Au bout de la route, sur la Presqu’île de Tahiti Iti, la petite localité de Teahupo’o est devenue célèbre dans le monde entier depuis que les meilleurs surfeurs du monde s’y retrouvent au mois d’août pour se mesurer à une vague homérique. Retour sur l’histoire d’une compétition d’anthologie.
Synonyme de paradis terrestre aux yeux du monde entier, la Polynésie française est un lieu exceptionnel à plus d’un titre : sa flore d’une grande richesse, la couleur émeraude de ses lagons, la beauté de ses plages, l’accueil chaleureux des habitants en font l’une des destinations les plus magiques du Pacifique Sud. Mais pour un surfeur, Tahiti et ses îles sont avant tout un épicentre sur la carte des destinations tropicales de surf grâce à ses vagues parfaites dans un décor idyllique. Au sud-est de l’île principale de Tahiti (Tahiti Nui, la grande), se trouve une presqu’île appelée aussi Tahiti Iti (Tahiti, la petite). Au pied des montagnes qui plongent dans l’océan, une petite route y conduit, après une heure de trajet depuis Papeete, pour finir devant la passe d’Hava’e. C’est ici que se trouve le petit village de Teahupo’o, paisible bourgade de quelques centaines d’habitants dont le nom est pourtant mondialement connu aujourd’hui. Teahupo’o doit sa célébrité à la vague qui casse au large sur la barrière de corail, une vague spectaculaire qui déroule sur un récif à fleur d’eau et forme un gros “tube” que l’on peut surfer à toutes les tailles. Elle accueille chaque année la compétition internationale de la Billabong Pro Tahiti, l’une des étapes les plus spectaculaires du circuit professionnel de surf. Quand les projecteurs de la compétition ne sont pas braqués sur Teahupo’o, la Presqu’île retourne à sa vie paisible dans un décor sauvage et préservé à couper le souffle. Les Tahitiens aiment venir y passer le week-end ou des vacances en famille pour renouer avec les traditions de la vie polynésienne.
Un acte de bravoure
Pour les plus courageux, c’est un acte de bravoure que d’aller se mesurer à la vague de Teahupo’o. Ils lui donnent le surnom familier de « Chops ». Tereva David est l’un des surfeurs locaux qui a participé à la compétition chaque année. Il est toujours très fier de surfer cette vague devant sa famille : « La vague de Teahupo’o est unique ! La sensation d’être dans ce gros tube avec vue sur les montagnes, et tous tes copains qui crient dans le line up, c’est vraiment indescriptible, c’est juste du pur bonheur. La première fois que j’y suis allé, j’avais peur bien sûr, toujours d’ailleurs, cette vague te contrôle et tu ne peux rien n’y faire, tu dois t’adapter à la vague… » C’est en 1997 qu’a eu lieu la première compétition sur la vague de Teahupo’o, alors appelée le Black Pearl Horue Pro. Une première édition remportée par un certain Andy Irons, regretté surfeur hawaiien qui y écrira parmi les plus belles pages de sa carrière et aura marqué les esprits à jamais sur cette épreuve. Encore inconnu au début des années 1990, les très nombreux reportages qui paraîtront dans la presse surf internationale révèleront le nom de Teahupo’o au monde entier. L’année suivante, le bateau ferry qui servait de plateforme pour l’organisation et les juges de la compétition s’échouait sur le récif après une grosse tempête. La légende de Teahupo’o était en marche… Cette même année, le surfeur Hawaiien Conan Hayes pensant avoir gagné la finale quittait le podium furieux sans même recevoir son prix… Depuis 1999, la compétition est devenue la Billabong Pro Tahiti et s’est imposée comme l’étape la plus prestigieuse du circuit professionnel. Pour gagner sur la vague de Teahupo’o, il faut être courageux car la vague demande un engagement total. Les conséquences en cas de chute peuvent être très radicales. Jérémy Florès est le seul surfeur français métropolitain aujourd’hui en lice sur le circuit professionnel et il parle toujours de cette vague avec infiniment de respect : « Les nuits précédant les grosses houles, je n’arrive pas à dormir. Je sais qu’il me faudra un engagement total et beaucoup de mental pour surfer et être à la hauteur. »
Le balai des « poti marara »
Organiser une compétition à Tahiti sur une vague qui casse à près d’un kilomètre du bord reste un challenge. Après l’échouage du ferry, l’organisation a décidé d’implanter une tour dans le récif, juste en face de la vague, ce qui permet aux juges d’avoir une vue panoramique sur le spot. Le staff technique qui gère les liaisons satellites est à terre et c’est une vraie prouesse technique que d’arriver à retransmettre la compétition dans le monde entier depuis un endroit si isolé. Pendant les deux semaines que dure l’épreuve, les petits bateaux de pêche locaux, les «poti marara » qui se pilotent debout sont réquisitionnés par tous les médias pour positionner les caméramans et photographes au plus près de l’action. Ce sont des embarcations très maniables et puissantes et leurs pilotes sont des experts pour se placer à l’endroit qui offre le meilleur angle de prise de vue. Emile Faito est l’un de ces pêcheurs de haute mer réputés sur la Presqu’île à qui les organisateurs font appel chaque année pour “driver” les médias dans la passe avec son bateau. Abritée en eau profonde, la passe d’Hava’e est aux premières loges, à quelques dizaines de mètres seulement de la vague qui déferle. Les spectateurs y viennent des quatre coins de l’île pour assister à la compétition et supporter les surfeurs tahitiens. Tous les engins nautiques sont bons pour se positionner au meilleur endroit dans la passe : bateau, pirogue, stand up, jet ski, surf, morey boogie… Les taxis boats partent de la Marina et font des allers et retours incessants jusqu’au spot : le week-end, la queue est longue…
La famille des Water Patrol
Côté sécurité, à Teahupo’o, on ne lésine pas avec les moyens ! Les Tahitians Water Patrol, au guidon de leur jet-ski, veillent sur la sécurité de tous pendant la compétition, à commencer par celle des surfeurs professionnels. L’équipe est constituée d’anciens champions de surf, de maitres nageurs-sauveteurs, et ce sont tous des « watermen » confirmés, comme d’excellents pilotes de jet-ski. Chaque matin, avant de partir en mer, ils se rassemblent en cercle pour prier et témoigner de leur solidarité avant d’affronter tous les dangers en mer. Ils forment une famille et représentent une véritable institution à Tahiti. Les Water Patrol sont des personnalités très respectées sur l’île. Leur métier est particulièrement dangereux sur une vague comme Teahupo’o et chacun à un rôle à tenir. Les trois équipages qui gèrent “l’impact zone“ (le lieu où déferle la vague) sont chargés de récupérer les surfeurs après une chute ou quand ils cassent une planche, ce qui arrive fréquemment. C’est un exercice particulièrement délicat car il faut naviguer devant la vague à fleur de récif. Ils doivent intervenir très vite pour que le surfeur en difficulté ne soit pas projeté sur la barrière de corail par les vagues suivantes : ils ont moins de dix secondes pour arriver au surfeur et cinq secondes pour le récupérer et l’évacuer… Des interventions à haut risque à chaque fois !
En 2007, c’est le surfer floridien Cory Lopez qui est crédité du plus gros tube pris à la rame, ce qui renforce encore un peu plus le mythe de la vague de Teahupo’o : la vidéo fera le tour du monde ! Pendant l’édition 2011, une houle gigantesque frappe la Polynésie. Les autorités de Tahiti instaurent « Le Code Rouge », ce qui signifie que l’océan est interdit à tous les engins nautiques, surfeurs compris. Mais le Californien Nathan Fletcher brave l’interdit et prend une vague historique en tow-in (surf tracté en jet ski) avec à la clé, ce jour-là, le record du plus gros tube et de la plus grosse vague. Là encore, les images font le tour du monde et Nathan Fletcher remporte le XXL Awards 2011 grâce à cet exploit. Les surfeurs tahitiens ne sont pas en reste et ils sont nombreux à avoir inscrit leur nom au Panthéon de cette vague d’exception : Malik Joyeux, Raimana Van Bastoler, Vetea David, Manoa Drollet, Hira Terinafoota, entre autres, ont contribué chacun à leur manière, chacun avec leur style, mais tous avec beaucoup de courage, à la légende de Teahupo’o. « Sur une telle vague les surfeurs locaux qui sortent des Trials sont vraiment dangereux, ils peuvent battre les meilleurs du top 44 ! » confirme Mick Fanning, l’Australien champion du monde. Mais les années se suivent et ne se ressemblent jamais : la compétition apporte à chaque fois son lot d’exploits et révèle toujours de nouveaux talents. Pour l’édition 2014, Michel Bourez, seul représentant tahitien du circuit professionnel, aura à cœur de bien faire devant son public. Il connaît très bien la vague et s’affirme comme l’un des meilleurs sur le spot.
La légende s’écrit chaque année…
La Billabong Pro Tahiti est devenue au fil des années une étape que les surfeurs du circuit professionnel attendent avec respect et affection. « Pour moi qui vient d’Hawaii, je retrouve beaucoup de cet “Aloha vibe” avec le peuple tahitien. Teahupo’o est l’une des plus belles vagues au monde où tu peux avoir ta plus belle photo et aussi la meilleure vague de ta vie », témoigne le surfeur professionnel Fred Patachia. C’est au mois d’août que se déroule la compétition car ce mois correspond à la période des grosses houles qui “remontent” de l’océan Antarctique et viennent frapper les côtes de la Presqu’île. Et c’est justement au mois d’août de l’an 2000 que le surfeur d’Hawaii, Laird Hamilton a pris “la vague du Millenium” : une vague mutante qui a changé la vision du surf à tout jamais… C’est peu dire que les grands moments de l’histoire du surf moderne se sont écrits à Teahupo’o. En 2005, Kelly Slater remporte l’édition avec deux vagues à 10 points, soit un total de 20 points, la note maximale pour la première fois dans l’histoire du surf de compétition. A la fin de la finale, il rejoint à la rame son bateau, demande une canette de bière fraîche et retourne prendre une dernière vague, s’offrant le luxe d’une gorgée dans le tube… Une image qui sera immortalisée dans tous les magazines.