Concours de ’Ori Tahiti, la danse tahitienne, le Hura Tapairu propose, début décembre de chaque année, des spectacles animés par un esprit de liberté et de créativité. Découverte.
Avant de s’élancer sur scène, une vingtaine d’artistes se presse dans les coulisses du grand théâtre de la Maison de la Culture de Papeete. Dans la quasi-obscurité, tout juste, devine-t-on l’effervescence qui règne là. Les costumiers vont et viennent arrangeant, une dernière fois, les majestueuses tenues de scène. Des étonnantes créations confectionnées, en grande partie, avec des matériaux naturels polynésiens tel le pandanus et le cocotier dont feuilles et écorces deviennent de véritables tissus à la suite d’un habile travail de transformation.
Les mains s’affairent pour positionner sur les têtes, au mieux, les tāupoo, ces grandes coiffes héritières modernes de celles portées par les chefs aux temps anciens. Plus loin, des costumières ajustent, une dernière fois, les complexes balconnets des danseuses, tāpe’a tītī, en Reo Tahiti. A quelques pas, c’est un paréo qui doit être prestement renoué ! Enfin, on arrange les indispensables fleurs. Portés en collier, en couronne ou savamment disposés dans les chevelures, Tīare Tahiti, hibiscus, opuhi et « Oiseaux de Paradis » apporteront sur scène toute l’exubérance et les couleurs de la végétation tahitienne.
Exaltation et joie
Sur les visages des artistes se lisent tension et concentration. Dans quelques instants, ces émotions laisseront place à l’exaltation et à la joie car cette prestation d’une trentaine de minutes représente l’aboutissement de longues heures de répétition. Bien souvent, le Hura Tapairu est aussi le premier concours d’envergure auquel se frottent ces groupes. Ils doivent rassembler 29 artistes dont 20 danseurs, 6 musiciens et 3 choristes. Ensuite, une longue préparation est nécessaire. Un challenge pour ces Polynésiens qui ne vivent pas de leur art et qui doivent le concilier avec vie professionnelle et familiale. Difficile mais pas insurmontable à la différence du concours de Chants & Danses du Heiva I Tahiti, en juillet. Là, les groupes doivent compter 60 artistes ! Du coup, le Hura Tapairu fédère les groupes de création plus récente qui bénéficient de ce tremplin efficace pour se faire connaître et se confronter au public.
De toutes les îles
L’émotion est d’autant plus grande que les artistes sont particulièrement fiers de défendre leur groupe, cette communauté tenant une place si importante dans leur vie. La troupe est aussi le porte-drapeau d’un quartier, d’une commune ou d’une île entière. Il faut être à la hauteur de cette responsabilité si importante dans une société polynésienne valorisant ses différentes appartenances communautaires.
L’une des particularités du Hura Tapairu est, également, la présence de nombreux groupes issus de toutes les îles de la Polynésie française. Qu’ils viennent de Rurutu dans l’archipel des Australes, de Bora Bora et Huahine dans l’archipel des Iles Sous-le-Vent, ils ont rarement l’occasion de se produire sur l’île de Tahiti en raison des difficultés et des coûts engendrés par les voyages dans un pays à la superficie aussi vaste que l’Europe… Mais lorsqu’ils sont sur les scènes de Tahiti, les spectateurs ne peuvent qu’être conquis par leur fraîcheur et leur enthousiasme. Ils ont à cœur d’amener, avec eux, un peu de leur fenua, leur île natale avec ses légendes et sa perception spécifique de la danse tahitienne.
Les feti’i sont là !
Avant l’entrée en scène du groupe, lecture est faite, en français et en Reo Tahiti, du thème de la prestation, fréquemment une légende ou un mythe lié au quartier, à la commune ou à l’île d’origine de la troupe. Ce thème est le fil directeur du travail chorégraphique. Tout comme il guide la création des musiques et des costumes. Il est la clef de compréhension du spectacle qui va s’ouvrir dans quelques instants.
D’ailleurs dans la salle, le public s’impatiente et attend l’entrée des « stars » de la soirée. Dans l’assistance se mêlent touristes curieux, passionnés, et, bien sûr, venus en masse, les fēti’i , terme tahitien désignant la famille proche et élargie. Ils sont donc nombreux ces fēti’i n’hésitant pas à crier le nom de leur sœur, frère ou cousin qui vont être sous le feux des projecteurs.
Liberté et créativité
Au milieu des gradins, de petites lumières et des ombres penchées signalent la table du jury. Il est composé de professeurs et de chefs de groupe réputés. Ils évaluent les prestations : précision des gestes, coordination, créativité, esthétique des tenues etc. Ils décerneront ensuite les récompenses dans chaque genre chorégraphique : ’aparima, ’ōte’a’, Hula, Ori Tahito Tāne et Ori Tahito Vahine. Pour couronner le meilleur groupe, sera décerné le convoité prix «Hura Tapairu». Le concours se veut un espace de création et de liberté avec des contraintes et règles moins nombreuses que celles imposées lors du Heiva I Tahiti. Bien sûr, la danse doit rester « traditionnelle » mais elle peut se libérer de certains corsets. Une liberté appréciée des artistes et du public. Du coup, dans le cadre si particulier de la scène de la Maison de la Culture, liberté et proximité se conjuguent pour créer des moments uniques. Le ’Ori Tahiti prend alors une véritable dimension théâtrale.
Renommée grandissante
Tous ces atouts ont permis au Hura Tapairu de gagner en importance d’année en année. A chaque édition début décembre, plus d’une quinzaine de groupes y participe. Autre preuve de sa renommée grandissante, il intéresse maintenant des groupes de ’Ori Tahiti en provenance des Etats-Unis et du Japon qui désirent faire un retour aux sources et se mesurer aux groupes tahitiens sous le regard d’un public réputé exigeant.
Mais en attendant ces moments de partage international, place à la danse et aux chants ! Enfin, les projecteurs inondent la scène de lumière. Les percussions traditionnelles tō’ere, tari parau, fa’atete, et ’īhara se font plus pressantes. Surgissant des coulisses, les artistes peuplent, subitement, la scène de chants, de couleurs et de mouvements. Le spectacle commence avec ses enchantements et ses émotions. Il ne décevra pas.
Des prix et des genres
A l’issue du concours du Hura Tapairu, cinq prix viennent récompenser les groupes pour leurs meilleures prestations. Trois d’entre eux distinguent les meilleurs ’aparima, ’ōte’a’ et hula, des genres chorégraphiques. Deux prix sont également attribués pour les meilleurs, Ori Tahito Tane et Ori Tahito Vahine, styles de danse tahitienne remontant aux années 1930 – 1950.
’aparima
Dans ce genre chorégraphique, danseuses et danseurs illustrent par une gestuelle précise les paroles de la chanson servant d’accompagnement musical. L’aparima hīmene, constitue une variante chantée. Les danseurs se joignent alors, par leur chant, à l’orchestre et au chœur.
’ōte’a’
Ce genre se décline en ’ōte’a’ āmui (dansé par un ensemble mixte), ’ōte’a tāne (exécuté uniquement par les hommes) et ’ōte’a vahine (exécuté uniquement par les femmes). Les participants sont disposés en plusieurs rangées parallèles. Pour les hommes, les mouvements dominants sont des mouvements de jambes. Quant aux femmes, ce sont les mouvements de hanche qui prévalent.
Hula
D’origine hawaïenne, ce genre se caractérise par la lenteur des mouvements parmi lesquels on remarquera les complexes et nombreux mouvements de main. Orchestre et chants accompagnent les danseurs.
Ori Tahito Tāne et Ori Tahito Vahine
Exécuté par des danseurs solo accompagnés de l’orchestre, ce style de danse s’inspire des danses tahitiennes telles que pratiquées dans les années 1930 à 1950. Les mouvements et pas sont nettement différents de ceux d’aujourd’hui. Le Ori Tahito Tāne est effectué par un danseur. Le Ori Tahito Vahine est réalisé par une danseuse.
Ludovic Lardiere