Va’a Motu, le renouveau de la voile traditionnelle : transmettre et innover

Etrave d'une pirogue à voile, chantier naval - © J. GirardotPréparation des filets qui joueront un rôle de trampoline aux extrémités de la coque centrale de la pirogue. - © J. Girardot Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. GirardotAlexandre Genton explique aux jeunes en formation une phase importante de la construction. - © J. Girardot L’équipe du chantier avec de gauche à droite : Alexandre Genton, Benoit Tokoragi, James Flinck. Accroupi : Hugo - © J. GirardotFabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. GirardotTravail avec le mateloteur Vincent Le Roux sur les plans de la pirogue. - © J. GirardotDaniel Snow, véritable mémoire vivante de l’histoire des pirogues à voile à Fakarava - © J. GirardotFabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
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L’association Va’a Motu veut, non seulement redonner leur place aux pirogues à voile polynésienne traditionnelles, disparues depuis plus de 50 ans des lagons polynésiens mais aussi les rendre utiles. Un projet complet mené sur l’atoll de Fakarava qui touche à la sauvegarde du patrimoine, à la transmission des savoir-faire, au développement économique durable et à la gestion des milieux de façon écologique.

L’équipe du chantier avec de gauche à droite : Alexandre Genton, Benoit Tokoragi, James Flinck. Accroupi : Hugo - © J. Girardot
Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
Alexandre Genton explique aux jeunes en formation une phase importante de la construction. - © J. Girardot

Du matériel acheminé par une pirogue à voile…

En amont du chantier, il a fallu acheminer du matériel depuis l’île de Tahiti. Quoi de mieux qu’une pirogue à voile pour cela ! Fin mars 2015, la pirogue hauturière Te Rangi, dirigée par le capitaine Titaua Teipoarii, a donc accosté avec le précieux chargement à Fakarava. Voilà plus d’un an que l’Association Va’a Motu a tissé des liens avec le projet de transport de Fret à la voile entre les îles de Tahiti, Makatea et les Tuamotu que mène Te Rangi, via la fondation Pacific Voyagers. Transporter des matériaux pour construire une pirogue à voile de lagon avec une pirogue à voile de large, le message est beau. Deux matelots épaulent le capitaine. Tamatoa Moeroa et Matani Tamaititahio, originaires respectivement de Fakarava et Raivavae, ils naviguent depuis 2011 à bord des pirogues de la fondation Pacific Voyagers : Faafaite. Parcourant le triangle polynésien sur les traces de leurs ancêtres, ils ont écumé le grand Océan Pacifique de long en large. Le chargement du matériel est effectué à Papeete puis Te Rangi largue les amarres pour les « Tuam’s » ! 

Après cinq jours de navigation, c’est d’abord la frange récifale de l’atoll de Toau, voisin de Fakarava qui apparait sur l’horizon. Après un dernier bord tiré entre les deux atolls, la pirogue se présente dans la passe nord de Garuae. Le courant entrant est violent mais Titaua tient bon le cap face à cette ultime épreuve avant la relâche. Ato Lissant qui attend sur le quai a organisé un accueil traditionnel. Te Rangi accoste enfin au rythme des toere, pahu, ukulele et guitares. Les marins reçoivent colliers de fleurs et eau de coco fraîche. Voilà trois ans que les protagonistes du projet attendent ce moment qui marque le début de la grande aventure !

À 200 mètres du quai, Ato présente le terrain destiné à la construction de la pirogue. Une petite dalle de ciment, un environnement verdoyant ombragé de cocotiers. Armé d’une tronçonneuse, Ato coupe quelques troncs de cocotiers qui serviront de piliers pour la charpente du chantier naval. En deux jours, l’édifice est achevé. « On va pouvoir commencer ! » s’exclame Ato avec joie.

Alors que le chantier se déroule à merveille et que la pirogue voit petit à petit le jour, les écoliers de Rotoava inaugurent le programme pédagogique du projet par une première visite. Les questions fusent : « Comment la dirige-t-on ? Comment utiliser le vent ? Pourquoi ont elles disparues ? Est-ce qu’on peut pêcher avec ?… » L’échange avec Alexandre, Toko et James est très enrichissant pour les écoliers et certains prennent l’habitude de passer sur le chantier le soir après la classe. À chaque visite, les enfants ont les yeux qui brillent en s’imaginant parcourir les quatre coins du lagon à la voile et ça fait plaisir à voir ! Régulièrement de jolis dessins sont déposés au chantier pour encourager les travailleurs.

Pendant deux ans, de rendez-vous innombrables en rencontres passionnantes, d’échanges constructifs en opérations de communication et de financement participatif, Ato Lissant et Julien Girardot, deux piliers de cette aventure, ont connecté petit à petit entreprises et mécènes du projet Va’a Motu. Fin 2014, l’association a pu envisager le début de la construction de l’embarcation. Le budget nécessaire pour démarrer cette phase concrète venait d’être atteint grâce, notamment, à l’OPT (Office des Postes et des Télécommunications de Polynésie française), au Service de la Culture de Polynésie française et à l’Agence des Aires Marines Protégées de France. Ce dernier partenariat a pu être mis en place grâce au célèbre navigateur Roland Jourdain. Via son fond de dotation « Explore », il soutient des projets d’exploration sociaux culturels et environnementaux à travers le monde maritime. Ce partenariat avec l’Agence des Aires Marines Protégées permet aussi de donner tout son sens au projet Va’a Motu : naviguer à la voile – donc sans émission de carbone – est pleinement en accord avec l’éthique de la Réserve de Biosphère de Fakarava, reconnue par l’UNESCO.

Plus de 20 autres partenaires dont la compagnie Air Tahiti Nui se sont rallié à la cause. Désormais, le rêve devient réalité : un chantier naval, dirigé par le constructeur renommé Alexandre Genton, naît au cœur du village de Rotoava sur l’atoll de Fakarava en avril 2015. Deux jeunes de l’île, Toko et James, sont formés aux techniques de construction. Un programme pédagogique avec l’école de Fakarava permet aux enfants de profiter pleinement de ce véritable retour aux sources ! Deux scientifiques ont également mené une mission préalable de test de matériels en août 2015 dans le but de réaliser une cartographie du récif en trois dimensions ainsi qu’un inventaire des micro-organismes. Il s’agit d’une première mondiale à bord d’une embarcation traditionnelle à voile devenue outil de science !

Travail avec le mateloteur Vincent Le Roux sur les plans de la pirogue. - © J. Girardot
Vue 3D d'une pirogue à voile, chantier naval - © J. Girardot
Navigation de nuit entre Tahiti et l’archipel des Tuamotu à bord de la pirogue double Te Rangi qui transporte les matériaux de construction du projet Va’a Motu. - © J. Girardot
Accueil début avril de la pirogue de Pacific Voyagers Te Rangi qui a transporté les matériaux de construction de Te Maru O Havaiki à la voile depuis Tahiti. - © J. Girardot
Visite des enfants. Toujours de bons moments partagés avec l’équipe qui explique leur travail - © J. Girardot
Les élèves de l’école de Rotoava en visite sur le chantier ont apporté une jolie maquette de Va’a Motu en papier journal et des dessins - © J. Girardot

Une aventure qui débute dans les années 1960

La construction de la pirogue suscite les curiosités à Fakarava mais ravive aussi les mémoires. Si on demande qui peut nous conter l’époque des pirogues à voile, tout le monde est unanime : « il faut aller voir Daniel Snow ! ». Daniel est un étonnant personnage. En 1963, à seulement 24 ans, il est élu président du conseil du district, il reste tavana (maire) pendant dix ans. À cette époque, chaque famille avait encore sa propre pirogue à voile et parfois même des cotres qui servaient à transporter des marchandises, des gens, du coprah. C’était la « voiture de l’époque » ! En 1965, l’argent du nucléaire est arrivé avec l’implantation du CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique). Tout a changé. Les moteurs sont apparus. Les habitants ont voulu vivre différemment. « Avant ça, c’était tout à la voile » lance Daniel, nostalgique. La population respectait scrupuleusement le système du Rahui, (jachère) et les habitants de Fakarava changeaient tous les trois mois de secteurs. Il y avait trois secteurs, dont un à Toau, l’atoll voisin. Les habitants emportaient tout avec eux à bord de leurs pirogues à voile : même les cochons et les poules ! Et ils s’installaient pour exploiter le secteur à fond, sur terre et sur le lagon. Pendant ce temps là, les deux autres secteurs avaient le temps de se régénérer et c’est le tavana qui décidait la date de changement quand il estimait qu’il était temps d’aller à la recherche de ressources plus abondantes : « le tavana a dit ! Et on écoutait », sourit Daniel. Les pirogues faisaient 7,30 mètres. Les anciens étaient sacrément costaud et naviguaient la nuit avec les étoiles mais aussi avec les odeurs, ils connaissaient les parfums de chaque terre. Daniel a encore le souvenir de la dernière embarcation à voile en activité à Fakarava. Il s’agissait d’un grand cotre (monocoque) sur lequel on pouvait embarquer plusieurs tonnes de marchandise et accueillir des dizaines de personnes. Son nom : Te Maru O Havaiki ! Justement le nom de la pirogue du chantier Va’a Motu ! Il y a deux ans, Ato avait demandé à son papy, Manuel Varas, le doyen de l’atoll (92 ans), de trouver un nom pour la première pirogue du projet. Il avait alors suggéré ce nom à Ato avant de partir. Te Maru O Havaiki signifie « l’ombre de Havaiki » ou encore « la beauté cachée de Havaiki ». Havaiki, fut autrefois, le nom de Fakarava.

Daniel Snow, véritable mémoire vivante de l’histoire des pirogues à voile à Fakarava - © J. Girardot
Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
Préparation des filets qui joueront un rôle de trampoline aux extrémités de la coque centrale de la pirogue. - © J. Girardot

Un chantier en ébullition

Chaque jour, les ponceuses chantent aux abords du chantier dans le village. Des amis du projet sont venus apporter leur aide. Charlotte Genton, la soeur d’Alexandre et Benoît Parnaudeau, navigateur. Des petits groupes se sont formés et les pièces comme le mât, le ama (terme tahitien désignant le balancier) et les iato (bras de liaison entre la pirogue et les balanciers), prennent forme rapidement « drivés » par les plans de l’architecte du projet, Nicolas Gruet. Pendant deux semaines, nous sommes une dizaine à poncer, stratifier dans une superbe ambiance ! C’est le chantier du bonheur. On matelote aussi avec Vincent Le Roux venu spécialement de Bretagne, c’est un spécialiste du cordage et du gréement. Il est partenaire du projet avec son entreprise Blew Stoub. Épissure, surliure, pad eye textile, mât cramé, nœuds de toute sorte… Vincent apporte encore un peu plus de savoir-faire aux jeunes en formation et prépare tous les cordages pour attacher le mât, les filets et autres éléments.

 

Fabrication d'une pirogue, chantier naval - © J. Girardot
Manuel Varas était le membre d’honneur de l’association Va’a Motu. Il a bien connu l’époque des pirogues à voile et était également un constructeur réputé pour ses qualités de navigateur. - © J. Girardot

Science participative !

Un des grands objectifs du projet est de permettre au monde scientifique de transformer Te Maru O Havaiki en véritable outil de science citoyenne. Permettre à la population de mieux comprendre son environnement afin de mieux l’appréhender. Alors que l’on attaque les finitions sur le chantier et que la mise à l’eau n’est plus qu’une histoire de semaines, deux scientifiques débarquent à Fakarava le 11 aout 2015 pour dix jours. Emmanuel Reynaud est docteur en biologie intégrative à l’Université de Dublin en Irlande, c’est le chef de mission. Noan Le Bescot travaille à la station biologique de Roscoff, en Bretagne, sur le plancton. Ils ont pour but de tester du matériel et faire une étude de terrain en amont de la mission principale de cartographie qui aura lieu un peu plus tard dans l’année avec une équipe plus importante. Équipés d’une multitude de cameras, de cerfs-volants, de lampes UV, les scientifiques écument le lagon accompagnés par Ato et Julien, et ça marche. Ils échangent également avec Alexandre Genton sur l’adaptation de plateforme pour faire voler, depuis la pirogue, des cerfs-volants équipés de caméra afin de cartographier en aérien certaines zones du lagon. Leur message est simple et pragmatique : « La biodiversité est l’essence du monde dans lequel nous évoluons. Et nous en sommes une modeste partie. Cette biodiversité nous appartient à tous, elle n’est ni un sujet de brevet, ni une pièce de musée, ni un inventaire à nommer. Elle est un trésor à comprendre et préserver. Le but de l’expédition est de servir à la fois la communauté locale, la communauté régionale et les intervenants européens. C’est un partage pas un pillage. ».

Cher lecteur, à l’heure où vous lisez ces lignes, Te Maru O Havaiki vogue sur les flots du lagon de Fakarava emportant à son bord scientifiques, habitants de Fakarava, jeunes locaux en formation ainsi que les touristes de passage qui souhaitent découvrir le lagon de manière authentique en harmonie avec les éléments. Dans quelques années, Va’a Motu aura peut être fait des « petits » et les pirogues à voile feront de nouveau partie des paysages incroyables de l’archipel des Tuamotu pour subvenir aux besoins de manière durable à toute une population qui pourra alors être fière de sa culture maritime.

 

Julien Girardot

L’association de Renouveau du Va’a Motu des Tuamotu est née en 2011 à l’initiative de deux amis, Ato Lissant (propriétaire de pension de famille à Fakarava avec sa femme Corina) et Julien Girardot (photographe professionnel originaire de Saint Malo en Bretagne).

 

Contacter l’association Va’a Motu :

Tel : 00 689 87 744 003

Email : vaamotu.project@gmail.com

Page Facebook : Association Va’a Motu / Projet Va’a Motu

Va’a Motu, le renouveau de la voile traditionnelle : transmettre et innover
Va’a Motu, le renouveau de la voile traditionnelle : transmettre et innover
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L’association Va’a Motu veut, non seulement redonner leur place aux pirogues à voile polynésienne traditionnelles, disparues depuis plus de 50 ans des lagons polynésiens mais aussi les rendre utiles. Un projet complet mené sur l'atoll de Fakarava qui touche à la sauvegarde du patrimoine, à la transmission des savoir-faire, au développement économique durable et à la gestion des milieux de façon écologique.
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