Tumu’uru : l’arbre de vie

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Impressionnant les visiteurs de nos îles par sa majestueuse silhouette et ses imposants fruits, l’arbre à pain ou tumu’uru en langue tahitienne est un hôte marquant des paysages polynésiens. Et son fruit a été, bien longtemps, un des piliers alimentaires de la société traditionnelle.

Le tumu’uru plus communément désigné par le terme tahitien uru, est, aujourd’hui, un arbre fruitier incontournable de la flore polynésienne. Pourtant, il apparaît que le destin de l’artocarpus altilis, de son nom scientifique, fut étroitement lié à celui des grands navigateurs que furent les anciens Polynésiens. Selon les théories les plus abouties, leurs ancêtres sont originaires d’Asie du Sud Est. Au cours de vagues de migrations successives, ils peuplèrent, entre 1 000 et 1 500 avant JC, les îles de la Polynésie Orientale (Fiji, Tonga, Samoa et Cook). Puis, au cours du premier siècle avant notre ère, ils poursuivirent leur route vers l’est colonisant les îles de la Polynésie Occidentale dont l’actuelle Polynésie française.

Voyageant d’île en île à bord de grandes pirogues à double balancier, ces explorateurs emportaient, avec eux, les vivres nécessaires à leur survie dont les précieux fruits du uru, et, également, des plants de cet arbre qu’ils mettaient en terre arrivés à destination. Ils permirent ainsi la propagation à travers nos archipels de cet arbre initialement originaire de Papouasie – Nouvelle-Guinée.

Diversité Naturelle

Appartenant à la famille botanique des Moraceae, le uru surprend par ses dimensions impressionnantes. Il peut atteindre près de 25 mètres de hauteur pour 1,20 mètres de diamètre. L’une de ses caractéristiques essentielles est qu’il possède, sur un même pied, des inflorescences à la fois mâles et femelles ! Une particularité qualifiée de « monoïque » par les botanistes. Ovales ou rondes, ses fleurs singulières mâles et femelles s’épanouissent en règle générale sur une saison allant de juin à septembre.

Mais sur certaines îles au climat propice, notamment dans l’archipel des Marquises, le tumu’uru donne des fruits presque toute l’année. Ceux-ci sont réunis sur chaque arbre en forme de grappe (2-3 fruits par grappe), où verts ils se parent peu à peu d’une peau brunâtre, puis jaune en mûrissant. Le uru se décline en de multiple variété : plus d’une cinquantaine en Polynésie française. Parmi les plus connus, se trouve notamment le puero, le hamoa et le huero. Sur l’île de Tahiti, le « maohi » au feuillage abondant est la variété qui s’est imposée…
Elle possède des fruits ronds ou ovales à l’aspect rugueux d’une quinzaine de centimètres de diamètre, bien souvent recouverts de résine.

Arbres Majestueux

D’un petit morceau de racine peut naître un arbre majestueux… Un bouturage relativement facilité par la nature, mais qui n’est pas sans nécessiter quelques efforts. Cependant pour donner des fruits, cet arbre qui peut tout aussi bien s’établir en bordure de mer (jusqu’à 600 mètres d’altitude) qu’en milieu calcaire ou volcanique, doit être traité avec soin. Régulièrement taillé pour ne pas dépasser une dizaine de mètres, il doit être très ensoleillé. Les milieux marécageux et ceux trop irrigués sont à proscrire. Très productif, le uru donne ses premiers fruits dès sa cinquième année et peut en offrir ainsi pendant une cinquantaine d’années, voire plus. Certaines variétés d’arbres donnent des fruits tout au long de l’année. D’autres sont moins généreux… mais bien souvent plus savoureux. Familier, cet arbre a fait l’objet de recherches de la part des agriculteurs polynésiens qui ont développé des techniques agricoles activant la maturation des fruits. Talentueux horticulteurs, les Polynésiens ont également procédé à de nombreux croisements s’appuyant sur une grande connaissance des variétés et de leur particularité. Le nombre élevé des variétés présentes est donc dû, en grande partie, aux travaux méticuleux des populations insulaires. Tout comme l’abondance apparemment « naturelle » du tumu’uru est, là encore, le fruit de longs efforts humains. C’est munis d’un rou uru, un long manche doté d’une fourche à son extrémité, que ses fruits sont récoltés.

Une Monnaie

Le climat des îles polynésiennes est divisé en deux grandes saisons tropicales, l’une très humide et l’autre sèche. L’année était donc marquée par des périodes de disette liées au manque d’irrigation et de production de fruits lors de la saison sèche. Raison pour laquelle les anciens Polynésiens consacraient beaucoup d’intérêt au uru. Pendant plusieurs siècles, sa présence fut rassurante pour les habitants qui comptaient sur ses fruits, particulièrement nutritifs, pour surmonter ces périodes de disette tant redoutées. Echanger le uru prenait la valeur d’une véritable monnaie. En remerciement des services rendus, ou tout simplement par hospitalité et gentillesse, il était offert à la famille et aux hôtes. L’alimentation dépassait donc le simple cadre de la nutrition, elle possédait une dimension sociale importante. Les Polynésiens, très attachés aux rapports sociaux dans la communauté, utilisaient les pratiques alimentaires pour communiquer. Les regroupements dans les villages afin de préparer l’alimentation commune à tous, permettaient d’échanger, de se solidariser et de s’inscrire au sein d’un groupe social. Les périodes de disettes, étaient contrées par l’organisation et l’union de la population qui travaillait méticuleusement aux préparations et cuissons du précieux fruit.

Techniques de Conservation

Les communautés faisaient preuve d’inventivité pour conserver les fruits de l’arbre à pain récoltés en prévision des périodes de pénurie et de longues navigations. En effet, les uru mûrs se détériorent rapidement, en quelques jours seulement. Confrontés à un climat particulièrement chaud et humide et ne bénéficiant d’aucun moyen de conservation semblable aux poteries, les Polynésiens développèrent des techniques de conservations et de stockage de nourriture. Les uru étaient soit cuits (opi’o), soit fermentés en une pâte ensuite enfouie sous terre (à Mahi) à l’abri de l’air dans des fosses conçues à cet effet. Basées sur le principe de la fermentation acide des fruits, les fosses à Mahi étaient creusées dans tous les archipels de la Polynésie pour conserver de la nourriture. Les habitants mettaient de côté des uru arrivés à maturité qu’ils déposaient alors dans la fosse à Mahi dont les dimensions atteignaient parfois des proportions énormes (100 m3/ cinq mètres de diamètres et de profondeur) dans l’archipel des Marquises notamment. La conservation par la cuisson consiste simplement à cuire à l’étouffée des uru mûrs et les excédents des récoltes. Pour cela, ils sont placés dans un four traditionnel enterré appelé ahimaa en langue tahitienne (de ahi signifiant feu et mā’a nourriture). Ce four est creusé dans la terre à une profondeur allant de 50 à 80 cm et son diamètre peut atteindre 2 mètres. Il y est soigneusement agencées des pierres chaudes. Après avoir retiré l’écorce du fruit, ce dernier était coupé en plusieurs morceaux et débarrassé de son noyau. Les morceaux de fruit sont enveloppés dans des feuilles et déposés sur le ahimaa, puis recouverts de feuilles et de pierres chaudes elles-mêmes ensevelies par une couche de terre et de feuilles. La cuisson du uru est assez rapide. En 30 minutes, les morceaux peuvent déjà être retirés du ahimaa. La nourriture obtenue après cuisson s’appelle le opi’o. Moment de convivialité par excellence, la cuisson du uru regroupe tous les membres d’une même famille et d’une même communauté pour partager un bon repas, fêter une occasion particulière… La réalisation d’un ahimaa reste encore un temps fort de la vie sociale polynésienne.

Rassasiant et Nutritif

Dans la société polynésienne ancienne et actuelle, fruits, feuilles, écorces… toutes les parties du tumu’uru sont utilisées par les Polynésiens pour leurs besoins quotidiens. Les fruits de l’arbre à pain sont consommés de plusieurs façons. Salés ou sucrés mais nécessairement cuits (rôtis ou bouillis), ils sont très appréciés. Rassasiant et nutritif, ce féculent entre dans la composition d’un repas traditionnel polynésien. Manger simplement rôti ou cuit puis découpé, égrainé, et malaxé au pilon et arrosé de lait de coco… Dans les années 1960, en pleine occidentalisation des comportements alimentaires, les polynésiens délaissèrent petit à petit le uru pour le pain, le riz, les pâtes. Seuls quelques spécimens de tumu uru furent choisis et restèrent cultivés pour la consommation. De nos jours, le uru réapparaît lentement dans les circuits commerciaux (emballages de fruits prédécoupés, chips…). Cependant, il reste très présent dans les échanges privés entre particuliers. Son goût est aussi redécouvert dans la gastronomie ou ses qualités sont reconnues. Après une éclipse, le uru aspire donc à reprendre toute sa place dans la société polynésienne.

Laura Deso

Rua-ta’ata, la légende du père de l’arbre à pain

Selon ce récit, la famine faisait rage sur l’île de Raiatea. Rua-ta’ata et son épouse Rumau-ari’i ne possédaient plus rien pour nourrir leurs enfants qui en étaient réduits à manger les fougères des montagnes. Un soir, désoeuvré et épuisé, Rua-ta’ata confia à sa bien aimée qu’il souhaitait devenir un arbre dont les fruits, une fois rôtis, nourriraient toute la famille. Ses mains des feuilles, son corps et ses jambes un tronc et ses branches, sa tête le fruit et sa langue le cœur du fruit. Au lever du jour, au grand soulagement de Rumau-ari’i, tout était comme son époux l’avait prédit. Un arbre à pain avait poussé, ses fruits mûrs recouvraient le sol, sa famille étaient sauvée…

Trésor au cœur de la mutinerie du Bounty

Dès 1776 lors de son passage à Tahiti, l’expédition d’exploration menée par le navigateur James Cook mentionna l’existence du uru. Ses qualités nutritives le placèrent rapidement au cœur de l’une des plus célèbres expéditions maritime de l’histoire, celle de la Bounty, dépêchée en 1 788 à Tahiti par le roi d’Angleterre. Sa mission consistait à récolter des plants d’arbre à pain pour les implanter dans les colonies britanniques des Caraïbes. Le fruit des arbres devait alors servir de nourriture à moindre coût pour les esclaves ! Arrivé à destination, l’équipage parvint à collecter des centaines de pieds de uru auxquels les plus grands soins furent apportés. Un traitement qui contrastait d’ailleurs avec la dureté légendaire du capitaine Bligh vis à vis de son équipage… Mais après la fameuse mutinerie, l’expédition tourna court. Cependant, dès 1793, elle fut réitérée par l’amirauté britannique et, cette fois-ci, couronnée de succès. Des plants furent ainsi portés et plantés en Jamaïque.

Tumu’uru : l'arbre de vie
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Impressionnant les visiteurs de nos îles par sa majestueuse silhouette et ses imposants fruits, l’arbre à pain ou tumu’uru en langue tahitienne est un hôte marquant des paysages polynésiens. Et son fruit a été, bien longtemps, un des piliers alimentaires de la société traditionnelle.
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