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© P. Bacchet

Rimatara : immensément séduisante

21 octobre 2019 in Destinations, îles des Australes

Les plages de Rimatara sont réputées pour compter parmi les plus belles de Polynésie. Ici, près du village de Mutuaura, celle de la baie des Vierges. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Plus petite île habitée de l’archipel des Australes, Rimatara surprend et charme par la beauté de ses paysages et l’authenticité des rencontres qu’elle propose avec ses habitants.

Coup d’œil sur Rimatara

En arrivant par avion, voir Rimatara apparaître lentement à l’horizon est à la fois un émerveillement et le prélude à un dépaysement à venir encore plus grand. De forme ovale et d’un vert éclatant, l’île se démarque intensément de l’océan qui surprend par son bleu Majorelle, couleur du nom de son créateur, peintre orientaliste français qui rendit encore plus éclatant et intense le célèbre bleu outremer en y ajoutant quelques ingrédients secrets. Une couleur dont la réputation est d’être reposante et d’apporter la paix à l’esprit. Ce sont bien les sentiments que procure cette première vision de la petite île des Australes. Ces subtilités chromatiques enseignent aux visiteurs les plus sensibles qu’ils sont bien ici dans un « ailleurs » polynésien où lumières, couleurs, paysages, climat et culture diffèrent des autres archipels. Celui des Australes constitue en effet la frontière méridionale de la Polynésie française. Situées entre 600 et 1 200 km au sud de Tahiti, ses cinq îles habitées se répartissent sur un arc de cercle d’environ 1 200 km, distance entre l’île la plus à l’ouest, Rimatara, et celle la plus à l’est, Rapa. Nous sommes donc ici à une frontière. Peut-être pas le bout du monde, mais le bout d’un monde, celui des Polynésiens. Sur les rivages sud de ces terres, le regard ne rencontre que l’océan Pacifique, immensité maritime qui ne sera interrompue que par les rivages glacés de l’Antarctique, 6 000 km plus bas. Entre ces deux rivages : rien… pas même un caillou, une île. C’est l’immense bassin du Pacifique Sud. Et des eaux bordant le lointain mais finalement voisin Continent Blanc remontent chaque année entre juin et octobre les majestueuses baleines que l’on peut observer près des côtes de Rimatara. Elles viennent se reposer et mettre bas dans ces eaux plus hospitalières. Ce long voyage est aussi fait, bien plus régulièrement par des masses d’air glacé qui rendent le climat de l’archipel plus frais, parfois de manière surprenante, bien que ces îles flirtent toutes avec le tropique du Capricorne.

Le paisible village d'Anapoto vu depuis les collines alentour. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Petite perle des Australes

Rimatara est la plus petite des îles habitées des Australes avec une superficie de 8,6 km2 seulement et elle est aussi la plus basse puisque son point culminant, le mont Uahu, ne dépasse pas 84 m. Comment une telle petite merveille a-t-elle pu surgir au milieu de cette immensité océanique ? À l’instar de toutes nos îles, Rimatara est le vestige – certes très réduit – d’un puissant volcan né sur le plancher océanique à 4 500 mètres de profondeur et qui, au fil des éruptions, à réussi à s’élever au dessus de la surface. Il a été alimenté par l’existence dans cette région du Pacifique de « points chauds », des zones situées sous l’écorce terrestre d’où remontent, depuis le manteau profond, des panaches de matière en fusion. Le volcan perce alors l’écorce et le plancher océanique, phénomène puissant capable d’édifier ces constructions de laves titanesques. Mais les points chauds sont fixes tandis que l’écorce terrestre se déplace : ici, en direction du nord-ouest et à une vitesse moyenne de 11 cm par an. Du coup, au fil des temps géologiques, le volcan se voit privé de sa source d’alimentation. Son activité décline et cesse. Sa partie émergée subit l’érosion marine et climatique. Tel fut le destin de Rimatara. Sa partie centrale, si charmante avec son alternance de vallons et de petits plateaux, est bien le reste de ce volcan initial. 

Vue de Rimatara avec au premier plan le village principal d'Amaru. La piste de l'aérodrome donne un bon aperçu de la taille de l'île. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
Le littoral est riche en formations de corail fossilisé. Généralement appelées feo, ces structures portent aussi le nom de <i>mato</i>. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
L'hospitalité n'est pas un vain mot à Rimatara où bonne humeur et sourires sont le quotidien des habitants. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

On y trouve cette terre rouge caractéristique de l’île issue de la dégradation des matériaux volcaniques originels. Et si cette île haute est si « petite » c’est bien parce qu’elle est la plus ancienne de l’archipel : sa formation remonte à 20 millions d’années, puis après l’arrêt de l’activité volcanique, 15 millions d’années auparavant, l’érosion a eu le temps de faire son œuvre. Une autre aventure notable est venue marquer son destin. En raison de mouvements très localisés de la croûte terrestre, l’île fut soulevée rapidement de plusieurs mètres. C’est ce qui explique la présence sur son littoral de falaises calcaires d’origine coralliennes, appelées mato, pouvant atteindre une quinzaine de mètres de hauteur. Il s’agit en fait de son ancien récif corallien aujourd’hui hors d’eau. Cette particularité géologique constitue un des grands charmes de l’île car elle a créé un littoral de belles plages de sable blanc entrecoupées de criques rocheuses aux eaux calmes et limpides, plus particulièrement dans sa partie sud et sud-ouest. Un littoral typique que l’on trouve dans sa plus belle expression entre les localités de Mutuaura et Anapoto. Le site le plus célèbre est la baie des Vierges, aussi nommée bain des Vierges, près de Mutuaura. D’autres merveilles sont cependant à découvrir et à parcourir comme la belle et grande plage de Mutuaura bordée par le motu Rama et le motu Uta. La nature a donc fait ici une œuvre utile et belle comme elle sait si bien le faire en prenant son temps.

A Rimatara comme dans les autres îles des Australes, la cohésion sociale a une grande importance et la religion en est un des ciments. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
A Rimatara comme dans les autres îles des Australes, la cohésion sociale a une grande importance et la religion en est un des ciments. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Des Polynésiens installés depuis un millénaire

Comme les autres îles de l’archipel, Rimatara fut peuplée par les Polynésiens un millénaire auparavant. Les spécialistes estiment que les Australes furent le dernier des cinq archipels de notre territoire à avoir été colonisé. Bien qu’ayant des rapports et des échanges fréquents entre eux, ces archipels développèrent chacun une identité propre lors de ces temps qualifiés de pré-européens (c’est à dire antérieurs aux premiers grands contacts entre ces deux civilisations vers la fin du XVIIIe siècle). Il en fut de même aux Australes et l’isolement de ces îles séparées par plusieurs centaines de kilomètres de mer leur permit de développer et conserver des spécificités culturelles. Ainsi, la langue parlée à Rimatara, le Reo Rimatara, présente des différences avec les langues des autres îles de l’archipel bien qu’elles appartiennent toutes à la famille plus vaste du Reo Tuha’a Pae, la langue propre à l’archipel. Il est établi que, lors de cette période pré-européenne, Rimatara et sa voisine Rurutu n’étaient pas des entités vivant dans l’isolement mais que des échanges maritimes réguliers se faisaient avec les îles des Gambier, de la Société, et de l’archipel des Cook. Dans sa partie méridionale, les Southern Cook Islands, présentent de grandes similarités tant culturelles qu’environnementales avec les Australes Ouest. Dans cet archipel indépendant resté longtemps sous domination coloniale britannique, l’île de Mangaia, distante seulement de 530 km de Rimatara, est aussi un atoll soulevé de forme circulaire où se pratique la culture du taro et du noni. Ces points communs démontrent la continuité et la cohérence du monde polynésien par-delà les frontières créées par les colonisateurs européens au XIXe siècle. Quant à ces derniers justement, ils n’abordèrent pour la première fois les rivages de Rimatara qu’en 1811, pratiquement un demi-siècle après leur arrivée sur ceux de l’île de Tahiti. Ils ne s’aventurèrent guère en effet, pour le moins au début, dans la mer des Australes aux conditions de navigation plus dangereuses.

Fin de journée à Anapoto. Après le retour des pêcheurs, leurs pirogues sont alignées et prêtes à reprendre la mer dès le lendemain. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

L’un des impacts immédiats de cette rencontre fut hélas les terribles épidémies de nouvelles maladies apportées par ces visiteurs du bout du monde et contre lesquelles les populations locales n’étaient pas immunisées. Ce phénomène toucha toute les îles et Rimatara ne dérogea pas à la funeste règle. L’île ne comptait plus que 200/300 habitants vers 1823, selon le témoignage du missionnaire protestant John Williams qui s’y rendit. Avant l’arrivée des Européens la population avait été estimée à 1000/1200 âmes, niveau qu’elle a, par ailleurs, presque retrouvé aujourd’hui. Affaiblis, se sentant sans doute abandonnés par leurs dieux et désemparés face à l’impuissance des ressources issues de leur société traditionnelle face aux divers fléaux, les habitants se convertirent au protestantisme et se mirent sur la voie de l’européanisation. La saignée démographique se traduisit aussi par une mutation profonde de l’habitat. Autrefois dispersées sur les terres de l’île, les populations se rassemblèrent en village dont les centres étaient ces nouveaux lieux de culte, fortement incitées en cela par les missionnaires qui pouvaient ainsi mieux contrôler leurs ouailles.

Ainsi émergea l’organisation spatiale actuelle avec les localités d’Amaru au nord-est de l’île (289 habitants), Mutuaura où Motua’ura au sud (315) habitants) et Anapoto au nord-ouest (268). Au niveau politique, alors que dès le milieu du XIXe siècle une bonne partie des îles formant l’actuelle Polynésie française était déjà placée sous protectorat français, il fallut attendre la toute fin de ce même siècle pour que le pouvoir colonial s’intéressa à ces terres du bout du monde que sont Rimatara et Rurutu. Pourtant, les Anglais étaient en embuscade après avoir imposé leur souveraineté dans l’archipel proche des Cook… Mais malgré la volonté des missionnaires anglais de voir tomber l’île dans l’escarcelle de la Couronne, ce fut bien le gouverneur Gallet qui se rendit à Rurutu et Rimatara pour prendre possession de ses deux terres au nom de la France. Et, en 1901, Rimatara devint donc la dernière île à être annexée officiellement par la France après que sa reine Tamaeva V eut accepté cette « protection », mettant fin en grande partie au pouvoir de sa lignée qui avait pris naissance au début du XIXe siècle. Cette dernière, qui fut cependant autorisée à régner « symboliquement » jusqu’en 1923, date de sa mort, fut l’ultime reine de ce qui était appelé à l’époque les Établissements français de l’Océanie.

La rousserole de Rimatara est une espèce protégée et endémique de l'île. Le chien Whisky, dressé à la détection du rat noir, son principal prédateur, intervient efficacement lors de l'arrivée des marchandises par voie maritime. <a href="/philippe-bacchet-photographe">Arr. n° 07729 du 24 08 2018 © P. Bacchet</a>
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Retour de pêche : mérous, carangues et nasons viendront agrémenter le repas dominical. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
La topographie de Rimatara a favorisé l'implantation de nombreuses tarodières. La culture du taro est ici une des principales ressources. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
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Le <i>remu</i> (Caulerpa racemosa) est une algue savoureuse et abondante à Rimatara. Elle est récoltée par tradition. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Développement du tourisme

Aujourd’hui, Rimatara abrite une population de 870 habitants, ce qui en fait une des îles les plus densément peuplées de toute la Polynésie française. Il faut dire que les ressources primaires ne manquent pas. L’océan environnant est riche, permettant de nombreuses formes de pêches, qu’elles soient côtières ou lagonaires, et des prises diverses en poissons pélagiques et espèces de profondeur. Les terres du cœur de l’île sont fertiles. Le taro pousse en abondance ainsi que les fruits et légumes. Le noni et le coprah sont aussi bien présents. Rimatara est d’ailleurs une des « championnes » agricoles de l’archipel, talonnant des îles disposant de surfaces cultivables beaucoup plus grandes comme Tubuai et Rurutu. L’artisanat est lui aussi très bien implanté avec le travail du pandanus. Les réalisations des artisans locaux sont réputées. Elles sont vendues régulièrement sur les présentoirs des événements et salons de Tahiti. Sur place, le visiteur trouvera aussi son bonheur ! Rimatara fut la dernière en date des îles de Polynésie française a avoir été ouverte à la circulation aérienne, avec la mise en service en 2006 de son aérodrome, après de longues et difficiles années de travaux. 

Ce fut un changement majeur pour la population, permettant des déplacements beaucoup plus aisés. En effet, le transport par voie maritime est rendu difficile par la configuration des côtes. L’île ne dispose que de deux petits quais. Marchandises et quelques rares passagers sont débarqués par des baleinières et des barges qui font la navette entre les unités de fort tonnage, au large, et la côte. Lorsque la météo se dégrade, l’exercice devient très périlleux, voire impossible. L’ouverture à la circulation aérienne a laissé entrevoir la possibilité d’un développement du tourisme en s’appuyant sur les atouts tant naturels qu’humains de l’île. Parmi les points forts, se trouve la présence du fameux ’ura, perruche endémique de toute beauté que l’on peut facilement observer. Moins connue, l’observation des baleines est elle aussi aisée car elle peut depuis le rivage et à partir des hauteurs voisinant la côte. Mais l’atout maître de l’île, en dehors de ses paysages, de sa faune et de sa flore est bien d’être une destination où l’authenticité n’est pas un vain mot ou une formule publicitaire. Le visiteur plongera dans cette vie insulaire polynésienne si particulière, au rythme de la nature et de ses merveilles, déconnecté des choses futiles. Sur cette si petite île, l’humain en redevient grand et important. Un retour aux sources agréable et salutaire.

Ludovic Lardière

Tressage : lien entre tradition et création, entre passé et futur

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Le tressage du pandanus est une institution à Rimatara. Les œuvres confectionnées sont très prisées lors des expositions artisanales de Tahiti. © P. Bacchet

Tressage : lien entre tradition et création, entre passé et futur

Il n’est que 9 heures du matin mais une chaleur humide saisit déjà toute l’île. Il vaut mieux éviter les rayons d’un soleil déjà ardent en cette pleine saison chaude. Bien à l’ombre, sur la terrasse de leur petit fare dans la localité d’Amaru, Raumearii, Léa et Rhycenda sont à l’ouvrage au milieu des rouleaux de pandanus, des paniers et autres chapeaux en devenir. Il faut rattraper le temps perdu ! Ces dernières semaines, le temps a été à la pluie, et du coup la matière première est venue à manquer pour tresser. Impossible de faire sécher rapidement et correctement, les précieuses feuilles qui en sont la base. Le pae’ore ou raufara (Pandanus tectorius variété laevis de son nom scientifique) est abondamment présent à Rimatara. On le trouve aux détours des routes traversières et côtières, souvent à l’ombre des purau (Hibiscus tiliaceus) et des cocotiers car les feuilles exposées directement au soleil seront plus dures et donc plus difficile à travailler. Cette variété de pandanus a la particularité d’avoir des feuilles sans épines. Elle est issue d’un long et patient travail de sélection pour aboutir à la variété la plus adaptée à cet usage particulier et Rimatara en est le premier producteur de l’archipel.

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Patience, dextérité et talent sont les maîtres-mots des artisanes de Rimatara. © P. Bacchet

Une abondance qui ne met cependant pas à l’abri des caprices de la nature, car une fois coupées et récoltés manuellement à l’aide d’un long couteau, les longues feuilles vertes et dures doivent être mise à sécher pendant plusieurs semaines. Une durée qui varie selon la météo et avant que le soleil ne revienne en force ces derniers jours, la pluie et l’humidité se sont abondamment invitées sur l’île. D’ailleurs, dans le jardin du fare de nos hôtes, on s’active pour profiter du retour en force du soleil et étendre les grandes et belles feuilles. Une fois séchées, elles sont enroulées sur elles-mêmes. Une partie de la production est exportée sous cette forme afin de couvrir les besoins des artisans de l’archipel de la Société, mais aussi pour fournir les groupes de ’ori Tahiti, la danse tahitienne, dont les superbes costumes végétaux font la part belle au tressage du pandanus. Une autre partie est destinée à la centaine d’artisans que compte l’île et parmi lesquelles figurent Raumearii, Rhycenda et Léa. Cette dernière nous montre comment elle réalise la découpe des feuilles de pandanus séchés en brins avec une simple épingle et, aussi, beaucoup de dextérité… Les feuilles sont découpées dans leur longueur en brins de dimensions variable suivant l’usage auquel ils sont destinés : les plus larges pour des nattes, ceux plus petits pour la réalisation de vanneries, et les plus fins, de quelques millimètres, sont généralement réservés aux chapeaux. C’est un travail long, difficile et méticuleux. À l’observer ainsi, on en réalise toute la valeur ! Léa abandonne temporairement le chapeau qu’elle est en train de réaliser pour nous emmener plus loin dans la propriété. Là, de grandes marmites chauffent sur des réchauds à gaz. Des rouleaux de pandanus sont « cuits » durant de longues journées avec des écorces d’arbres qui vont les teinter. Un colorant 100 % naturel pour une filière qui peut se vanter d’être « bio », en quelque sorte ! Ici, pas de traitement chimique ni de mécanisation à outrance nécessitant des montagnes d’emprunts bancaires pour l’achat de matériel, mais seulement la nature avec son rythme et le travail humain. Savoir-faire et connaissances se transmettent par la pratique et l’observation au sein des familles élargies et des associations. Changement de lieu, mais nous retrouvons la même passion et le même travail au Centre des jeunes adolescent (CJA) d’Anapoto. Présentes dans de nombreuses îles, ces structures éducatives – 21 au total, regroupant 573 élèves – sont d’une grande importance pour une partie de la jeunesse du pays et particulièrement celle des archipels, accueillant dès 12 ans pour les plus jeunes, les élèves en difficulté scolaire – voire en décrochage – dans les filières « traditionnelles ». Il ne saurait être question de les livrer à eux-mêmes en dehors du fait qu’en France, la scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans.

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L’art du tressage se perpétue ici au CJA d’Anapoto où les œuvres réalisées par les jeunes élèves sont de toute beauté. © P. Bacchet

Au sein des CJA, ces jeunes peuvent trouver non seulement un cadre d’apprentissage mais aussi des formations pratiques privilégiant des travaux manuels et des savoir-faire concrets. Un autre de leur grand intérêt est la préservation et la transmission des savoir-faire agricoles et artisanaux liés à une île ou un archipel. Celui d’Anapoto, le seul implanté aux Australes, dispose ainsi d’une section agriculture où l’accent est mis sur les cultures phares de l’île comme le taro, de sculpture sur bois et, bien sûr, de tressage. Dans ces deux domaines cités, Rimatara possède indéniablement un réel patrimoine et des spécificités qu’il convient de préserver mais aussi de faire fructifier. Directrice depuis 1992 de cet établissement créé dès 1983, Pererina Tehio nous accueille et nous guide dans la rencontre de la douzaine de jeunes filles et jeune femme de cette section tressage. Réunies dans une grande pièce, elles sont au travail dans la bonne humeur. Pas de professeur mais une transmission des connaissances entre-elles, des plus expérimentées vers les plus jeunes et les plus novices. On s’aide et on s’entre-aide, formant une communauté avec des liens renforcés par la présence d’un internat pour les élèves issues d’autres îles. Ici, la modernité s’est aussi invitée dans cet artisanat d’art séculaire : les motifs de Rimatara et des Australes sont associés – on pourrait dire métissés – avec ceux d’autres horizons.

Fière, une des jeunes élèves montre sur son i-pad des motifs venus des Philippines dénichés sur Internet et qui l’ont inspirée. Il faut bien sûr préserver les traditions, mais elles ne peuvent être figées pour l’éternité telles des pièces de musée en vitrine ! D’autant plus que cet artisanat connaît une forme de renaissance et de nouvelle reconnaissance. Il ne séduit plus seulement les mama, les anciennes générations et les défenseurs farouches de la « tradition ». Les plus jeunes aussi se tournent vers ces réalisations, valorisant les savoir-faire locaux et des ressources renouvelables issues d’un territoire proche. On sait qui a fait, d’où cela vient et comment c’est fait ! Cette tendance apparaît finalement logique dans un contexte plus global de dénonciations des excès de la mondialisation avec ses produits standardisés, sans âme, et, parfois sans éthique. Une certaine jeunesse aisée de Papeete s’entiche même de ces créations au point de laisser dans ses placards les sacs et autres accessoires des grandes marques de luxe mondiales… Bref, c’est devenu « tendance » ! Du coup, il faut des bras ou plutôt des doigts pour fournir les pièces qui seront vendues souvent lors des expositions et salons sur l’île de Tahiti. Il faut aussi compter sur les visiteurs qui ont des coups de cœur et achètent sur place. Comme le reconnaît Pererina Tehio, la demande est maintenant forte. C’est donc au bout de leurs doigts que les artisans de Rimatara prennent en main leur avenir et le tiennent fermement.

Pour en savoir plus sur le tressage aux Australes, on lira avec grand intérêt l’ouvrage Tressage, Objets, matière & gestes d’hier et d’aujourd’hui, Hinanui Cauchois, Éditions Au Vent des îles (2013)

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Jacques Brel, les années Marquises

16 octobre 2019 in îles des Marquises, People, Portrait

Jacques Brel, une immense star de la chanson mais aussi un acteur, réalisateur, marin, pilote, philanthrope et Marquisien à la fin de sa vie. © Everett Collection Inc / Alamy Stock Photo

Il y a quarante ans, en octobre 1978, disparaissait Jacques Brel. Grande figure de la chanson française, acteur et réalisateur, il avait choisi de se retirer aux Marquises où il vécut les trois dernières années de sa vie, non sans y avoir composé un ultime album au titre homonyme qui contribua à mieux faire connaître cet archipel.

De nos jours, on effectue le voyage de Paris aux Marquises en moins de 30 heures, après une escale obligée à Tahiti. Jacques Brel, quant à lui, n’y est pas arrivé par la voie des lignes aériennes classiques, comme beaucoup de gens. C’est à bord de son voilier, à l’occasion du tour du monde qu’il avait décidé d’effectuer après avoir laissé derrière lui une carrière internationale, qu’il posa le pied sur la « Terre des Hommes ». C’était en novembre 1975. Tout d’abord arrivé à Nuku Hiva, la capitale administrative de l’archipel, il jugea trop « pompeux » l’accueil qui lui était fait par des autorités soucieuses de saluer une personnalité reconnue, et décida alors de s’installer sur l’île voisine, Hiva Oa, dans la partie sud de l’archipel, en mettant fin à son tour du monde. Rappelons-le, Brel, avec plus de 25 millions d’albums vendus à l’international, était alors une star. Plus particulièrement en Europe, où il était devenu une icône de la chanson française dont il était une figure marquante, à l’instar de Brassens, Barbara, Ferré, Piaf… toute une génération de chanteurs à textes issue du cabaret. On n’a pas oublié des titres comme Quand on n’a que l’amour, Ne me quitte pas, Le Plat Pays, Amsterdam… Fait remarquable, bien que ses chansons soient en langue française, il est aussi devenu une source d’inspiration pour des auteurs-interprètes anglophones de renom. On peut citer parmi eux David Bowie, Mort Shuman, Léonard Cohen… Plusieurs de ses chansons ont été traduites en anglais et chantées par des vedettes internationales aussi connues que Ray Charles, Nina Simone ou Frank Sinatra… pour ne citer qu’eux. Jacques Brel fut même numéro un aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada en 1974 avec la reprise, sous le titre Seasons in the Sun par le chanteur canadien Terry Jacks, de sa chanson Le moribond. En 1966, Brel abandonna pourtant les tours de chant après une brillante carrière d’une dizaine d’années. Il n’en quitta pas pour autant le monde du show business. Il n’effectua plus de tournées s’enchaînant à un rythme infernal mais, chanteur et auteur-compositeur, il enregistra des disques. Il se consacra aussi au cinéma, et tourna en tant qu’acteur une dizaine de films, dont deux qu’il écrivit et réalisa. En 1968, il adapta et monta à la scène la comédie musicale L’Homme de la Mancha, où il interprétait le rôle de Don Quichotte, au côté de Dario Moreno dans celui de Sancho Pança, pour de longues et fatigantes représentations.

À Hiva Oa, le paisible village d'Atuona que Jaques Brel aimait tant. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>

Au service des habitants des Marquises

En 1973, cependant, s’étant découvert une nouvelle passion, la voile, il mit un terme à sa carrière de cinéma, acheta un voilier, l’Askoy, un ketch de 19 mètres pour 40 tonnes, et obtint son brevet de « capitaine au grand cabotage ». C’était le début d’une nouvelle vie qui allait le mener à entamer un tour du monde prévu pour durer trois ans… Lors d’une escale aux Canaries, on lui diagnostiqua malheureusement un cancer et il dut retourner à Bruxelles, en Belgique (d’où il est originaire), pour y subir une ablation du poumon gauche. Diminué, il n’en poursuivit pas moins sa croisière autour du monde mais décida de l’abandonner en arrivant aux Marquises où il trouva son nouveau port d’attache, dans l’archipel le plus éloigné de tout continent. À Hiva Oa, son éloignement de la vie trépidante du spectacle et son horreur des paparazzi n’ont pas pour autant converti Jacques Brel à une vie d’ermite silencieux. Il y a installé sa bibliothèque, un orgue, un magnétophone et il chante et écrit. Mais s’il est musicien, c’est aussi un fin cuisinier. Il reçoit de rares amis célèbres venus lui rendre visite, à l’instar du chanteur Henri Salvador, et accueille également à sa table de nouvelles connaissances rencontrées sur l’île. Dès son arrivée, avec un humour non dénué d’ironie, il ne manque pas de dire qu’il veut « bouffer du curé », un point commun avec son futur voisin de cimetière : Gauguin. Ce qui ne fait pas forcément bon genre sur une île dont la population est catholique à 90 %.

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Mais il sympathise avec les sœurs de la congrégation Saint-Joseph de Cluny, installée à Hiva Oa depuis 1885, et qui tiennent une pension de jeunes filles. Ce qui est l’occasion pour Brel de commencer à s’impliquer pour la vie de la commune. La population apprécie particulièrement ses talents de pilote d’avion. Brel avait en effet une autre passion que la musique et la voile. Dès 1965, il obtint une licence de pilote et entama en 1970 une formation « multimoteurs » et « vol aux instruments ». En novembre 1976, il achète un bimoteur, un Beechcraft Twin Bonanza qu’il baptise Jojo, en souvenir de son vieil ami Georges Pasquier disparu en 1974. Pour pallier à l’isolement des populations locales, notamment sur les îles desservies seulement par la mer, il entreprend de livrer le courrier et les médicaments et assure régulièrement des rotations entre les îles de l’archipel pour y déposer du matériel et quelques passagers. « Quel que soit le temps », rappelle Serge Lecordier, ancien directeur du Comité du tourisme d’Atuona, « dans la plus pure tradition de l’Aéropostale, il s’envolait, indifférent aux imprévisibles tempêtes du Pacifique ; l’un de ses plaisirs favoris étant d’aller se poser sur Ua Pou, sur une piste excessivement dangereuse », une piste étroite et en pente où les avions ne se posent qu’en venant de la mer, et décollent vers la mer, quelle que soit la direction du vent. Parfois, il se rend aussi à Tahiti (située à 1 500 km), un vol de plus de cinq heures avec ce type d’avion, pour effectuer des évacuations sanitaires.

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Un dernier grand succès avant son ultime voyage

Jacques Brel, malade, a découvert en l’île de Hiva Oa un lieu où il souhaitait « souffler », loin de l’agitation dans laquelle il s’était engagé à corps perdu pendant des années, présent sur scène comme si sa vie en dépendait. Avec sa dernière compagne, Maddly Bamy, actrice rencontrée en 1971 lors du tournage d’un film de Claude Lelouch, L’Aventure c’est l’aventure, il s’installe dans une maison située non loin du cimetière du village d’Atuona où est enterré le peintre Paul Gauguin. En 1977, à la surprise de tous, il propose un nouveau disque pour aider son producteur en difficulté et pour rendre hommage à sa terre d’accueil. Jacques Brel revient alors à Paris, le temps d’enregistrer son dernier 33 tours Les Marquises. C’est un succès, avec un record d’un million de précommandes et 300 000 exemplaires écoulés dans l’heure suivant la mise en vente. De retour sans attendre à Hiva Oa, il y retrouve la vie qu’il aimait. Il loue même un terrain, pour un bail de 30 ans, afin d’y construire une demeure à son goût. Mais six mois plus tard, en juillet 1978, lors d’un contrôle médical à Tahiti, un cancérologue lui diagnostique une récidive de son cancer du poumon. Il doit alors retourner en France métropolitaine pour se faire soigner. Son état s’améliore mais il décédera deux mois plus tard, le 9 octobre 1978. Non pas de son cancer, « mais d’une embolie pulmonaire consécutive à sa phlébite et… à la traque dont il avait été l’objet de la part des paparazzi… », rapporte Fred Hidalgo dans Jacques Brel, le voyage au bout de la vie. Il avait 49 ans. Il repose dans le même cimetière que Gauguin, l’un à droite l’autre à gauche du Christ en croix installé en son centre. Comme les deux larrons de l’Évangile. « … Les pirogues s’en vont / les pirogues s’en viennent / et mes souvenirs deviennent / ce que les vieux en font / veux-tu que je dise : gémir n’est pas de mise / aux Marquises ! »  

Claude Jacques-Bourgeat

Sur les hauteurs de Atuona, l'artiste avait acheté ce terrain exceptionnel pour y faire construire une maison et y passer ses dernières années. <a href="/philippe-bacchet-photographe">© P. Bacchet</a>
L’espace Jacques Brel et Jojo

À Hiva Oa, où le chanteur a vécu entre 1975 et 1978, un petit musée lui est dédié. L’Espace Jacques Brel, situé à Atuona, abrite Jojo, l’avion bimoteur que l’artiste utilisait pour ses déplacements personnels mais dont il faisait bénéficier la population de l’île. On peut admirer l’engin de près et découvrir divers objets lui ayant appartenu. C’est une équipe de bénévoles qui a sauvé ce Beechcraft Twin Bonanza récupéré in extremis sur le tarmac de l’aéroport de Tahiti-Faa’a alors qu’il allait servir de matériel d’entraînement pour les pompiers. Construit au Texas en 1956, arrivé en 1975 à Tahiti pour être exploité par la société Tahiti Air Tour Services (TATS), cet avion relativement petit pouvait emporter huit passagers. Il avait été acheté par Maddly Balmy pour le compte de Jacques Brel en novembre 1976. Après son décès, celle-ci l’avait vendu en juillet 1978 à la société de Robert Wan, Tahiti Perles, qui l’avait à son tour cédé à Tuamotu Perles, à Hikueru, en 1982. Passé ensuite au service d’Air Océania, il effectua son dernier vol commandé en 1988 et termina sa carrière dans un hangar, puis à l’air libre, sur l’aéroport tahitien de Faa’a après avoir été désaffecté. Sa carlingue désormais restaurée et repeinte, ses moteurs et les circuits hydrauliques remis en état, sa verrière refaite, Jojo est aujourd’hui exposé à l’Espace Jacques Brel, permettant de maintenir vivant le souvenir de l’artiste.

Renaissance de l’Askoy

© P. Bacchet

Brel aimait survoler l’archipel. Ici une vue aérienne de Hiva Oa. © P. Bacchet

En 1976, Jacques Brel vendit à un couple de jeunes Américains pour un prix symbolique le bateau qui l’avait amené aux Marquises. Celui-ci changea plusieurs fois de propriétaire avant de finir drossé sur les rochers d’une plage au nord d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Le fier ketch en acier de 19 mètres de long sur 5 mètres de large, amoureusement aménagé par Brel, était devenu une épave et a bien failli disparaître. C’était sans compter sur la détermination de deux frères flamands, Staf et Pitt Wittenvrongel, dont le père possédait une voilerie à Blankenberg, et à qui Brel avait demandé de refaire toutes les voiles de l’Askoy. En 2004, ils créèrent l’association sans but lucratif Save Askoy II (le nom originel du bateau, que Brel avait rebaptisé Askoy) pour un défi fou : tout d’abord sauver de l’oubli et du sable la coque de ce voilier dévorée par la rouille, puis le remettre en état et faire naviguer à nouveau le yacht tel qu’il était quand le chanteur est parti d’Anvers en 1974 pour son tour du monde. Échéance prévue de la mise à l’eau : le 8 avril 2019, date d’anniversaire de la naissance du « grand Jacques ».

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