et connu pour être le créateur de ce que l’on estime être parmi les plus belles courses du monde dans un environnement aquatique : le Ironmana et le Waterman Tahiti Tour. Son chemin semblait tout tracé mais il a préféré bifurquer. Fils d’Alain Lambert, entraineur de l’équipe de France de tennis – et coach des célèbres champions Guy Forget et Yannick Noah – il aurait dû devenir le champion de tennis qu’il promettait d’être. Il sait à peine marcher que déjà il tape dans la balle jaune. Il remporte les championnats de France en individuel et en équipe. Puis, à 16 ans, il part faire un match d’exhibition à Hawaii. Ses yeux s’ouvrent. Ce qu’il avait déjà en lui devient clair. « C’est vers la plage que je vais », dira-t-il à Guy Forget qui l’accompagne. Les champions de surf et de va’a – la pirogue polynésienne à un balancier – qu’il rencontre lors de ce voyage vont l’initier à la mer. Alors que dans le sud de la France, la mer « faisait partie de son environnement », après Hawaii, elle devient « un style de vie ». Il n’a qu’une seule envie : aller vivre là-bas. Sa mère mettra le holà : d’abord le bac, ensuite des études. Bac +5 en poche, il part enfin vivre à Hawaii.
Le coaching fait partie de sa vie aussi. Il a de qui tenir. Il met en place des programmes d’entraînement et devient consultant. En 1994, il arrive en Polynésie française « à cause de la pêche ». Il travaille comme « grader » sur le thon rouge, estimant la valeur du poisson et indiquant le marché export où il doit être distribué. « Travailler 14 heures par jour, pas le temps d’aller surfer… Il y a un moment où tu te dis que tu n’es pas à ta place. » Il plaque tout et part s’installer à Bora Bora. Après avoir développé une société de jet-ski, il change à nouveau de route pour reprendre celle des pirogues à voile. « À partir du moment où tu ne créé plus rien, ce n’est plus intéressant. ». Nouveau défi, nouvelle vie. « Il s’agissait de ramener des valeurs nobles à travers ce symbole alors disparu qu’est la pirogue à voile. C’est un trait d’union entre les gens. Et ce n’est pas la même énergie ressentie entre piloter un jet-ski et mener une pirogue à voile… ». Enfin, le temps semble couler au rythme que Stephan cherchait depuis toujours, ponctué de traversées en solitaire entre les Iles Sous-le-Vent avec son prone paddleboard et de shooting photos pour des marques célèbres.
Course pour les « taravana », les fous en tahitien…
Le coaching est toujours présent et entre Tahiti, Hawaii et la Californie naturellement, il va vers les sportifs. Naturellement, ils viennent aussi vers lui. Il continue à proposer des programmes d’entraînement uniques dont l’essence est la connexion spirituelle avec l’eau. Ceux qui souhaitent se préparer au Heiva, à un marathon ou encore à une course de va’a, viennent le voir. Des athlètes étrangers font le déplacement pour suivre ses stages isolés sur son motu de Bora Bora. Naît l’idée de transformer ces programmes en événement sportif et ainsi rassembler les différentes disciplines aquatiques pour perpétuer l’esprit « Waterman ».
En 1999, il organise la première édition de l’Ironmana. Trente kilomètres dans le lagon de Bora Bora en va’a. À l’époque, les gens disent que c’est une course pour les « taravana » (les fous, en tahitien). Quinze années plus tard, ces mêmes personnes sont toujours sur la ligne de départ. De 30 kilomètres en va’a, l’épreuve en fait désormais plus de 60. D’une journée unique de compétition, le défi devient un festival cumulant cinq jours d’épreuves. La natation en eau libre, le stand up paddle, le prone paddle bord font désormais partie du programme et les participants changent de mode de transport et enchaînent sprint ou marathon.
En 2014, c’est la première édition du Waterman Tahiti Tour. Le Waterman Tahiti Tour se décline en un championnat sur cinq étapes, toutes se déroulent dans une île différente, d’avril à septembre. L’idée est de se préparer pour le Ironmana, toujours la première semaine du mois de décembre.
Ces événements sont « progressifs » : jamais deux fois la même distance ou le même parcours. Plus les éditions passent, plus les difficultés augmentent. « Il faut toujours faire plus que l’année précédente. Il y a cette gourmandise de l’effort avec la récompense : le plaisir. »
La philosophie de ces événements est la même que celle des entrainements qu’il propose : le dépassement de soi et non de ses adversaires. Pour les participants, une seule devise : « N’attendez rien, soyez prêts à tout. » Cette façon de vivre, beaucoup l’ont adoptée. À l’image de la Californienne Grace Van Der Byl, championne de natation en marathon : « si tu veux être un Waterman, tu dois faire le Ironmana », explique-t-elle. Le Ironmana et le Waterman Tahiti Tour sont devenus des épreuves incontournables pour les hommes et femmes qui aiment les défis liquides.
« Ton adversaire, c’est toi-même »
« Ton adversaire, c’est toi-même. Il faut avoir la foi, croire que les choses se finissent bien tout en ayant conscience des épreuves qui vont être difficiles à passer. Abandonner n’est pas une option, explique Stephan Lambert. L’attitude, c’est le premier domino qui entraine tout le reste ». L’attitude. Un mot qui revient sans cesse dans le discours de cet ancien champion de tennis.
Au-delà du défi sportif, Stephan Lambert emmène vers un questionnement spirituel. « Ne pas donner de challenge aux gens est un bon moyen de les contrôler. Si on leur rappelle que tout est possible alors ils deviennent des électrons libres. »
Stephan Lambert tente d’entraîner tout le monde sur cette route plus difficile mais plus gratifiante. « C’est l’esprit qui anime les participants. Ces événements ont une dimension spirituelle. C’est un voyage intérieur. La dose d’endorphine que le corps délivre avec le sport est plus forte quand tu te bats contre toi-même. Et c’est seulement quand tu as passé la ligne d’arrivée que l’histoire peut commencer ». Car après de telles épreuves, une dose d’énergie « poursuit et anime » les participants pendant des mois après la compétition. L’Ironmana et le Waterman Tahiti Tour sont des défis physiques et mentaux. Pour Stephan Lambert, il suffit de se dire : « Chiche, je peux le faire. »
Aujourd’hui, une centaine de personnes participent à ces deux événements. Stephan Lambert ne sait pas pourquoi, au fond, il a besoin d’entraîner tout ces gens dans ce genre de voyage. Il a juste « trouvé le moyen de partager et ne pas être seul à faire ce qu’il aime. Je ne suis pas là pour convaincre les gens de participer, je propose juste une option. J’essaye d’amener les personnes à apprécier le moment présent, à aimer ce qu’elles font au moment où elles le font. Respirer pleinement l’instant… »
Le Ironmana et la Waterman Tahiti Tour sont plus que des compétitions. Leur concept est d’ailleurs unique au monde et Stephan Lambert espère bien le développer à l’étranger et faire, pourquoi pas, un Waterman World Tour ! Et comme l’endorphine est une drogue gratuite, pourquoi se priver ?
Marie Leroux
Calendrier des manifestations
WATERMAN TAHITI TOUR (WTT)
WTT 1 : dimanche 5 avril, (Blue Banana) Tahiti-Punaauia (Blue Banana)
WTT 2 : 23/24 mai, « journées enfants » Tahiti-Punaauia
WTT 3 : 20/21 juin, Moorea Coco Beach
WTT 4 : 15/15 août, Tahiti-Mahina (plage de la Pointe Venus)
WTT 5 : 19/20 septembre, Raiatea
IRONMANA BORA BORA LIQUID FESTIVAL 2015
– Channel Crossing: du 23 au 30 novembre 2015
Ce raid aventure, réalisé en pirogue à voile, consiste à relier les îles de Moorea, Huahine, Taha’a et Bora Bora au départ de Tahiti.
Bora Bora Liquid Festival : du 1er au 6 décembre 2015
Pour les autres rendez-vous, voir les dates dans notre agenda des événements sportifs