Rimatara, là où la joie demeure
Dans l’archipel des Australes, l’île de Rimatara dévoile une Polynésie authentique ancrée dans les traditions, la joie et la foi. Un voyage sur une terre à part, séduisante, belle et surprenante.
Rimatara est une île du bout du monde, dans l’archipel des Australes, un lieu échappé des cartes postales où la tradition de la vie communautaire est encore préservée sans le moindre souffle de folklore. Une vie faite de labeurs et de torpeurs. Une vie douce et récurrente rythmée par l’agriculture, la pêche, l’artisanat et la foi de la majeure partie de sa population dans le culte protestant. Plus que tout autre mois de l’année, celui de mai et la fête protestante du « Me » sont l’occasion de comprendre les rapports quasi bibliques que la population entretient avec les éléments, assurance d’une certaine autonomie insulaire. Six cent kilomètres au sud de l’île de Tahiti, un « confetti » apparaît dans l’immensité bleue électrique du Pacifique Sud : 9 km2 et 8400 cm de hauteur ! Le cm est la valeur que les habitants utilisent pour leur point culminant… Trois villages et 780 habitants.
En mai, chaque année, les trois villages de Rimatara – Anapoto, Amaru et Mutuaura – perpétuent une grande cérémonie protestante, la Fête du Me qui dure tout le mois de mai. Elle consiste à réunir les habitants au temple pour des prières communes mais aussi à collecter de l’argent auprès de la population pour couvrir les frais de l’église. Les habitants participent à des messes et des veillées rythmées par les himene, les chants traditionnels polyphoniques, et la récitation de versets du livre sacré. Chaque commune invite à tour de rôle les deux autres villages. Le Me se tient sur trois week-ends. Pour observer l’agitation qui se trame autour du Me, le mieux est de faire le tour de l’île et partir à la rencontre de ses habitants et des ses magnifiques plages désertes. Pour les plus sportifs, une bicyclette fera l’affaire : point de col vertigineux à franchir. Il est possible de dénicher un scooter à quelque jeune qui ne sera pas en reste d’un billet qui lui-même finira peut-être sur la table du conseil des diacres le jour de la collecte…
Les femmes qui tressent sont de véritables artistes, le travail est d’une finesse inégalée. Dans la tarodière, les hommes collectent le taro, fameux tubercule largement consommé dans toute la Polynésie. « C’est pour le Me », dit un jeune homme qui vient d’en tailler une dizaine. Lui aussi apporte sa contribution à la fête. Les Australes sont le garde-manger de la Polynésie avec ses nombreux fa’a’apu, nom tahitien désignant un terrain cultivé. Son climat plus tempéré permet la culture de maints fruits et légumes qui seront exportés à Tahiti et ses îles, procurant ainsi des revenus pour tous. Au détour d’une cocoteraie apparaît la petite route côtière de l’ouest. Elle borde le lagon. La plage est longue, le sable d’un blanc pur, l’air doux est chargé d’embruns. D’étonnantes formations coralliennes érodées par la base surgissent des eaux claires du lagon. Au bout de cette plage, la baie des vierges, supposée être le lieu de baignade des jeunes filles aux temps des rois. Ce bassin naturel invite à la baignade, il est vrai. Dans ces lieux, emprunts de sérénité naturelle, le temps vous file entre les doigts. La lumière décline sévèrement. Il est 17h, la nuit s’invite déjà.
L’activité bat son plein sur le quai où tout le monde s’est donné rendez-vous mais on ne s’y attarde pas cette fois-ci car il reste encore à faire pour préparer la fête du Me ! Détail important, le repas ! La confection de celui-ci en appelle à tous les savoir-faire locaux, de l’agriculture à la pêche en passant par l’artisanat. Les repas sont organisés par chaque commune qui reçoit et ses habitants se doivent d’user de tout leur talent pour ravir les palets voisins. Les préparations sont cuites pour la plupart au four tahitien. Ce four traditionnel est alimenté par des pierres volcaniques chauffées à la bourre de coco et disposées au fond d’un trou creusé à même la terre. Ce ahimä’a, son nom tahitien, cuit les aliments à l’étouffée sous des palmes de bananiers et des sacs en toile de jute pendant de longues heures. À Rimatara, chaque famille se doit de faire un four tahitien chez soi et de fournir pour le repas du village, deux morceaux de cochon, un paquet de tiromi (de la pâte de taro) et deux paquets de po’e (des fruits ou des tubercules malaxés, mélangés à l’amidon et cuits au four). Après une nuit de cuisson, poissons et cochons enveloppés dans des feuilles de bananiers sont sortis du four et amenés sur le lieu du repas.
Les diacres et le pasteur entament la comptabilité directement. Bientôt, l’argent abonde. Ensuite, vient le tour des adultes. Les femmes, au centre de la pièce, sont parées de leurs plus beaux atours, on flirte avec le monde de la haute couture ! Chapeaux et robes chatoyants rivalisent de beauté et de créativité, c’est à se demander si l’élégance de la perruche rouge de Rimatara n’inspire pas les femmes dans la confection de leurs incroyables créations colorées faites de pandanus, de plumes, de perles et autres « froufrous » multicolores. Les hommes, eux, sont assis derrière les femmes sur les bancs qui courent le long des murs du temple et viennent appuyer les airs de leurs voix graves. Le rythme des chants et de la quête s’accélère, une véritable pluie de billets s’abat sur les diacres qui ont redoublé d’énergie pour venir à bout d’additions et de multiplications toujours plus nombreuses. Un verset, des billets, en cadence ! C’est une étrange sensation. D’un côté, une ferveur sans faille pleine de bonne humeur, des chants et récitations de versets de plus en plus prenants qui vous filent le frisson et de l’autre, dans le sérieux et la rigueur, des hommes de foi qui comptent l’argent offert par le peuple.
À la descente de l’avion, un mutoi – nom donné en tahitien aux policiers communaux – met le feu dans deux bacs. Personne n’a le choix et doit se plier à ce rite purificatoire ! Qui pose le pied à Rimatara doit « passer par le feu », et traverser ces voulûtes de fumée pour laisser de côté son mauvais « mana » en entrant ici. Bienvenue à Rimatara où les traditions parlent dès l’arrivée ! Objet d’une autorisation spéciale – le feu sur un aérodrome n’est pas chose courante – cette tradition ne concernait que les gens arrivant par la mer avant 2001 puisque Rimatara fut la dernière île de Polynésie française à être équipée d’un aérodrome. Ici, pas d’hôtels de luxe et pléthore d’entreprises d’excursion. Pour aller en mer, il faudra demander gentiment à un pêcheur de l’y accompagner. Cette Polynésie-là se savoure au naturel, sans artifice, dans la simplicité et la contemplation perpétuelle. Elle pousse le visiteur à s’intéresser à la vie locale et à constater que le travail ici est sacré, au sens propre, comme au figuré, tout comme l’accueil plein de délicatesse de ses habitants.
Une vie communautaire
La vie à Rimatara est encore très communautaire. Les habitants se partagent les tâches quotidiennes et connaissent les rouages de chaque métier composant les activités de la communauté. Chacun est capable d’aller cultiver et récolter du taro, du café, du pandanus, des nonis… La pêche est plutôt réservée aux hommes qui ramènent toujours de belles prises de ces eaux très poissonneuses ! L’île étant dépourvue de grand lagon, la pêche se pratique au large à bord de magnifiques pirogues à balanciers qui sont, encore de nos jours, taillées dans des troncs d’arbres, à l’ancienne ! Les pirogues, de retour à la plage après avoir franchi la petite passe en surf, offrent des scènes qui rappellent aux visiteurs que le temps s’est bel et bien arrêté et que ce qui se passait là cent ans auparavant ne devait pas être bien différent… D’ailleurs, voici trois pêcheurs qui remontent avec un gros thon « yellow fin » à la chair rouge vif. Le poisson est débité en morceaux, il entrera dans le menu du repas de dimanche qui aura lieu après la messe. C’est la contribution pour le Me.Pendant que les hommes sont en mer ou aux champs, les femmes tressent le pandanus dont les feuilles sèchent un peu partout sur l’île après avoir été coupées au couteau dans les champs. Rimatara, comme les autres îles des Australes, est réputée pour la grande qualité de sa vannerie et son artisanat : chapeaux, paniers, peue, (une natte en pandanus) etc.
Préparer le Me…
Aux aurores, le chant d’un oiseau magnifique, la perruche rouge de Rimatara, réveille ceux qui se prélassent encore dans les bungalows de la pension qui a emprunté son nom à cet oiseau endémique. Paisible petit établissement familial, on y est chouchouté par Aline, cuisinière hors pair qui aime faire découvrir aux visiteurs les mets locaux avec sa touche personnelle, toujours très créative. On se laisse volontiers aller à écouter les histoires de l’île avant de rejoindre un lit qui vous engloutit avec sa couette, attribut nocturne rarissime en Polynésie. Les nuits peuvent être fraîches sous le 22ème parallèle… Mais avant d’être une pension, la perruche rouge est un oiseau. Avec sa robe resplendissante, il est devenu le symbole de l’île. Les habitants en sont fiers et une campagne de protection est menée avec le soutien de l’association Manu basée à Tahiti. Objectif : ne laisser entrer aucun rat noir, un véritable fléau pour les volatiles. Ces rongeurs, qui raffolent des œufs, monteraient aux arbres où les perruches font leurs nids et décimeraient la vie à sa base. Pour le moment, aucun de ces rongeurs ravageurs n’a réussi à passer les barrages de l’aéroport ni du quai des goélettes. Le navire Tua Pei arrive justement de l’île voisine de Rurutu, lien vital entre les îles, qui vient chercher le coprah dont la production est importante à Rimatara.
Une ferveur sans faille
Nous sommes le dernier dimanche de mai et les habitants de Anapoto, reçoivent les deux autres villages, Amaru et Mutuaura. Depuis la cuisine communale où femmes et hommes s’affairent, on perçoit déjà les premiers chants qui s’échappent du temple. Cette année, afin d’attirer les jeunes qui peinent à se rendre aux manifestations religieuses, le village de Anapoto a décidé d’innover en accompagnant à la guitare les himene, traditionnellement vocaux uniquement. La cérémonie débute avec les enfants qui entonnent des chants rythmés par une femme qui bat la cadence tel un chef d’orchestre ! Après chaque chant collectif, les enfants, très assidus, récitent à tour de rôle et à voix haute un verset de la Bible puis viennent déposer à la table du conseil des diacres un billet. Entre 500 et 10000 Fcfp, c’est selon. Les mamans s’occupent de porter les plus jeunes jusqu’à la table et leur place le billet dans la main. Il faut voir les visages aux expressions détachées des enfants qui prennent le billet pour un jeu, ou bien d’autres qui semblent effrayés en approchant de la table des officiants.
Le contraste est saisissant, mais le culte doit entretenir sa paroisse. Fête et quête, c’est ça le Me ! Après quatre heures de cérémonie, les fidèles se dirigent vers le festin ! Le repas ne dure pas. On quitte la table car il faut se préparer pour la veillée. « Autrefois, elle durait toute la nuit » précise Aline qui dirige la pension La Perruche Rouge. Elle regrette un peu ce temps où la ferveur des habitants était plus enthousiaste. Mais lorsqu’on arrive dans ce temple, le soir venu, on se demande ce que ça devait être jadis ! Les habitants de chaque village ont revêtu de nouveaux vêtements. Tous unis, rouge sur noir pour les uns, rouge sur blanc et violet sur mauve pour les autres ! Hommes et femmes ont conservé la même disposition et les vahinés de chaque village portent toutes les mêmes chapeaux qu’elles ont confectionné au cours des semaines précédents le Me. Les costumes de veillée changent chaque année. La créativité est au cœur de la tradition ! Il est bientôt minuit et dans la douceur nocturne de la belle saison de mai, la grande fête du Me se termine et laisse la sensation d’une vie authentique et simple faite de foi et de traditions qui devraient se perpétuer encore pour longtemps dans ces îles lointaines et isolées du Pacifique sud.
Un peu d'Histoire
Rimatara fut, sans doute, peuplée par les Polynésiens aux alentours du 10e /11e siècle, La première mention de l’île par les Européens est due au capitaine Samuel Pinder Henry, en 1811. Deux missionnaires protestants établissent une mission sur l’île en 1821. Une dynastie de « rois » et de « reines », la chefferie des Temaeva, dirigeait alors de façon coutûmière la vie des habitants. Cette dynastie fut l’une des dernières à se maintenir dans les îles polynésiennes, sous un régime de Protectorat depuis 1877. Il faudra attendre le tout début du 20e siècle et l’année 1901 pour que Rimatara cesse d’être un royaume et que la Reine Temaeva V (décédée en 1923) abandonne son pouvoir au profit de l’administration coloniale française. Rimatara fut ainsi la dernière île de Polynésie à être annexée par la France. En avril 2007, 27 perruches de Rimatara (nom sc. Vini kuhlii) furent généreusement offertes par les habitants de Rimatara à ceux d’Atiu, aux îles Cook, afin d’y êtres réintroduits. Cet oiseau prisé pour ses plumes rouges qui servait à Atiu à la confection des “pare kura” (coiffes d’Ariki) avait disparu de cette île, il y a bien longtemps. Pour fêter cet événement, les gens d’Atiu reconnaissants ont composé pour l’occasion, et comme le veut la tradition polynésienne, toute une série de chants et de danses rappelant les liens désormais indéfectibles entre Atiu et Rimatara.

