Après l’attaque de Pearl Harbor, les Américains entrent en guerre dans le Pacifique et cherchent une base militaire d’appui. Bora Bora est choisie en janvier 1942. Des années marquantes débutent; elles laisseront des traces dans la vie de l’île mais aussi de tout le territoire.
Le 7 décembre 1941 à Hawaii : 424 avions japonais attaquent les 88 navires américains de la flotte de guerre américaine du Pacifique dans la rade de Pearl Harbor. Les pertes sont très lourdes, mais l’effet psychologique sur le peuple américain est immédiat. Dès le lendemain, le président Roosevelt fait entrer son pays dans la seconde guerre mondiale. La mission n°1 est alors de protéger l’Australie et la Nouvelle-Zélande, bastions alliés du Pacifique sud désormais sous la menace d’une attaque japonaise. Quinze jours après le raid nippon, l’état-major US étudie le problème d’une base de ravitaillement dans cette zone du Pacifique. Fin décembre 1941, Bora Bora est choisie. Son emplacement est stratégique dans le Pacifique et son grand lagon intérieur, accessible par une passe unique, est facilement contrôlable. Surtout depuis septembre 1940, la Polynésie française s’est ralliée aux forces de la France Libre du général de Gaulle, se positionnant ainsi du côté des Alliés. Début janvier 1942, la demande américaine d’installation d’une base à Bora Bora est acceptée. Le 14 février 1942, le premier navire entre dans le lagon de Bora Bora, débarquant du matériel et les premiers GI. Suivront huit autres navires transportant près de 20 000 tonnes de matériels et environ 5 000 « crânes rasés », surnom donné à ces militaires qui feront la joie des quelques 1 200 habitants, seulement, que compte l’île. Le camp de base s’installe dans la localité de Vaitape et prend le nom de code de « Bobcat », terme anglais désignant le lynx d’Amérique du Nord… Désormais base militaire, Bora Bora est destinée à recevoir des hydravions mais aussi un dépôt pétrolier, de l’approvisionnement et une piste d’aviation. Pour les militaires, le chantier est d’envergure. Ils devront non seulement remédier au réseau routier insuffisant pour recevoir les véhicules lourds de l’armée américaine, mais aussi construire des quais maritimes, une usine de production d’électricité et une piste d’atterrissage sur un des motu de l’île. Mesurant 2 km de long pour 113 m de large, elle sera la première piste d’aviation de Polynésie française. Jusqu’en 1963 et l’ouverture de l’aéroport Tahiti Faa’a, elle restera d’ailleurs la seule à pouvoir accueillir des avions gros porteurs.
Un chantier d’envergure
Les forces américaines installeront aussi sur les hauteurs de l’île de grosses pièces d’artillerie pour déjouer d’éventuelles menaces nippones qui, heureusement, ne se présenteront jamais. Autre grand chantier : l’eau potable. À l’époque, les insulaires puisent leur ressource dans l’eau de pluie et des petits puits ; les Américains sont donc contraints de lancer des travaux de génie pour résoudre ce problème crucial. Durant cinq ans, l’opération « Bobcat » aura approvisionné en carburant 181 navires, et 193 autres en eau douce. Elle aura aussi permis de réparer 45 navires dont une dizaine pour de gros travaux. 1 200 navires auront été déchargés et chargés, ce qui représente 50 000 tonnes de fret. Cette logistique complexe, qui n’a pas été sans problèmes pour les Américains, leur a finalement servi d’expérience et permis d’éviter les mêmes erreurs pour l’installation d’autres bases. Sans avoir assisté à un seul combat, la base militaire « Bobcat » a officiellement fermé le 2 juin 1946. Les « crânes rasés » et les navires ont disparu au fur et à mesure de Bora Bora, redevenue alors une île calme et isolée. Mais elle ne restera pas sans traces de cet épisode qui marque une ouverture au monde sans précédent pour les habitants de l’île mais aussi pour ceux de l’ensemble du territoire. Il faut imaginer l’impact de la présence de ces milliers de militaires étrangers dans une île de 1 200 âmes et une Polynésie française ne comptant alors que 51 000 habitants…
Un homme va jouer un rôle clé dans cette période et plus tard dans le destin du pays : Francis Sanford. Alors jeune instituteur trentenaire, il représente les autorités de la France Libre auprès des forces américaines. Il se démène pour que cette « occupation » se passe au mieux. Un rôle précieux qui lui vaut d’être décoré de la prestigieuse « médaille de la Liberté » par les militaires américains. Après avoir été jusqu’en 1955 à la tête de l’école de Faanui, un des districts de l’île, Francis Sanford va devenir un homme politique d’envergure, un metua, (« guide » en langue tahitienne). Il est un des principaux artisans de l’émancipation politique du territoire par son rôle dans la création d’un premier statut dit « d’ autonomie » dès 1977. Autre effet non moins important, le séjour des militaires dans des conditions plutôt agréables voire décontractées, loin des funestes combats de la guerre du Pacifique, va contribuer grandement à la notoriété de Bora Bora auprès du public américain par les récits et témoignages. L’île devient le symbole des paradis exotiques du Pacifique sud à la douceur de vivre inégalée. Une fascination et une réputation demeurées intactes 70 ans plus tard.
Suliane Favennec.