Au cours des grandes festivités du Heiva I Tahiti, le concours de chants & danses est le plus grand rendez-vous annuel du Ori Tahiti, la danse tahitienne. Présenter un spectacle à ce prestigieux événement est une entreprise humaine et artistique hors du commun. Découverte de cette aventure avec Manahau, un groupe ayant participé à l’édition 2010 et récompensé de plusieurs prix.
Au commencement, se trouve une page totalement blanche. Pour les groupes, le défi réside dans la création d’un spectacle complet avec un thème, des textes, des musiques, des chants, des chorégraphies et un vaste ensemble de costumes. Tout cela en quelques mois seulement et en s’appuyant sur des danseurs, musiciens, auteurs et compositeurs qui ne sont pas des artistes professionnels. Ils ne vivent donc pas de leur art.
A la base de cette aventure, se trouve toujours la figure charismatique du chef de groupe, ra’atira pupu, en Reo Tahiti, la langue tahitienne. Des personnalités connues et reconnues en Polynésie française et dont les noms jalonnent l’histoire du Ori Tahiti et de son temps fort, le concours de Chants & Danses du Heiva I Tahiti. Comme les autres chefs de groupe, Jean-Marie Biret, fondateur de Manahau, doit être, à la fois, un créateur et un leader capable de mobiliser toutes les énergies nécessaires à la réalisation d’un spectacle impliquant une centaine d’artistes. Jean-Marie Biret se plaît à évoquer la «tribu» Manahau, une référence à ses terres natales, la Nouvelle-Calédonie, archipel de Mélanésie, situé au nord-est de l’Australie, où la tribu a été et est, encore, un des fondements de l’organisation sociale. Sous son impulsion «la tribu» Manahau s’est donc jetée dans l’aventure.
Le temps de la création
L’élaboration d’un spectacle est un processus complexe. Les groupes doivent effectuer une gestuelle et des déplacements chorégraphiques précis appartenant au patrimoine polynésien : ote’a, aparima, pa’o’a, hivinau etc…Toute la difficulté est, à partir de ces « figures imposées», de créer un spectacle nouveau et original.
Dans le cas de Manahau, les chorégraphies et mouvements ont été, dans un premier temps, créés et développés en comité restreint avec le chef de groupe et ses danseurs les plus chevronnés. Ces initiés se sont ensuite fait répétiteurs enseignant à leur tour aux autres danseurs. Parallèlement, l’orchestre a travaillé de son côté à l’ensemble des créations musicales.
Après cette phase de création tout azimut, est venu le temps des répétitions avec des effectifs de plus en plus importants. Il durera plus de trois mois. Seront alors travaillés les mouvements d’ensembles et les placements. Sur l’île de Tahiti, plus d’une dizaine de groupe répètent alors s’installant dans les rares espaces disponibles : hall de mairie, cours et préaux d’établissements scolaires, voire parking… A la tombée du jour, dès les mois d’avril, les toere, des percussions traditionnelles résonnent alors un peu partout marquant cette période si particulière de préparation du Heiva I Tahiti
Au cours des dernières semaines avant la date fatidique, fin juin à début juillet, le travail s’est intensifié. Les répétitions de deux à trois heures se sont accumulées au rythme de cinq par semaine. C’est alors un moment difficile pour les membres du groupe qui doivent donner beaucoup de temps et d’énergie. Parallèlement, les orchestres ont peaufiné leur prestation et l’élaboration des costumes a démarré. Chaque spectacle en présente un minimum de 4 ou 5 différents par danseur, c’est dire l’ampleur de la tâche ! Les plus élaborés sont le «grand costume» et le costume dit «végétal». Les contraintes sont nombreuses car ils doivent obligatoirement être confectionnés à partir de produits végétaux fraîchement cueillis ou secs. De plus, les accessoires ou ornements doivent provenir de l’environnement naturel polynésien. Si certains groupes utilisent des équipes dédiées à ce travail, pour Manahau, la réalisation des costumes par les danseurs faisait partie de l’apprentissage et de la mise en condition pour le spectacle. L’intérêt était également de transmettre les connaissances et les savoir faire aux nouveaux venus de la troupe «Certains ne connaissaient même pas les plantes que je les envoyais chercher dans la montagne, explique Jean-Marie Biret. Ils ont dû tout apprendre !»
Unité et diversité
A la base, Manahau est un groupe soudé et expérimenté constitué d’une trentaine de danseurs et musiciens. Mais il a fallu largement l’étoffer pour se présenter au concours de Chants & Danses. Son règlement impose la présence minimum, de 80 participants dont 60 danseurs, feia ori en Reo Tahiti, 12 musiciens, rohi upa, et 1 chef d’orchestre ra’atira upa. Pour son spectacle, Manahau a mis la barre encore plus haut, présentant sur scène 115 artistes dont plus de 80 danseurs et danseuses. Pour parvenir à tripler, les effectifs, les membres de la troupe sont partis en quête de nouvelles recrues. La notoriété, déjà bien établie, du groupe et la perspective d’une participation au Heiva I Tahiti ont amené d’autres artistes à se joindre à l’aventure, qu’ils soient musiciens ou danseurs.
Manahau a également rassemblé des danseuses et danseurs dont c’était la première participation à un spectacle public. Ils ont composé une bonne partie des effectifs ! Leur intégration et leur formation ont constitué un défi supplémentaire à relever. L’ensemble a constitué un beau reflet de la société polynésienne dans toute sa diversité. Loin d’être le domaine exclusif d’une composante de la population, le Ori Tahiti rassemble maintenant toutes les identités : les Polynésiens dits «de souche» à l’enracinement séculaire dans les îles ; les «Demis»,comme sont surnommés les Polynésiens métisses issus de la rencontre entre premiers arrivants extérieurs et Polynésiens ; les membres de la communauté d’origine asiatique installés à Tahiti depuis plus de 150 ans; et, également, des nouveaux venus en Polynésie française, principalement en provenance de la France métropolitaine.
Tous en scène !
Dans les derniers jours et dans les dernières heures, la préparation se transforme en course contre la montre ! La répétition générale sur la scène de la place To’ata à Papeete contribue grandement à faire monter la pression. Les derniers détails et, particulièrement, la finalisation des costumes s’effectuent même à la dernière seconde dans la frénésie des coulisses. Pour l’ensemble des participants, l’émotion est immense car, enfin, le fruit de leur travail va être dévoilé. Une émotion d’autant plus grande que le concours de Chants & Danses déchaîne les passions. Chaque année, le palmarès et les prix sont sujets à de nombreux commentaires et vifs débats. Mais pour les danseurs, le moment du spectacle est, avant tout, l’aboutissement des efforts consentis et ce moment intense de confrontation avec le public. On pourrait, ici évoquer les paroles de la grande danseuse Isadora Duncan qui déclarait à propos de ses élèves : «Je ne leur apprenais pas à danser, mais j’ouvrais un chemin à l’esprit de la danse qui se répandait sur elles». En cette soirée du vendredi 16 juillet 2010, lorsque Manahau est rentré sur scène, l’esprit de la danse était bien là.
Manahau
Créé par Jean-Marie Biret en 2001, ce groupe de danse a toujours été en quête d’originalité. Son nom est issu de l’adjonction du tahitien mana, notion complexe faisant référence à la force, le pouvoir et, hau, la paix, la sérénité. Pour sa première participation au Heiva I Tahiti, cette année, les efforts de Manahau ont été nettement récompensés de plusieurs prix : celui de la meilleure danseuse pour la prestation de Aruhoia Biret, le prix spécial pour le ote’a vahine (une danse d’ensemble exécutée exclusivement par les danseuses) et, aussi, un prix spécial pour le meilleur ute are’area (chansonnette satirique).
Concours de Chants & Danses du Heiva I Tahiti
Place To’ata – Papeete – Ile de Tahiti – début juillet
Chaque année au cours de la première moitié du mois de juillet, ce concours de Ori Tahiti, la danse tahitienne est, indéniablement, le temps fort des grandes festivités du Heiva I Tahiti. Au cours des soirées, des groupes venus de toute la Polynésie française présentent leur créations pour décrocher les très convoités prix. L’occasion de découvrir le meilleur du ‘Ori Tahiti, et des chants traditionnels, les himene.