Haut lieu de cette culture, Taha’a dévoile tous les secrets de cette épice si rare et recherchée. Plongée dans l’atmosphère et les parfums enivrants de la vanille de Tahiti.
Si les paysages de Taha’a évoquent, immanquablement, le mythe polynésien par les bleus profonds de l’océan, les reflets azurs du lagon, et le vert flamboyant des hauteurs volcaniques, il règne, ici, un esprit bien particulier dominé par le travail de la terre. Dans cette île s’exprime un authentique terroir à l’origine de cet«or brun» qu’est la vanille de Tahiti, Vanilla tahitensis de son nom scientifique. En 2009, sur les 73 tonnes de vanille mûre produites en Polynésie française28 provenaient de Taha’a où on dénombre 300 producteurs ! Ce n’est donc pas uniquement pour le plaisir de la formule – si belle soit-elle – que Taha’a, est surnommée «l’île vanille».
Aborder les secrets de la vanille, c’est bien souvent commencé par découvrir son élégante et fleur au reflet jaune. Par épi de 10 à 15, elles éclosent du vanillier, plante de la famille des orchidées affectionnant les lieux ombragés et humides comme les fonds de vallée et les sous-bois.Il est à noter que pour se développer, cette liane a besoin d’un tuteur, un arbre ou un arbuste, lui procurant un support mais également de l’ombre. En pleine nature, ce rôle est souvent dévolu au bancoulier, tia’iri en tahitien, (Aleurites Molucana, NS), au purau (Hibiscus tiliaceus, NS) ou encore à l’hibiscus,‘aute, (Hibiscus rosa-sinensis, NS).
Les fleurs du vanillier s‘épanouissent pendant l’automne et l’hiver austral de juillet à octobre. Pendant cette période clef, toute l’île de Taha’a est en effervescence car les fleurs doivent être «mariées». Et, de mariage, il faut bien parler. A l’aide d’un stylet, il s’agit de déchirer la membrane séparant les organes mâles et femelles de la fleur, le pollen et le stigmate pour les mettre en contact. Ainsi est fécondée, fleur par fleur, la vanille. Sans cette délicate opération, la fleur s’épanouit puis dépérit sans engendrer les précieuses gousses.
«Indéhiscente»
Particularité des plus intéressantes, la vanille de Tahiti est qualifiée par les spécialistes de «indéhiscente». Les fruits aromatiques ne s’ouvrent pas à maturité, contrairement aux autres vanilles. La gousse peut donc être cueillie quand les arômes sont les plus développés. «Cela peut être comparé à la différence existant entre la cueillette d’une banane mûre ou d’une banane verte», explique Tatiana Hart, directrice de l’Etablissement Vanille de Tahiti, organisme public en charge de la promotion et du développement de cette filière.
A Taha’a, les vanilleraies de plein champ s’embusquent tout autours de l’île. Le visiteur doit prendre la peine de partir à leur découverte pour prendre la mesure du soin et du travail nécessaire à cette culture. Là en sous-bois, il faut constamment défricher et débrousser pour que les plants de vanille poussent correctement. Il faut aussi replier les lianes pour que les gousses se retrouvent à hauteur d’homme. Depuis une dizaine d’année, une nouvelle technique dite «sous ombrière» permet d’améliorer la culture. L’ombre est assurée par un filet noir et les vanilliers s’enroulent autours de plots en ciment, leurs racines plongeant dans du terreau.
Mais cette exploration de la vanille de Taha’a ne saurait être complète sans la découverte du travail des préparateurs dont le rôle est d’assurer le séchage de cette épice. Exposé quotidiennement au soleil pendant quelques heures, elle va progressivement perdre les trois-quarts de son eau pour acquérir son brunissement final. S’échelonnant sur trois à sept mois suivant la taille des gousses, cet ouvrage est capital car permettant le développement et l’expression de tous les arômes.
Gestes précis et rapides
C’est d’ailleurs ce qui s’est produit pendant plus de 200 ans, au grand désespoir des Européens qui avaient ramené la vanille du Mexique, son pays d’origine, en Europe, dès le milieu du 16ème siècle. Certes, elle fleurissait mais, ensuite, s’obstinait à ne pas délivrer ses gousses car privée de l’abeille sauvage, uniquement présente dans son milieu d’origine et, permettant la fécondation naturelle ! Il fallut donc patienter jusqu’au milieu du 19ème siècle pour qu’Edmond Albius, un esclave de l’île Bourbon à la Réunion, trouve la méthode permettant de féconder, artificiellement, la fleur de vanille. Depuis, les mêmes gestes sont répétés, toujours à la main.
En pleine saison à Taha’a, ce sont des spécialistes dénommés «vulgarisateurs» qui s’affairent à cette tâche dans toutes les vanilleraies. Ils parviennent à effectuer plus de 1 500 «mariages» par jour ! De leurs gestes précis et rapides, dépend en grande partie la réussite de la récolte future. Il faut faire vite car la fleur ne s‘épanouit que quelques heure en matinée. Elle est d’une grande fragilité et compte, parmi ses ennemies, la pluie ! Une fois fécondées, ces fleurs engendreront des grappes de 5 à 6 gousses d’une longueur de 15 à 20 cm chacune. Neuf mois sont, ensuite, nécessaires pour que les gousses virent au jaune puis commencent à brunir à leur extrémité, marquant ainsi leur maturité. La période de récolte s’échelonne de mai à août.
«Reine des vanilles»
Grâce à de récentes recherches scientifiques, on en sait aujourd’hui un peu plus sur la vanille de Tahiti, ses arômes et particularités. La thèse récente de la chercheuse Sandra Lepers-Andrzejewski a permis de déterminé, avec précision sa généalogie. Vanilla Tahitensis est une hybride naturelle entre la variété Vanilla Planifolia,du côté «maternel» et Vanilla Odorata, du côté «paternel». Dans les îles de la Polynésie française, cet hybride s’est donc singularisé. On en sait également davantage sur son arôme unique construit par plus de 200 molécules différentes. Son «bouquet aromatique», étudié de très prêt par la scientifique Chrsitel Brunschwig dans une thèse de doctorat se singularise des autres vanilles, notamment, par ses notes «caramel» et «anisées».
Décrite parfois comme «la reine des vanilles», la vanille tahitienne est aujourd’hui un produit de luxe ne représentant d’ailleurs que 1 % de la production totale mondiale. Elle fait le bonheur des grandes tables, des épiceries fines et des plus grands chefs pâtissiers. Tous reconnaissent ses qualités et il n’est pas rare qu’ils se déplacent à Taha’a pour en découvrir toutes les facettes. Mais cette utilisation en vanille dite «de bouche» est complétée, de plus en plus fréquemment, par des usages en cosmétique et parfumerie. Très révélateur de la renommée, les arômes de vanille sont maintenant utilisés dans la parfumerie par des grandes marques tel Dior et Guerlain.
Des sous-bois et de Taha’a, aux tables des grands restaurants du monde entier, la vanille de Tahiti inscrit ses pas dans l’odyssée millénaire de la quête des épices les plus précieuses. Ces trésors de la nature ayant toujours poussé les hommes aux voyages et à la découverte de terres lointaines et exotiques.
L.L.
De la vanille et des marins…
La vanille n’est pas une plante endémique de nos îles. Elle a été importée et, paradoxalement, la marine joua un grand rôle…En 1848, alors que Français et Anglais – les deux grandes puissances coloniales de l’époque – sortent à peine de leur lutte d’influence pour la domination des îles polynésiennes, le contre-amiral français Hamelin introduit le premier de la vanille à Tahiti, apportant de Manille aux Philippines, des plants de Vanilla Planifolia. Deux ans plus tard, le contre amiral Bonnard, introduit des plants de Vanilla Pomponia issus du Jardin des Plantes de Paris et des Antilles. Mais l’aventure ne s’arrête pas là car, en 1874, le commandant Pierre apporte, à son tour, de la Vanilla Planifolia du Mexique. De toutes ces introductions extérieures naîtront donc une vanille hybride spécifique, laVanilla Tahitensis.

