Épris de la culture polynésienne, Sonny Shwe et Fujiko Matsuda ont lancé leur entreprise de mode au Japon entre ligne de vêtements aux couleurs tahitiennes et création de costumes de ’ori Tahiti. Rencontre.
Piquée à vif. « Je voulais me faire un tatouage de cette taille depuis longtemps. Au Japon, les gens attribuent les tatouages aux gangs. Cela ne fait pas partie de notre culture», explique Fujiko Matsuda dans un sourire, assise dans un fauteuil du bar de l’hôtel Le Méridien, à Punaauia. Sonny Shwe, son ami, est auprès d’elle. Ses bras et ses jambes sont aussi tatoués, mélange de motifs chinois et polynésiens. Les amants se sourient. « Comme nous sommes venus ici pour la compétition, je me suis dit que c’était le bon moment de le faire » ajoute Fujiko, après un moment, comme pour se justifier. Fujiko Matsuda et Sonny Shwe, la trentaine, sont venus participer à la compétition ’ori Tahiti Nui, avec leur groupe de danse Nonosina Polynesia, dirigée par Mevina Liufau. Ce n’est pas la première fois que le couple se rend au fenua. Leur histoire avec la Polynésie a commencé il y a longtemps.
2002, Sonny Shwe est lycéen. Depuis plusieurs années, il s’adonne aux arts martiaux et aux percussions. Un jour, au lycée, une compétition sportive est organisée. « Il y avait un autre groupe de musique qui jouait avec beaucoup d’instruments différents que je ne connaissais pas, beaucoup de musique et un son que je n’avais jamais entendu auparavant… J’étais très curieux… » se souvient Sonny. Le chef de troupe l’invite à venir à une répétition. Sonny entre alors dans le monde de la danse tahitienne. « Beaucoup de gens me connaissent comme un danseur mais en fait j’ai commencé comme percussionniste. » Petit à petit, il apprend à jouer du tö’ere et du pahu. Un jour, le directeur de la troupe lui demande si il sait danser. « Oui ! Bien sûr que je sais danser ! La vérité est que je n’avais jamais dansé de toute ma vie… » confesse Sonny en riant. « Tout de suite, cette musique et cette danse m’ont beaucoup parlé. C’est quelque chose qui s’est ancré en moi… ». Sonny est vite devenu un des meilleurs danseurs de sa génération. Il a été récompensé au cours de plusieurs compétitions, aux États-Unis mais aussi en Polynésie française.
Un seul rêve en tête : devenir créateur de mode
En 2006, pour la première fois de sa vie, Sonny atterrit dans ce paradis longtemps rêvé : la Polynésie française. « J’étais vraiment très content de venir ici et de rencontrer les gens. C’était magique! » se souvient l’artiste. Premiers pas et premières distinctions, dix ans plus tard, Sonny n’en revient toujours pas. « Je suis tellement ravi d’avoir eu une récompense. Je pense que c’est grâce à cela que j’ai pu avoir du crédit dans le monde du ’ori Tahiti », dit-il en redressant sa casquette sur la tête.
Après le lycée, Sonny Shwe n’a qu’un seul rêve en tête : devenir créateur de mode. « Je viens de ce genre de famille de classe moyenne et issue de l’immigration chinoise. Pour nous, créateur de mode ce n’est pas un réel métier. Ils ne pensaient pas que c’était quelque chose duquel je pouvais vraiment vivre. » Fauché, le bachelier ne peut entrer à l’école dont il rêve, à New-York. Loin de se décourager, il décide de travailler pendant un an pour pouvoir se payer les frais d’inscriptions. « Cette année-là, j’ai fait des petits boulots, ce qui m’a permis de continuer à faire de la danse. Nous sommes allés à différentes compétitions dans le Pacifique. Cette même année, j’ai commencé à créer des vêtements et donc, évidemment, j’en suis venu à me faire mes propres costumes de ’ori Tahiti… » détaille l’artiste. Sonny Shwe n’est jamais entré dans aucune école de créateur de mode, mais sa carrière s’est tout de même accélérée.
En 2006, son mentor, Mevina Liufau crée Americanasia, un spectacle qui réunit la culture polynésienne et américaine. « Avec le chef de troupe avec qui je suis venu à Tahiti, nous sommes devenus vraiment de bons amis. Nous étions très proches. Un jour, il m’a proposé de faire partie de son projet. Il m’a demandé de faire les costumes pour ce spectacle… C’était un très gros défi pour moi. Il y avait plus de 25 personnes, il fallait faire un costume différent pour chacune d’elle… Je n’avais que 19 ans ! » lâche Sonny Shwe, un brin d’excitation dans la voix. En 2010, son mentor part au Japon ouvrir une école de ’ori Tahiti : Tavake Tere Ata. Quelques temps plus tard, le jeune créateur le rejoint. Ils travaillent tous les deux à Tokyo autour de plusieurs projets.
30 à 50 costumes par mois
Au fur et à mesure de leur collaboration, l’école grandit. En 2014, parmi les nouvelles recrues se trouve Fujiko Matsuda. Timide et jolie, c’est un rayon de soleil pour Sonny Shwe. « C’était son premier jour à l’école et je l’ai invitée à sortir. Elle ne parlait pas très bien anglais et je ne parlais pas du tout japonais, mais quelque chose s’est passé », raconte le garçon. Quelques mois plus tard, Sonny Shwe décide de tout quitter et de venir rejoindre Fujiko Matsuda à Tokyo.
Au Japon, le créateur est de plus en plus sollicité par les écoles de ’ori Tahiti. « J’avais beaucoup de travail à une période. Je ne savais plus où donner de la tête. Un jour, alors que je travaillais, Fujiko est entrée dans le studio et m’a vu coudre. J’avais beaucoup de difficultés à faire ce que je voulais. Elle est venue auprès de moi sans dire un mot, elle m’a aidé en mettant le tissu d’une autre manière sur la machine : ça m’a beaucoup aidé ! C’est à ce moment là que je me suis dit que ce serrait bien si on pouvait travailler ensemble… »
En août 2016, les tourtereaux ont lancé leur entreprise : Ahu Tahiti. Ils se sont spécialisés dans la création de costumes de ’ori Tahiti. Leur passion commune leur a permis de se trouver. Ils savent que le meilleur reste à venir. « Nous ne pouvions en attendre plus. Venir ici pour nous est comme revenir aux racines de nombreuses choses. C’est tellement bon d’être ici : c’est très beau et les gens sont tellement chaleureux. Nous adorons être là ! » lâche Fujiko Matsuda avec un grand sourire.
Fujiko Matsuda et Sonny Shwe font aujourd’hui 30 à 50 costumes par mois. Leur emploi du temps est plein jusqu’au printemps prochain. Les amoureux ont même commencé un atelier ouvert au public sur les bases de la création de costumes. Sonny Shwe a parfois du mal à y croire. « Cependant, nous avons toujours la rage. Nous aurions aimé avoir notre propre défilé de mode pour promouvoir notre entreprise. Notre ligne de vêtement commencera bientôt. Elle sera totalement inspirée du style tahitien pour les Japonais » décrit l’artiste.
Les créateurs ont une nouvelle ambition : construire une nouvelle connexion entre le pays du Soleil levant et Tahiti. Pour atteindre leur objectif, ils souhaitent réunir différents artistes. « Nous voudrions inviter des danseurs, bien sûr, mais aussi des tatoueurs, des créateurs de mode au Japon pour notre défilé de mode. De cette manière, les Japonais pourraient voir beaucoup plus que de superbes plages et de la danse, déclare le patron de Ahu clothing. À la base, cet événement était prévu pour juin 2017, mais compte tenu du nombre de gens qui ont montré leur intérêt, nous avons dû repousser… » Les fonds récoltés lors du festival seront reversés à une association caritative à Tahiti.
Fujiko Matsuda parcourt de son doigt son tatouage, toujours un peu rouge. Elle sourit et regarde Sonny. Lui aussi, ses tatouages ont été réalisés à Tahiti pour la plupart. Les deux amoureux ont la Polynésie dans leur vie de tous les jours, dans leur cœur mais surtout, dans la peau. La Polynésie les a piqués à vif.
Amélie David