Depuis une dizaine d’années les Polynésiens redécouvrent le cycle naturel annuel des temps anciens : l’alternance entre la période de disette, Matari’i i raro, de mai à novembre, et la saison d’abondance, Matari’i i ni’a, de novembre à mai. Une alternance marquée par le mouvement de la constellation des Pléiades.
Matari’i est le nom donné aux îles de la Société et aux îles Australes de la constellation des Pléiades. Mata pour « œil », ri’i pour « petit », Matari’i signifierait ainsi «les petits yeux». Cette constellation est connue et utilisée comme marqueur de temps dans tout le Pacifique – Sud, sa dénomination variant en fonction des particularités linguistiques des îles et archipels. Aux Marquises, elle est appelée Mata’iki. Signe des liens entre tous les peuples Polynésiens du Pacifique Sud, la dénomination Matariki est commune à l’archipel des Tuamotu et des Gambier en Polynésie française, mais aussi aux Iles Cook et la Nouvelle-Zélande. A Hawaï, autre grande terre polynésienne, les Pléiades sont désignées sous le terme Makali’i ou Makalii.
Précieux repère astronomique, l’apparition ou la disparition dans le ciel nocturne de cette constellation divisait l’année en deux grandes périodes distinctes, de six mois chacune environ. La première, baptisée Matari’i i ni’a, correspondait au lever des Pléiades. Elle débutait le 20 novembre (le 21 pour les années bissextiles), au moment précis où les Pléiades sont alignées avec le soleil couchant et la ligne d’horizon. La constellation reste ensuite visible jusqu’aux alentours du 20 mai, date à laquelle elle descend sous l’horizon dans le crépuscule du soir, disparaissant alors du ciel nocturne et ouvrant l’ère de Matari’i i raro.
Célébrations et rituels
Jusqu’à l’arrivée et l’installation des colonisateurs européens au tout début du XIXe siècle, l’ouverture de la période de Matari’i i ni’a, fin octobre, marquait donc le départ d’un cycle de célébrations et rituels de la plus grande importance car en prise avec les préoccupations les plus vitales des Polynésiens tant au niveau social que spirituel.
L’arrivée de la constellation au crépuscule coïncidait avec le début de la période d’activité rituelle des Arioi, une confrérie de baladins formés aux arts et divertissements, garante du patrimoine culturel et de sa transmission.
En décembre se tenait également, la fête des récoltes qui était aussi la célébration de l’arrivée des morts, comme l’explique Teuira Henry dans son ouvrage de référence, «Tahiti aux temps anciens» écrit à la fin du XIXe siècle : « Chaque année, dans tout l’archipel de la Société, était célébrée une fête nationale au moment de la récolte des premiers fruits de la terre. Cette fête s’appelait le parara’a matahiti (maturité de l’année). Cette saison se place en général entre la fin décembre et le début janvier. […] Pendant plusieurs jours des fêtes et réjouissances avaient lieu et à cette occasion les gens (…) demandaient à Romatane, dieu du Paradis, de venir partager leur joie avec les esprits de leurs amis défunts ». Les vivants pouvaient ainsi pleurer leurs morts.
Exubérance naturelle
Sous nos latitudes, la période de visibilité des Pléiades, de novembre à mai, correspond à la saison la plus humide et la plus chaude (les températures moyennes s’échelonnant entre 27°C et 30°C). Les averses sont plus fréquentes et importantes, déterminant une saison des pluies qui culmine en janvier – février. Chaleur tropicale et humidité constituent alors des conditions idéales pour le développement, voire l’exubérance, d’une grande partie de la flore, tels que fleurs, fruits, légumes et autres plantes à tubercule, qui étaient les bases de l’alimentation traditionnelle.
Matari’i i ni’a correspond également à la période de reproduction de nombreux poissons de récifs et de lagons, qui se rassemblent alors en bancs, ce qui en facilite grandement la pêche. Il n’est donc pas étonnant que cette période ait été associée, à celle de l’abondance au sein d’une société traditionnelle, grandement dépendante des ressources naturelles.
À l’inverse, durant l’hiver austral, de juin à octobre, le climat est plus sec et les températures moins élevées (appréciation toute relative en comparaison avec les hivers de des pays tempérés puisque la température moyenne est alors de l’ordre de 25 à 28° !). Dans les temps anciens, cette période était, toutefois, placée sous le signe de la pénurie, la nature étant moins généreuse. La venue de ces temps difficiles pour les populations insulaires, parfois frappées par des disettes en période de soudure entre les récoltes, était marquée avec précision par la disparition des Pléiades dans le ciel nocturne signifiant le temps de Matari’i i raro.
Nouvelle quête de sens
« Les cérémonies se concluaient encore une fois par des rites sur les marae [NDLR : Plate-forme construite en pierre où se tenait le culte ancien et des cérémonies à caractère social ou politique], des rituels destinés à faire accéder les morts au Rohutu-noa-noa (pays des morts ‘Arioi). Après quoi les ‘Arioi suspendaient leurs fêtes et se retiraient chez eux pour pleurer l’absence des dieux». Venus avec les morts à l’époque des premières cérémonies de l’année agraire, les Arioi repartaient donc avec eux à la fin de la saison de l’abondance, marquée, fin mai, par la disparition des Pléiades au crépuscule.
Avec la christianisation de la société polynésienne à partir du début du XIXe siècle, les fêtes entourant Matari’i i ni’a et son pendant Matari’i i raro, ont été lentement éclipsées aux profits des festivités apportées par la colonisation européenne comme la fête de Noël, la célébration de l’arrivée de l’évangile, etc.
La religion des anciens Polynésiens qui guidait et donnait un sens profond à ces festivités a fait place aux nouvelles croyances. L’importance des rites agraires s’est aussi estompée avec la modernisation de la société tout au long du XXee siècle. Mais au début des années 2 000, les Polynésiens ont souhaité redécouvrir ces festivités et leur signification profonde, témoignage du lien fort existant par le passé entre la société traditionnelle polynésienne et son environnement. Sous l’impulsion d’associations telle Haururu, des cérémonies et festivités ont vu le jour pour répondre à cette nouvelle quête de sens et d’identité.
Manon Hericher
Où regarder dans le ciel ?
Matari’i est un amas d’environ 200 étoiles qui apparaissent lors de la nouvelle lune (nuit sans lune) du mois de novembre, au moment du coucher du soleil. Elles sont particulièrement visibles juste au-dessus de l’horizon sur la côte est de Tahiti, à l’embouchure de la Papenoo, et sont présentes dans le ciel nocturne jusqu’à l’entrée en saison sèche.
Matari’i se trouve dans le prolongement de la ligne imaginaire reliant les trois étoiles centrales de Te uru Meremere (ou Orion) à Ana muri (Aldebaran, au pied d’un grand A majuscule).
Pour tout connaître des festivités des Pléiades, contactez:
L’association Haururu au 40 42 87 27 ou 87 79 83 83 ou sur haururu.farefenua@mail.pf
Pour toute autre information : www.heivanui.com, www.tahiti-tourisme.pf et www.maisondelaculture.pf

