Perles de Tahiti,
Aux sources de sa beauté
Gemme rare et précieux présent dans quelques lagons de nos îles seulement, la perle de culture de Tahiti est le fruit d’un patient travail humain et de conditions environnementales uniques. De cette rencontre difficile et rare naîtra ce prodige naturel. Plongée dans cette genèse si complexe.
Il semble que l’huître perlière ait été connue des Polynésiens bien avant l’arrivée des Européens. Ils en utilisaient la nacre sous forme d’armes ou d’ornements. Lorsqu’ils avaient le rare bonheur de découvrir une perle naturelle, ils la conservaient précieusement dans de petits sacs en fibre végétale. Elle venait ainsi enrichir le patrimoine de son heureux propriétaire, sans toutefois lui servir de monnaie d’échange car elle était considérée comme un cadeau des dieux.
N’étant pas en mesure de la percer ni de la sertir, ils ne pouvaient que garder précieusement la perle et la contempler en la sortant du sac qui lui servait d’écrin. Toutefois, une (et à fortiori plusieurs) belle perle noires augmentait considérablement le prestige de son heureux possesseur.
Si ce sont les chinois qui inventèrent la perle de culture, le procédé de greffe et les techniques d’élevage sont,eux, ramenés en Polynésie française du Japon par le français Jean-Marie Domard en 1960. En 1962, il réussissait à greffer plus de cinq mille huitres. Trois ans après il obtenait plus de mille perles de très haute qualité. La perliculture polynésienne était née ! Aujourd’hui, les activités liées à la perle représentent une part non négligeable de l’économie polynésienne. La perle de culture de Tahiti est utilisée par les plus grands joailliers de la planète et représente un élément clef de l’image de la Polynésie à travers le monde.
Le lagon, un univers délicat et fragile
Pour que l’huître pinctada margaritifera puisse se développer et offrir aux hommes ce fabuleux trésor qu’est une perle, qu’elle soit naturelle -appelé aussi perle fine- ou de culture, il faut l’eau calme et claire d’un lagon. Une condition nécessaire mais néanmoins pas suffisante car, par exemple, les lagons fermés (c’est à dire sans passe communiquant avec l’océan) ne permettent pas son développement. La salinité et la température de l’eau ont tendance a dépasser les seuils permettant le développement normal de l’huitre. Est également indispensable, la « pauvreté » particulière des eaux de Pacifique Sud en phytoplanctons et en sel. D’ailleurs, cette pauvreté est l’élément entre autres choses responsables de la grande transparence de l’eau et donc des couleurs si spécifiques des lagons polynésiens. Jouent aussi un rôle les courants provoqués par le mouvement des marées entrant et sortant du lagon par les passes, la profondeur et la nature des fonds de ces lagons. Enfin, pour se développer dans des conditions optimales, l’huitre perlière naturelle a besoin d’un support rocheux qui lui fournit son ancrage pour résister au courant en même temps que des apports nutritifs importants.
Le milieu naturel ou se développe l’huitre perlière de Polynésie est donc un écosystème d’une fragilité extrême. Ainsi, un écart de deux ou trois degré dans les températures moyennes de l’eau mettrait en grand danger l’ensemble des espèces animales et végétales qui peuplent les lagons. Il va de même pour ce qui est de la montée des eaux annoncée par les spécialistes de l’environnement. Quelques centimètres d’eau en plus, et la barrière de corail ne remplirait plus son office de protection naturelle, permettant à la houle de se déverser directement dans le lagon, détruisant irrémédiablement l’ensemble de l’écosystème si ce remplissage anormal se révélait trop fréquent. Enfin, la pollution due aux hommes présente également un risque majeur pour le si fragile équilibre des systèmes lagonaires.
Perliculteur, un métier pas comme les autres
Produire un perle signifie suivre toutes les étapes suivantes : Produire les naissains, les collecter et les amener à maturité, greffer les huitres adultes, les suivre et les entretenir pendant toute la période maturation et enfin récolter les perles. L’ensemble de ce processus de production demande plus de quatre ans d’un dur travail. D’une manière générale les naissains, sortes de chapelets d’huitres très jeunes, ne sont pas produits par les perliculteurs eux-mêmes mais par des producteurs spécialisés. Ce travail consiste à collecter les larves d’huitres dans des zones de pleine eau puis d’élever ces larves jusqu’à ce qu’elles deviennent de jeunes bivalves.
Le premier travail du perliculteur va consister à préparer ces naissains pour les amener à maturité. C’est l’étape appelée élevage. Les jeunes huitres sont en général fixées en chapelet sur des filières qui sont elles-mêmes plongées dans l’eau à la bonne profondeur et dans des zones soigneusement sélectionnées du lagon.
Les huitres sont fixées tous les trois à cinq centimètres sur ces filières d’une longueur maximum de 1,90 mètre. Sous la surveillance constante des plongeurs de la ferme, elles restent là jusqu’à ce qu’elles atteignent la taille nécessaire pour pouvoir être greffées, soit environ au bout d’un an. Cette surveillance est indispensable car les nacres sont fragiles et nécessitent d’être régulièrement nettoyées des algues et autres parasites qui se fixent sur leur coquille.
Naissance d’une perle de Tahiti
En réalité, la perle est le fruit d’un processus naturel de défense de l’huitre. Une perle naît lorsqu’un grain de sable vient à pénétrer dans la coquille de l’huitre. Celle-ci va alors le recouvrir de couches successives de nacre jusqu’à ce que l’intrus en soit entièrement recouvert, ce qui prendra des années, mais il sera devenue partie intégrante du bivalve. A l’état naturel, ce phénomène se produit très rarement. Pour récolter une seule perle naturelle, il faut, en moyenne, collecter 15 000 huîtres perlières tant la probabilité de ce phénomène est rare. Ce qui explique donc pourquoi les perles naturelles ont dans toutes les sociétés représenté un bien si précieux. Mais aujourd’hui, toutes les « vraies » perles vendues dans le monde sont des perles dites de culture. Le principe consistant à introduire artificiellement le « grain de sable » afin d’obliger l’huitre à produire de la nacre, et donc une perle.
Outre que l’huître de perliculture est élevée, surveillée et soignée durant toute sa croissance et sa période de production, deux éléments essentiels différencient les perles naturelles des perles de cultures. Le premier, fondamental pour la taille et la forme de la perle, est le remplacement du grain de sable naturel par un nucléus. Il s’agit d’une bille parfaite réalisée à partir de la coquille d’un mollusque bivalve vivant exclusivement dans les eaux du Mississipi que l’on introduit manuellement à l’intérieur de l’huître. Le deuxième est l’introduction dans l’huitre d’un greffon. Il s’agit d’un éclat de nacre prélevé dans une autre pinctada margaritifera et soigneusement sélectionné pour sa couleur, car c’est lui qui déterminera la teinte et les reflets de la perle achevée. Il est à noter que si, depuis quelques années, d’autres pays, comme le Japon et la Chine notamment, produisent des perles noires de culture, seule la perle de culture de Tahiti vient naturellement parée de cette robe si particulière qui la rend unique.
Vient alors la phase cruciale de la greffe. Il faut sortir les huitres de l’eau, les nettoyer, les entrouvrir une à une, y introduire le nucléus et le greffon, puis les refixer sur leur support et les remettre à l’eau. Ce métier de greffeur nécessite un savoir faire et des compétences indiscutables car de la qualité de son travail dépend le pourcentage de réussite de la récolte.
Ainsi, après plus de cinquante mois d’efforts intenses, on estime que sur deux cents huitres élevées, cent atteindront le stade de la greffe. Sur ces cent, seules moins de trente donneront une perle vendable. Et sur ce nombre, il n’y aura pas plus de 3% de perles réellement très belles ou parfaites. Ce sont ces chiffres qui expliquent la rareté de la perle de culture de Tahiti.
Les nacres ayant donné les plus perles sont de nouveau greffées, mais avec un nucléus de plus gros diamètre. Une même huitre peut ainsi donner, au maximum pour les spécimens les plus productifs, jusqu’à trois ou quatre perles successivement. Pour les autres, une partie des nacres est utilisée par l’artisanat local, que ce soit en bijouterie ou par les artisans fabricants de « curios ».
L’avenir de la perle noire de Tahiti
La perliculture est, aujourd’hui, l’une des ressources principales de la Polynésie française. Elle emploie environ sept mille personnes réparties, pour l’essentiel, entre les archipels des Tuamotu, de la Société et les îles Gambier. Après avoir débuté avec moins de deux kilos en 1978, en 2005 la production a atteint les cinq tonnes de perles. L’essentiel en est exporté vers l’Asie et les Etats-Unis après des ventes aux enchères en Polynésie française et à Hong-Kong.
Cependant des menaces environnementales pèsent, aujourd’hui, sur la perliculture polynésienne. Le réchauffement des eaux de l’océan représente un risque majeur pour toute la filière. Mais la montée des eaux (dont personne à ce jour ne peut réellement prédire l’ampleur) menace aussi tous les systèmes lagonaires des atolls, et donc les fermes perlières au premier chef. Il n’en reste pas moins que la perle noire de Tahiti fait toujours rêver et qu’elle pare toujours avec bonheur le cou et les oreilles des plus belles femmes du monde…
Julien Gué
La perle noire à la loupe
Les critères qui définissent une perle noire de Tahiti sont en principe très stricts : les nucléus utilisés mesurent de 4 à 12 millimètres de diamètre, selon la taille et la qualité de la perle que l’on veut obtenir. La couche de nacre elle, ne pourra jamais être inférieure à 0,8 millimètres. Si ces critères sont respectés ; les perles sont triées en fonction de leur degré de perfection. Toutes celles qui présentent des défauts de forme ou de la qualité de la nacre sont écartées et détruites afin de maintenir l’exigence de qualité. Les perles sélectionnées sont ensuite triées par lot de taille, de qualité, de couleur et de beauté différentes. Seules ces perles dument sélectionnées et répertoriées sont proposées
La perle dans la mythologie polynésienne
Pour la mythologie polynésienne, les perles furent les premiers écrins de lumière offerts par le Créateur à Tane, Dieu de l’ordre et de la beauté. Celui-ci en fit les étoiles avant de les envoyer à Rua Hatu, Dieu de l’océan, pour qu’il puisse éclairer son domaine.
Plus tard, le dieu ORO, divinité tutélaire de la guerre et de la paix, les offrit aux femmes humaines qu’il convoitait. A l’achèvement de son œuvre, il confia la matrice de ces merveilles, l’huître perlière, « Te ufi », aux humains pour qu’ils n’oublient jamais son passage sur terre.
Depuis, « Te ufi » de l’huître « pinctada margaritifera » prospère dans les lagons de la Polynésie française. Ce trésor, secret des îles de corail, a longtemps été considéré comme un symbole royal. Symbole de transcendance, la tradition reconnait en l’huitre perlière la représentation de la matrice universelle renfermant les forces magiques et créatrices, la perle étant l’œuvre parfaite.