Avec ses falaises abruptes, ses nombreuses baies découpées dans le relief d’anciens volcans, ou encore ses paysages montagneux, Nuku Hiva est d’une sauvage beauté qui ne peut laisser le visiteur indifférent. Cette terre unique est aussi riche de nombreux vestiges archéologiques de l’ancienne civilisation marquisienne. L’île est aussi la porte d’entrée des centaines de voiliers qui tous les ans pénètrent dans les eaux polynésiennes, en provenance du canal de Panama et de l’archipel des Galapagos. Découverte.
Située à 1 500 km au nord de Tahiti, Nuku Hiva est la plus peuplée des îles des Marquises.. Principale terre du groupe nord-ouest de cet archipel, avec ses 387 km2 de superficie, c’est aussi la seconde plus vaste des îles de la Polynésie française après Tahiti. Son relief tourmenté n’accueille pourtant qu’un peu moins de 3 000 habitants dont la majorité réside dans le village principal de Taiohae, sur sa côte sud. L’île est loin de représenter une destination dédiée au tourisme de masse. Mais c’est ce qui en fait son intérêt. À quelques 7 à 10° sud de l’équateur, l’archipel des Marquises est l’un des plus isolés qui soit. La côte continentale la plus proche est celle de Californie, à près de 5 000 km de distance. Sur une carte, il est figuré par un arc composé d’anciens volcans répartis en deux groupes distincts dont l’âge diminue du nord-ouest (5,5 millions d’années pour l’île d’Eiao) au sud-est (1,1 Ma pour l’île de Fatu Hiva). Plus jeunes que les îles qui constituent les autres archipels de la Polynésie française, les Marquises ont été formées à une époque relativement « récente » à l’échelle géologique.
Une culture ancienne originale
Du fait de son isolement, Nuku Hiva – comme les autres îles des Marquises – est restée longtemps vierge de toute occupation humaine. Des peuples austronésiens furent les premiers à s’y installer – dans le courant du premier millénaire – à la suite de différentes vagues de peuplement issues de l’Asie du Sud-Est. Une culture originale s’y est développée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. L’ensemble des îles de l’archipel partageait des mythes et des légendes communs. Ainsi, les six îles habitées de Te Henua ’Enana – c’est-à-dire la Terre des Hommes en marquisien du nord – reproduiraient les éléments d’une maison que construisit le dieu Oatea pour sa femme Atanua. Les deux piliers centraux sont représentés par Ua Pou. La longue poutre placée sur les deux piliers est Hiva Oa. Et Nuku Hiva en représente la charpente. Chaque île disposait toutefois d’une autonomie à l’origine de rivalités qui se traduisaient également de manière guerrière entre vallées au sein d’une même île.
De la quasi disparition à son « réveil culturel »
Cet héritage a pourtant failli disparaître. Le groupe nord-ouest des Marquises a été « découvert » en 1791 par l’Américain Ingraham, puis la même année par le Français Marchand. Au fil des décennies, au début de manière irrégulière, leur succédèrent baleiniers, marchands, missionnaires, déserteurs, santaliers à la recherche du précieux bois de santal… Dans le courant du XIXe siècle, une vague de mortalité dévastatrice consécutive aux maladies involontairement importées par les Occidentaux, à l’introduction de l’alcool et à celle des armes à feu dans les guerres tribales, puis de longues périodes de sécheresse et le marasme économique… ont vidé les vallées de leurs habitants. Jusqu’en 1925, date à laquelle une action sanitaire efficace inversa la tendance démographique à la baisse, l’archipel s’est dépeuplé dangereusement. À cette époque, on ne trouvait plus que quelques centaines d’habitants sur l’île de Nuku Hiva, en comparaison aux 12 à 30 000 estimés à la fin du XVIIIe siècle.
Nuku Hiva, l’île la plus importante du groupe septentrional, offre un relief escarpé qui n’est pas protégé par une barrière corallienne, à l’exception de quelques sites comme le récif frangeant de la baie d’Anaho. Cette particularité lui confère un aspect « sauvage » qui en fait toute la beauté. Ses côtes offrent ainsi l’aspect de hautes murailles coupées de profondes crevasses et de quelques plages que l’on découvre depuis la mer. Une route permet aujourd’hui d’accéder aux baies où sont implantés les quatre villages de l’île, et de découvrir les paysages magnifiques qui les surplombent. Elle permet aussi de traverser le vaste plateau arboré qui sépare l’aéroport et Taiohae, le village principal. Les vallées étroites et isolées qui barrent les chaînes de montagnes – le point culminant est le mont Tekao à 1 224 mètres – ne sont en revanche accessibles que par la mer ou par sentiers, ce qui donne l’occasion d’effectuer de mémorables randonnées pédestres ou à cheval.
Les nombreux vestiges archéologiques que l’on découvre sur Nuku Hiva sont encore là pour témoigner de l’organisation d’une société très structurée, en mesure de construire notamment des plateformes cérémonielles imposantes. Certaines, comme celles que l’on observe sur le complexe de Hikokua, peu avant d’arriver au village d’Hatiheu, ont été restaurées par les archéologues en charge de leur identification. De nombreuses autres toutefois sont encore à découvrir ou à mettre en valeur dans les multiples vallées de l’île. Places (tohua) de danses, de chants et de banquets, soubassements (paepae) des anciennes habitations, majestueux tikis de pierres taillées, marae (lieux de culte appelés ici mea’e)… ces structures, composées de blocs de pierre de taille parfois impressionnante, indiquent une organisation sociale élaborée. La culture marquisienne traditionnelle, dont Nuku Hiva affiche de nombreux vestiges, rayonna d’ailleurs dans le Pacifique. On pense ainsi aujourd’hui que les Marquises sont à l’origine du peuplement plus tardif de l’archipel de Hawaï – avec lequel elles partagent des similitudes linguistiques – et peut-être aussi de l’île de Pâques.
Aujourd’hui néanmoins, comme ses sœurs de l’archipel, celle que l’on appelle aussi « l’île mystique » renaît de ses cendres. Depuis 1987, un festival ayant comme objectif de revivifier la culture marquisienne se tient régulièrement sur l’une des trois îles principales de l’archipel. Nuku Hiva l’a accueilli en 1989, en 1999 et en 2011. Elle devrait l’accueillir à nouveau en 2020. Par-delà la blessure ancienne de la colonisation, ce « renouveau culturel » exprime une grande vitalité. L’île est aussi inscrite, au sein de l’ensemble de l’archipel, en tant que candidate sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO. L’archipel dispose en effet d’écosystèmes naturels exceptionnels, riches d’une biodiversité terrestre et marine remarquable liée à son isolement. S’y ajoutent des paysages naturels et culturels d’une incontestable valeur esthétique. D’ores et déjà, les Marquises répondent à six critères de la convention du patrimoine mondial. Trois pour le volet culturel et trois autres pour le volet naturel.
Une source d’inspiration pour des écrivains
Hiva Oa, la grande île du groupe sud-est de l‘archipel, est notamment connue pour avoir abrité les dernières années du peintre Paul Gauguin. Nuku Hiva n’est pas en reste en ce qui concerne l’attrait qu’elle a pu constituer auprès d’écrivains occidentaux de renom. L’île inspira le romancier américain Herman Melville. Son expérience de déserteur d’un baleinier forme la base de deux romans autobiographiques, Taïpi (Typee, en anglais) et Omo. Il y décrit notamment les conditions de vie des tribus indigènes durant la première moitié du XIXe siècle, avant la colonisation française. En juillet 1842, profitant d’une permission à terre, Herman Melville s’échappa dans la montagne qui surplombe la baie de Taiohae. Après cinq jours d’errance, il était accueilli pacifiquement mais gardé captif par une tribu de cannibales, les Taïpi. L’auteur de Mobby Dick parviendra à s’échapper en août et à rejoindre un baleinier australien en partance pour Tahiti. Le parcours de son équipée a pu être identifié et pourrait, à l’avenir, être organisé en tant que sentier de randonnée. Presqu’un demi-siècle plus tard, en 1888, l’écrivain Louis Stevenson abordait l’île avec le récit de son compatriote à l’esprit. Le navire à bord duquel voyageait avec sa femme l’auteur de L’île au trésor et Dans les mers du Sud, le Casco, restera plusieurs semaines ancré dans la baie de Taipivai.
Une nature spectaculaire
Des canyons vertigineux aux crêtes basaltiques qui cisaillent le paysage, Nuku Hiva offre de nombreuses possibilités de randonnée pédestre ou équestre. L’occasion de découvrir des paysages uniques où vivent une population accueillante et des animaux (chevaux, bovins, chèvres) en semi-liberté. On y trouve plusieurs cascades dont la cascade de Vaipo ou cascade d’Ahuii, dans la vallée Hakaui, qui avec ses 350 mètres de hauteur dévale dans un décor grandiose au sein d’une profonde faille du plateau de Toovi. La baie d’Anaho est également spectaculaire, vue depuis la crête qui surplombe le village de Hatiheu. Si l’île est très sèche sur le plateau de Terre déserte, qui accueille l’aéroport, sur sa façade sud, les vallées possèdent de nombreuses plantations d’arbres fruitiers (citrons, notamment), qui font la richesse de l’île, exportatrice vers Tahiti.
Des sites archéologiques remarquables
À Taioahe, le tohaa (place cérémonielle) de Temehea, en bord de mer, a été restauré pour le deuxième festival des Marquises, et celui de Koueva vers l’intérieur l’a été pour le cinquième, en décembre 1999. Des sculptures y ont été réalisées par des artistes de divers archipels et des habitats traditionnels reconstitués. La vallée de Taipivai, cadre du célèbre roman de Melville, Taipi (“Typee”), abrite un site remarquable par ses tikis de pierre. Un peu avant d’arriver à la baie de Hatiheu, plusieurs tohaa ont été restaurés, et des habitations traditionnelles y ont été reconstruites. À visiter également dans ce village, la « maison patrimoniale », petit musée dédié à la culture marquisienne.
L’histoire étonnante de Kabris, le tatoué
Enrôlé de force à treize ans sur un navire corsaire au service de la Convention, en 1793, le jeune Joseph Kabris est embarqué à seize ans dans une expédition de chasse à la baleine. À dix-sept, il fait naufrage aux îles Marquises, à Nuku Hiva. C’est là que débute l’aspect le plus étonnant de la vie aventureuse de ce marin bordelais qui la termina comme phénomène de foire en exhibant son corps tatoué de la tête aux pieds. Adoptant les us et coutumes de la tribu dans laquelle il avait échoué, suite à sa désertion – lui aussi d’un navire, mais 30 ans avant Melville – il avait épousé la fille d’un chef de l’île où il avait vécu durant une dizaine d’années. Retenu malgré lui sur un bateau russe ayant dû larguer les amarres suite à une tempête, il se retrouva à Vladivostok, traversa toute la Sibérie à pied, devint maître nageur du tsar et… espion de Napoléon à Saint-Pétersbourg.
