Rangiroa est courtisé par les nombreux visiteurs qui s’y rendent chaque année pour découvrir ses merveilles. Le tourisme est aujourd’hui la première économie de l’atoll. Entre beauté et culture, les habitants partagent leur patrimoine avec générosité.
Avant que l’atoll ne soit appelé Rangiroa par les occidentaux, les Polynésiens utilisaient le nom Ra’i roa signifiant «ciel immense». À l’exception des cocotiers s’élançant au-dessus de la fragile bande de corail de l’atoll, rien de haut ni d’imposant ne vient encombrer le ciel. Situé dans l’archipel des Tuamotu à environ 350 km au nord-est de l’île de Tahiti, Rangiroa est le plus grand atoll de Polynésie française et l’un des quatre plus grands du monde, avec ses 280 km de circonférence. Son lagon pourrait loger l’île de Tahiti et sa presqu’île. Vestige d’un formidable volcan qui s’est progressivement enfoncé dans les flots, l’atoll est composé de 500 îlots et motu. Il compte deux passes distantes de 12 km : Tiputa et Avatoru. Entre elles, se concentre la grande majorité des 2 000 habitants ainsi que les principales infrastructures de l’atoll : aéroport, quais, installations hôtelières… Depuis les années 1980, et l’arrivée des premiers vols de Papeete sur l’île, le tourisme fait vivre une grande partie de la population. La beauté et la richesse naturelle du lieu attirent chaque année des milliers de visiteurs du monde entier. Mais, les premiers Européens à « découvrir » ce joyau de la Polynésie furent des navigateurs Hollandais Le Maire et Schouten, en 1616. L’atoll est alors déjà peuplé par les Polynésiens depuis le Ve siècle de notre ère environ. Les traces de ce peuplement et de la civilisation, qui parvinrent à s’épanouir sur ce fragile atoll, y sont encore présentes.
Lagon Bleu : entre beauté et culture
Merveille de la nature, le lagon Bleu de Rangiroa, situé à une heure de bateau du village d’Avatoru, brille par sa beauté et surprend par son patrimoine culturel. Les motu qui s’y trouvent abritent des marae, lieux de rencontres et de prières des Polynésiens. À l’époque, chaque endroit de l’atoll, motu inclus, était habité par une famille. Ainsi, un marae familial était érigé tout près du lieu de vie. « Plusieurs lignées ont vécu là-bas. Aujourd’hui, il n’y a plus personne car il y a trop de moustiques ! », s’amuse celui que l’on surnomme dans le village d’Avatoru, « Siki ». L’homme est réputé pour être l’encyclopédie de Rangiroa. Dès qu’un archéologue ou un ethnologue se rend sur ces lieux sacrés, Siki ne manque d’ailleurs pas l’occasion de le suivre pour enrichir toujours un peu plus sa connaissance de la culture et des traditions polynésiennes.
Assis sur la table de la terrasse de son fare, à confectionner un collier de tiare pour une cérémonie, l’homme raconte. Appelé en reo tahiti, Tae’o’o, le lagon Bleu était en réalité l’endroit où les anciens se retrouvaient pour discuter, après avoir traversé le lagon à la nage. « Ils l’ont appelé comme ça car Tae’o’o veut dire : tu viens de là ou de là ? C’est la question que posaient les hommes en arrivant ». Cet endroit de l’atoll était en réalité peu habité par les Polynésiens car il ne représentait pas une zone stratégique. Dans la culture polynésienne, tout ce qui est important doit se trouver au lever du soleil ; or, Tae’o’o se situe au couchant. Ce site a aussi été témoin de massacres lors de guerres entre clans. « Depuis, quand tu vas au lagon Bleu, tu dois être silencieux en respect pour les anciens », explique Siki.
Une richesse courtisée
L’homme regrette néanmoins la disparition des pāhua, les bénitiers, qui s’y trouvaient pourtant en nombre il y a encore quelques années. Il n’est pas le seul. « Nous avons été trop gourmand. Nous avons parfois ramassé des bacs entiers de bénitiers pour les ramener sur Tahiti où les gens ne peuvent pas en manger beaucoup. », confie Tāne Tamaehu. Pêcheur comme un certain nombre d’habitants, le quinquagénaire reconnaît ces abus. Tāne Tamaehu a été le premier à proposer des visites au lagon Bleu. En 1986, il était alors le seul bateau à s’y rendre mais les touristes étaient encore trop timides. Il faudra attendre l’arrivée des pensions sur l’atoll quelques années plus tard pour que les excursions décollent. « Nous sommes allés parfois jusqu’à 100 personnes par jour », se souvient le père de famille. Son entreprise continue régulièrement à faire des excursions, mais ils ne sont plus tout seuls : ils sont quatre aujourd’hui sur Rangiroa. Au programme : baignade dans le lagon, visite des motu dont le plus connu reste celui aux oiseaux, plongée avec les raies et les bébés requins… Et bien-sûr, une pause repas avec du ma’a local : poisson cru, et pain-coco, la spécialité de Tāne. « J’étais le premier à le faire, et les touristes en ont toujours raffolé », explique l’homme. Toujours entrain à faire connaître sa culture, ce propriétaire d’un fare, construit sur l’un des motu du lagon Bleu, propose aussi aux visiteurs des ateliers tressage ou confection de colliers.
Le coquillage: un objet symbolique
L’artisanat est aussi l’une des particularités de Rangiroa dont la spécialité reste les colliers de coquillages. Un véritable savoir-faire pratiqué par les femmes comme les hommes. Aux temps anciens, le coquillage représentait la puissance et la virilité. Les anciennes parures des chefs de district en étaient toujours dotées, ce dernier semblait donc être un objet de valeur. Ce qui semble être aujourd’hui encore le cas, même si la symbolique a quelque peu changé. À la messe dominicale de l’Église Saint-Michel d’Avatoru, la plus ancienne de Rangiroa construite en 1823, les fidèles arborent de jolis colliers de coquillages. « Jusqu’au jour où Jésus né, nous devons porter des colliers de coquillages et non de fleurs », souligne Siki, également président de l’association de l’église en pleine rénovation. Comme beaucoup d’habitants de l’atoll, Siki a grandi en confectionnant des colliers. « Nous étions onze dans la famille, on devait se nourrir. Quand il pleuvait, nous ne pouvions faire le coprah alors on faisait des colliers ». Aujourd’hui encore, cette activité fait vivre quelques familles, même si ce savoir-faire bien particulier menace hélas de disparaître. « Comme partout, nos jeunes préfèrent regarder la télé, jouer aux jeux vidéos ou aller sur facebook… », confie Thérèsa capable de confectionner des colliers de coquillages avec deux, trois, quatre, six ou huit nylons. Cette maman de deux adolescents explique aussi cette désertion par la pénibilité du travail.
Un savoir-faire polynésien
La première étape est d’aller chercher le coquillage. Et, la tâche n’est pas des plus simples. Selon le type de coquillage, les trois principalement utilisés sont le paoti, le pöreho et le pupu, le ramassage ne se fait pas au même endroit ni au même moment. « Nous vivons en respectant la nature », souligne Siki. Ainsi, les paoti, à la forme iconique, sont « pêchés » à chaque nouvelle lune lorsque le platier est sec. Le coquillage se trouvant près du récif, cela devient plus facile de le ramasser. Quant à sa couleur, elle peut changer selon l’endroit. Le pöreho, ce coquillage ovale noir et blanc, lui, ne peut être pris qu’au mois de juillet. Enfin, le pupu, un tout petit « escargot » souvent de couleur claire, il doit être ramassé sous un arbre. « Il faut creuser parfois jusqu’à 6 mètres. Plus c’est profond, plus la couleur du coquillage sera belle ». Le ramassage du pupu est certainement la pratique la plus pénible et dangereuse. « Il faut aller jusqu’au motu du sable rose, à presque deux heures d’Avatoru. Ensuite, il faut le ramasser et trier en tamisant, le reste tu le jettes dans le trou que tu as creusé. Il y a une façon de faire, certains se sont enterrés dans leur propre trou ! ». Pour le reste, la technique est quasi identique aux trois coquillages. L’essentiel étant de laisser mourir la bête mangée par les fourmis rouges ou de la tremper dans l’eau des jours durant. Puis il faut nettoyer le coquillage vide avec du chlore ou de l’eau pour retrouver sa couleur d’origine, le faire sécher au soleil ou au vent et, enfin, percer les coquillages. Le talent créatif des artisans polynésiens fait la suite.
La filière perlière
Certain d’entre eux déploient tout leur art avec un autre objet précieux : la perle. À Avatoru, dans la boutique de Gauguin’s perle, la dernière ferme perlière de l’atoll, des bijoux sont exposés en vitrine. Les touristes s’en donnent à cœur joie : collier, bague, boucle d’oreilles… « En réalité, les touristes permettent à l’entreprise de subsister », explique Philippe Cabral, le directeur et fondateur. La vente de perles en gros rapportant peu au vu des « prix bas », Gauguin’s perle tire ses bénéfices de la vente aux visiteurs de l’atoll et des visites guidées de la ferme. Scientifique de formation, Philippe Cabral est non seulement un fin connaisseur mais aussi un homme exigeant. Ses employés sont donc formés à la bonne école. Sur trois-quarts d’heure de visite, un des guides régale le touriste de vingt minutes d’explications précises et riches, avant de lui faire découvrir les ateliers de greffe, les bacs à nacre, etc. « Merci de nous rendre visite. Nous avons besoin de vous », déclare le guide à son assemblée de visiteurs. Fut un temps, soixante personnes étaient employées dans cette ferme, aujourd’hui ils ne sont plus que vingt. La production a donc été réduite à 5 000 perles par an. « Nous étions les premiers à ouvrir lorsque le gouvernement a autorisé la perliculture ici », explique le quinquagénaire. C’était en 1990. À l’époque, la ferme comptait 480 hectares, aujourd’hui elle n’en a plus que 100. En ce temps là, une dizaine de fermes perlières prospéraient sur l’atoll, aujourd’hui, Gauguin’s perle est la dernière. « Les perliculteurs manquaient d’expérience et de formation. Les fermes ont mis la clé sous la porte les unes après les autres ».
Cette formation complète est unique en Polynésie française, il s’agit d’ailleurs du seul centre du territoire. Si l’atoll de Rangiroa a été choisi pour héberger cette structure, ce n’est pas pour sa production de nacre naturelle, dont la pêche est désormais interdite. Le lagon de Rangiroa est certes le plus grand de Polynésie, mais aussi le plus agité ; un environnement inadapté à la nacre. « Beaucoup d’autres îles des Tuamotu ont des fermes perlières, si le centre est ici c’est parce que nous sommes les plus riches en infrastructures. », explique le passionné qui transmet le métier aux élèves. Ces derniers viennent de tous les archipels de la Polynésie française pour apprendre les ficelles du métier. La majorité d’entre eux trouvera un travail dans une ferme perlière. « C’est ce que je leur souhaite car c’est l’un des plus beaux métier au monde ».
L’unique centre de formation de la Polynésie française
Pourtant, à la même période, le Pays ouvre sur l’atoll un centre de formation dans le domaine. En 1991, le Centre des métiers de la nacre et de la perliculture, situé à Avatoru, accueille ses premiers élèves. Alexander Mataarere était l’un des premiers, il est désormais le formateur responsable. Il connaît le métier comme sa poche ainsi que tous les fermiers du territoire. L’homme aux cheveux grisonnant est fier de présenter ce centre aux touristes qui le demandent. « Notre souci est le temps, souvent nous sommes en plein travail, ce n’est donc pas facile de leur consacrer une heure ». Cette structure publique, rattachée au service de la mer du Pays, forme sur deux ans une vingtaine d’élèves au métier de la perliculture. Tirer des filets d’élevage, plonger, détroquer, greffer, mais aussi étudier la bio-salissure de la nacre, les droits maritimes, le droit d’entreprise…