Raivavae, l’idéal polynésien
Dans l’archipel des Australes, cette île dévoile tous les charmes d’une Polynésie préservée et authentique. Un voyage inoubliable dans la perfection.
À quelque 630 km au sud-est de Tahiti, Raivavae se trouve au cœur de l’archipel des Australes. Réparties de part et d’autre du Tropique du Capricorne, ses cinq îles hautes s’étendent au Sud de Tahiti sur un arc qui les place à une distance de 600 à 1300 km de l’île principale de la Polynésie française. Elles offrent un climat plus frais que celui des archipels plus septentrionaux, comme la Société. À Raivavae, la température peut y descendre à 15 °C en juillet, lors de l’hiver austral. Le ciel est alors souvent couvert. Les vents, surtout du Sud, y sont aussi plus soutenus et plus variables que dans les autres archipels. À noter que ce climat favorise une gamme de productions agricoles variées, particulièrement des cultures maraîchères. Avec son sommet accessible – à 437 m d’altitude – et sa trentaine de motu, Raivavae possède un petit aéroport depuis une douzaine d’années à peine. À l’écart des circuits touristiques habituels de la Polynésie française, elle s’ouvre progressivement à une forme d’éco-tourisme tout à fait adapté à sa taille et à sa population, près de 1000 habitants. Il faut aujourd’hui un peu moins de deux heures, par vol direct, pour y accéder. Et pourtant, quel contraste avec Papeete !
Une culture ancienne
Mesurant 9 km de long pour 3 km dans sa partie la plus large, l’île est enclavée dans un lagon peu profond, ouvert au Nord par une passe très large. Seule une moitié de ce lagon est cerclée de motu, îlots de sable d’un blanc immaculé, recouverts d’une végétation qui contraste avec celle des atolls des Tuamotu, les cocotiers y étant peu nombreux. Une chaîne de monts escarpés – restes du volcan originel aujourd’hui en partie effondré – court « en s » au milieu de l’île, avec son point culminant, le mont Hiro, du nom du mythique héros des temps anciens. Avec leur végétation rase, composée d’herbes et de fougères, ces sommets contrastent avec le reste de l’île qui accueille des forêts denses au sein desquelles les habitants ont planté des arbres fruitiers et développé des tarodières.
L’amorce d’un éco-tourisme
La quasi-totalité des objets en bois anciens qui n’ont pas été détruits à partir du XIXe siècle ne sont malheureusement plus sur l’île. Ils ont été rassemblés dans des collections privées ou déplacés dans des musées comme le British Museum à Londres où l’on peut admirer une réelle maîtrise dans la fabrication d’objets aussi divers que raffinés : sculptures, coupes, objets cérémoniels… Pagaies sculptées et tambours (pahu) de Raivavae sont mondialement réputés. Bien guidé, il y a toujours la possibilité de visiter quelques-uns des vestiges architecturaux de cette époque révolue et de découvrir quelques-unes des légendes liées à tel ou tel lieu remarquable. Une initiative récente – la collaboration dynamique entre une association de l’île, l’association Te Ui Tama No Ragnivavae, et une association genevoise – est à remarquer. Depuis quelques années, plusieurs groupes de visiteurs suisses sont ainsi venus découvrir Raivavae, ses traditions et de son mode de vie. Un artisanat très vivant occupe en effet nombre d’habitants de l’île, notamment pour la confection de colliers de coquillages, le tressage de chapeaux et la confection de tifaifai (patchwork polynésien).
Une histoire mouvementée
Si l’île semble si tranquille aujourd’hui, offrant même un havre de paix au visiteur, il n’en a pas toujours été ainsi. On a retrouvé à Raivavae des fortins juchés sur des sommets. Il s’agit de fortifications semblables à celles d’une île voisine, Rapa. Une indication que la guerre y avait été érigée en mode de fonctionnement à certaines époques de la période pré-européenne. Au début du XIXe siècle, alors que l’influence anglaise ou française n’était pas encore arrivée dans l’archipel, l’île était d’ailleurs confrontée à la rivalité de clans. Il fallut l’autorité de Pomare II, venu de Tahiti et déjà allié aux Anglais, pour convaincre les belligérants de cesser leur combat fratricide.
Christianisation
Ces expressions originales furent naturellement éradiquées après la conversion de l’île au christianisme puritain de la London Missionary Society, soucieux de faire disparaitre toute trace d’ancien culte. Dépendant de la couronne de Tahiti, l’île passa ensuite sous protectorat français le 9 septembre 1842 à la demande de la reine Pomare IV et La France l’annexa le 28 juin 1880. S’il fut bénéfique par certains aspects, le contact avec l’Occident eut aussi des conséquences dramatiques. À la suite du mouillage de quelques navires européens dès les années 1820, les Australes – et donc Raivavae – furent ravagées par des épidémies, les populations n’étant pas immunisées. Ce sont donc des sociétés exsangues, en état de choc, qui se sont converties au christianisme, sur fond de détresse des survivants. Les épidémies n’ont pas manqué d’être présentées comme un châtiment divin en même temps que la preuve de l’inefficacité des divinités païennes à assurer le bien-être et la survie des populations.
Tel un joyau émeraude
Les quatre villages principaux de l’île, Rairua, Mahanatoa, Anatonu et Vaiuru, sont reliés par une étroite route de ceinture de 24 kilomètres que l’on parcourt sans difficulté à bicyclette. À peine croise-t-on de temps en temps une voiture sur cette piste bétonnée qui offre encore une section en soupe de corail. Les maisons, avec leurs teintes pastel, sont souvent dissimulées par une végétation abondante. L’île n’est pourtant pas déserte. Le dimanche, rassemblés dans les temples à l’occasion du culte, ses habitants démontrent la forte cohésion sociale qui anime cette communauté insulaire christianisée au début du XIXe siècle mais restée longtemps isolée, à l’instar des autres îles de l’archipel. Tel un joyau émeraude posé sur la surface de l’océan, Raivavae est dominée par une chaîne de petits sommets culminant à un peu plus de 400 mètres d’altitude. De loin, si on l’aborde sous un certain angle, sa silhouette peut évoquer celle de Bora Bora. Ses motu n’ont rien à lui envier non plus. Aucun hôtel ne s’y est installé, mais une demi-douzaine de pensions de famille accueillent les touristes curieux de découvrir une Polynésie encore proche de celle que l’on pouvait découvrir il y a une trentaine d’années.
Occupée, depuis un millénaire, par des populations polynésiennes – venues des Cook Island ou des Tuamotu – l’île ne fut « découverte » par les Européens qu’au XVIIIe siècle ; en 1775 très exactement, par le navigateur espagnol Thomas Gayango. Dans les années 1820, les habitants se convertiront au christianisme très strict du protestantisme anglais importé en Polynésie par les missionnaires de la London Missionary Society (LMS). Du fait de cette conversion, de nombreux sites sacrés, marae et statues, furent détruits. À la même époque, une terrible épidémie décima aussi la population, dont tous les vieux sages, prêtres et autres tenants de la culture ancestrale. Ces deux événements contribuèrent à l’effacement progressif de la mémoire collective. Aujourd’hui pourtant, après plusieurs décennies d’acculturation, leurs descendants redécouvrent cette culture originelle.
C’est aussi la seule île de Polynésie française où perdure la construction de pirogues cousues. La pêche au bénitier est également une pratique très originale, rendue possible par le stock important de ces mollusques dans le lagon. À Raivavae, on fabrique encore le café selon des méthodes artisanales. On y concocte aussi un édulcorant très apprécié, réalisé à base de racines de Ti (Cordilyne terminalis), après une très longue cuisson et la récupération de leur jus. Enfin, si l’île n’exporte plus oranges ni café, comme il fut un temps, et si on ne vient plus y chercher le santal, son climat bénéfique à la fois aux plantes des zones tempérées et tropicales, permet aux habitants d’y créer de luxuriants potagers et vergers. Taro et manioc, mais aussi carottes, pommes de terre, choux et salades voisinent avec caféiers, orangers, cocotiers, bananiers, vanille, ananas, ou avocatiers. Cette abondance favorise l’autosubsistance de nombreuses familles. Elle fournit aussi, avec les produits de la mer, les tables des pensions de famille.
Mais ce « protectorat » signa l’arrêt de la civilisation traditionnelle de l’île, originellement appelé Vavitu. Pomare la débaptisa, lui attribuant le nom de Raivavae, ce qui signifie « ciel ouvert » et explique la véritable orthographe du nom de l’île, aujourd’hui peut utilisée, Ra’ivavae, ra’i signifiant ciel en tahitien. Dans les temps anciens, l’île était donc gouvernée par des règles religieuses et séculaires strictes. Mais les témoignages rapportent aussi qu’il s’agissait d’une population en pleine forme physique ayant développé de multiples manières d’exprimer la beauté et la santé de ses hommes et de ses femmes. On y pratiquait également une sexualité très développée – dans le cadre d’un érotisme religieux – qui était devenu, avec l’art de la guerre, l’un des deux piliers de la société ancestrale de l’île.
Les étranges ti’i de Raivavae
Il reste à Raivavae un étonnant ti’i (tiki), qui présente une face rieuse. Il est aujourd’hui bien seul. Trois autres ont été emportés à Tahiti, en 1933. De nos jours, après plusieurs transports auréolés de malédiction, deux d’entre eux se trouvent à Tahiti au Musée Gauguin de Papeari (le troisième a coulé, il fut repéré en 2004 par l’Armée dans le lagon de l’île). Hautes de plus de deux mètres, ces sculptures monumentales dont la forme évoque un être humain, devraient pouvoir être rapatriées sur leur île d’origine, à la demande des habitants. Mais les conditions scientifiques de leur conservation doivent être réalisées. À ce jour, plus de 600 structures (marae, structures d’habitation…) ont été répertoriées à Raivavae. Pour mémoire, 16 marae ont été classés. Un programme de restauration et de mise en valeur doit être mis en place, avec l’accord de la population, pour une meilleure visibilité.
L’ascension du Mont Hiro
Montagnes de velours vert sombre, pentes couvertes de fougères accrochant parfois des lambeaux de nuages, plusieurs sommets – restes émergés d’un ancien volcan – se succèdent tout au long d’une chaîne qui serpente dans la longueur de l’île. Parmi eux, le mont Hiro (437 m), domine toute l’île. Celui-ci est bordé au nord par de grandes falaises aux à-pics vertigineux où nichent plusieurs espèces d’oiseaux marins. Des chèvres semi-sauvages, effarouchées, s’enfuient aussi en bondissant agilement dans les rochers. Son ascension ne présente pas de difficultés particulières. Elle nécessite cependant une bonne forme physique et deux bonnes heures de montée continue pour parvenir au sommet. Mais la récompense est au bout du trajet. Un panorama à 360° permet de voir l’île dans son ensemble.
Le Motu Vaiamanu : « le motu piscine »
Un lagon dans le lagon. Presque totalement cerclée de sable blanc, une cuvette naturelle est située au sein du motu Vaiamanu. Les habitants appellent ce lieu le « motu piscine ». De grandes étendues vierges, près de 2 km de plages bordées d’une végétation insulaire où, curieusement, l’on ne trouve que très peu de cocotiers… Avec ses bleus tirant de l’indigo au turquoise, ce lieu est l’incarnation même de la carte postale, telle qu’on l’imagine en pensant aux îles polynésiennes. Au loin, l’île de Raivavae inscrit sa silhouette sur le ciel au gré des changements de lumière.
Un artisanat très vivant
Les îles Australes sont réputées pour le savoir-faire et l’habileté manuelle de leurs habitants. On y trouve un artisanat de tressage inégalé, que les mama, véritables artistes, préparent à base de toutes sortes de fibres végétales : chapeaux, nattes, paniers et autres articles. Mais Raivavae est aussi connue pour la confection de ses colliers en petits coquillages, récoltés sur les motu et fruits d’un énorme travail de patience pour le tri de leurs couleurs. À l’origine d’une pension qui vient d’ouvrir, décorée de son travail, on y rencontrera aussi Clarisse Paulin. Une talentueuse artiste créatrice de tifaifai, plusieurs fois primée lors de salons à Tahiti. Elle a hérité des gestes de plusieurs générations de femmes de l’île (ses mère, grand-mère et arrière grand-mère) et joue avec les motifs de tissus qu’elle découpe et coud sur ces grands patchworks typiquement polynésiens : feuilles, animaux marins, lézards…
L’hébergement
Il n’y a pas d’hôtel sur l’île de Raivavae, mais une demi-douzaine de pensions de famille accueillantes. En toute simplicité, mais avec gentillesse, les hôtes proposent des visites de l’île et mettent des bicyclettes à la disposition des touristes. Récemment inaugurée par le haut-commissaire, la pension de Clarisse Paulin se distingue par la qualité des matériaux qui composent ses bungalows, ainsi que par leur décoration où dominent ses tifaifai.