Dans un contexte mondial où 20% des récifs coralliens ont été détruits irrémédiablement par l’homme en cinq décennies, et où 50% sont en situation de l’être dans les 20 ans à venir, la Polynésie Française se distingue par ses récifs particulièrement résistants et en bonne santé. Les effets du changement climatique planétaire ne s’y font encore que peu sentir et les pollutions locales y sont restreintes.
À l’exception des îles Marquises, toutes les îles de Polynésie française ont des écosystèmes marins côtiers presque exclusivement coralliens. La richesse en espèces récifales y est certes moindre que dans les régions tropicales situées plus à l’ouest du Pacifique pour des raisons biogéographiques. Mais avec près de 200 espèces de coraux, 1 200 espèces de poissons, 1 000 espèces de crustacés, 2 500 de mollusques pour ne citer que les groupes les plus connus, ces écosystèmes restent extrêmement riches comparativement aux zones tempérées. Un seul kilomètre carré de récif corallien contient un nombre d’espèces animales ou végétales comparable à celui de tout l’espace marin côtier de la France métropolitaine ou de l’état de Californie…
Des écosystèmes utiles
Par ailleurs, les récifs produisent des ressources de choix utiles à l’homme. On peut citer la pêche artisanale, l’aquaculture dont celle des huitres perlière qui produit à Tahiti la célèbre perle noire, la collecte de poissons d’ornement prisés des aquariophiles… Et puis, bien sûr, ces récifs avec leurs paysages littoraux et sous-marins paradisiaques, leurs eaux chaudes et limpides, sont des lieux privilégiés par les visiteurs faisant du tourisme la toute première industrie du pays. On sait maintenant évaluer le service rendu par un système naturel : on parle ainsi de « service écosystémique ». À titre d’exemple, la valeur de l’ensemble des produits générés par les récifs de l’île de Moorea est estimée à 85 millions de dollars par an (9 milliards de Fcfp – 74 millions d’euros). Au-delà de ces aspects d’usage financièrement quantifiables, les récifs portent des valeurs tout autant estimables dites de « non usage » ; culturelles, sociales, patrimoniales, spirituelles, pour les peuples qui y vivent et en bénéficient depuis de nombreuses générations.
Un milieu dynamique
Les cyclones, ainsi que l’étoile de mer dévoreuse de corail (Acanthaster planci), ou Taramea en langue tahitienne, sont les deux principaux facteurs qui contrôlent naturellement l’état des récifs coralliens de nos îles. Les cyclones, plus fréquents sur la bordure ouest de la Polynésie Française, touchent au hasard de leur trajectoire, les côtes récifales exposées aux houles de tempête. L’étoile de mer dévoreuse de corail ou taramea, proliférant parfois de manière spectaculaire (2 phénomènes observés depuis la fin des années 1970), provoque des dégâts plus étendus, pouvant atteindre l’échelle d’un archipel. L’archipel des Tuamotu et ses 76 atolls semble cependant épargné par ces invasions pour des raisons encore mal connues.
Le dernier épisode d’attaque des taramea observé sur la période 2004-2010 a tué la majorité des coraux des pentes externes de l’ensemble des îles de la Société. Mais les récifs polynésiens sont résilients face à ces stress naturels et leur récupération est rapide. Environ une décennie est nécessaire pour revenir aux valeurs hautes de recouvrement corallien après le passage de ces perturbations.
Pente externe : partie vitale du récif
Cette forte dynamique récifale est surtout marquée sur la partie faisant directement face à l’océan et appelée pente externe récifale. C’est, comparativement au lagon, le compartiment constructif de l’écosystème, le plus esthétique, le plus riche en espèces et le plus important pour le fonctionnement du récif. Entre 0 et 30 m de profondeur, le corail y atteint des niveaux de couverture et de croissance records en produisant jusqu’à 10 kg de roche calcaire par mètre carré et par an à partir d’éléments dissous dans l’eau de mer… C’est cette production de calcaire, associée à celle de certaines algues calcaires dites « encroûtantes » qui en s’accumulant, construit l’édifice corallien dans son ensemble. Sur les îles plus anciennes que sont les atolls, l’accumulation de calcaire sur plusieurs dizaines de millions d’année peut atteindre près de 1 000 m d’épaisseur !
Des menaces préoccupantes
Depuis quelques décennies la dynamique naturelle est menacée par certaines conséquences des activités humaines. Le changement climatique en fait partie. Les coraux sont en effet sensibles à l’élévation de la température de l’eau de mer et vivent souvent dans des milieux très proches du maximum de tolérance. Ce maximum – pour l’instant standardisé à 29,2 °C – est de plus en plus fréquemment dépassé durant les étés australs des périodes de El nino. Le corail prend alors des couleurs fluorescentes pendant quelques semaines puis blanchi. Selon l’intensité et la durée du phénomène, une partie des colonies finit par mourir.
Les perturbations induites par les activités humaines à l’échelle locale, moins sournoises mais bien plus concrètes restent cependant, aujourd’hui, les principales responsables de la dégradation observée des récifs depuis 50 ans. La surexploitation des ressources, les rejets d’eau usées, l’hyper-sédimentation provoquée par la destruction non raisonnée des couverts végétaux terrestres, la modification physique du littoral (enrochement, remblais souvent à usage particulier…) sont les principaux stress auxquels doivent faire face les récifs coralliens.
La Polynésie française épargnée
De par sa position isolée dans l’océan Pacifique, lui procurant une certaine inertie par rapport aux variations chimiques et physiques ; de par la répartition très dispersées de ses îles sur une surface de plus de 5 millions de km2 ; de part ses climats relativement variés, les récifs coralliens de Polynésie semblent se trouver relativement protégés des menaces liées au changement climatique. Bien que les limites de températures aient été plusieurs fois dépassées dans le quart de siècle passé, les phénomènes de blanchissement y ont été moins intenses comparativement à d’autres régions du monde où les mortalités ont parfois atteint près de 100 % des colonies d’un récif.
Les effets de l’acidification de l’eau de mer sont pour l’instant peu visibles dans le milieu naturel. Les perturbations locales restent restreintes aux quelques zones les plus peuplées et épargnent les milieux naturels de la plupart des îles. Ceci non pas en raison d’une gouvernance rigoureuse et rationnelle des écosystèmes mais essentiellement parce que les densités de population humaines y sont faibles ou même inexistantes (plus d’un quart des îles est inhabité). Enfin, les barrières récifales présentes sur la majorité des îles isolent et préservent la partie récifale externe des îles. Pour toutes ces raisons, sur l’ensemble des 15 000 km2 de récifs et lagons coralliens des 118 îles Polynésie française, 90 % sont toujours considérés comme étant en bon état de santé écologique.
Des récifs parmi les plus étudiés et suivis au monde
Forte de plusieurs centre de recherche (Criobe, Ifremer, IRD anciennement Orstom, Institut Malardé, Université de Berkeley, Université de Polynésie française), la Polynésie française bénéficie d’un puissant moteur de recherche sur l’environnement naturel de ses îles.
Dans ce contexte, l’état de santé des récifs polynésiens est suivi de près par les scientifiques sur les 4 archipels depuis plus de 40 ans. L’île de Moorea est le système insulaire tropical le plus étudié au monde si l’on se réfère au nombre de publications scientifiques qui en traitent. Avec ses deux stations de recherche Gump/Université de Berkeley (USA) et Criobe (France), elle est aussi l’île dont les récifs sont les mieux surveillés avec des réseaux de suivi récifaux initiés dès 1983 et toujours actifs aujourd’hui.
À plus large échelle, le programme de suivi « Polynesia mana » du Criobe (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement) évalue, sur des récifs témoins stratégiquement choisis, cet état de santé récifal depuis 1991. Tous les deux ans et sur près de 15 îles réparties sur l’ensemble de la zone géographique polynésienne, des paramètres bio-indicateurs sont collectés sur les peuplements de coraux et de poissons pour chaque zone récifale ciblée.
Cette surveillance, associée aux autres acquis scientifiques de recherche sur les récifs, permettent maintenant de comprendre comment fonctionnent et évoluent les écosystèmes dans le temps. Ces connaissances devraient, à l’ère du développement durable et de la gestion intégrée des écosystèmes, être utilisées de plus en plus comme des outils par les décideurs et gestionnaires pour prendre, à temps, les bonnes décisions dans la gouvernance nécessaire de ces précieux et fragiles écosystèmes marins côtiers.
Yannick Chancerelle
Criobe – Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement – Moorea